CHAPITRE 10

02.05.28,
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 5:08 PM.

C'est seul que je monte les escaliers de l'immeuble. Abby a insisté pour que je la laisse chez le coiffeur en passant, car elle avait soi-disant envie de changement. Là, je suppose qu'elle ressemble à un pinceau de peinture, à attendre que sa coloration prenne sur ses longs cheveux. J'ai hâte de la voir rentrer afin de découvrir son nouveau visage. Tout ce que j'espère, c'est qu'elle n'aura pas coloré ses cheveux en bleus : à l'époque, elle en rêvait.

Quand j'arrive sur le palier, je sens mon cœur louper un battement. Je me fige, aussi. Je suis partagé entre la peur et le soulagement : il est là. Je vois sa silhouette, recroquevillée, parce qu'il est assis par terre et blotti contre la porte. Je suppose qu'il m'attendait.

- Evan...

Je déglutis. Je suis surpris par la façon dont il se redresse, ses yeux rivés sur moi, triste. Je vois la détresse dans ses iris grises comme le ciel d'orage. J'ai honte de sentir mon cœur s'emballer quand il s'approche de moi, tout doucement, avant de s'arrêter à une distance raisonnable de moi.

- ... je... s'il-te-plaît on peut parler ?

Je me mords l'intérieur de la joue. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quelle décision prendre, là. Je n'ai aucune envie de parler après ce qu'il m'a fait, mais je sais qu'on doit avoir une discussion. Même si son geste m'a blessé, je dois lui laisser au moins la possibilité de s'expliquer. Je suis curieux d'entendre ce qu'il a à me dire.

- Entre.

J'ouvre la porte et m'engouffre à l'intérieur de l'appartement. Il y fait chaud et malgré l'odeur de tabac je distingue aussi celle de vanille de la bougie d'Abby. Je dépose ma veste en jean sur la patère dans l'entrée et me fige quand j'entends la porte se refermer derrière nous.

Quand je me tourne pour regarder Diego, je remarque encore une fois à quel point il est beau. Ses cheveux sont coiffés en arrière avec de la cire et je distingue ses tatouages sous son t-shirt blanc. Il porte une veste en cuir, la même qu'il portait à l'époque et qui est restée tant de temps dans mes placards, et ses épaules carrées lui donnent une prestance impressionnante. Malgré tout, ses yeux le rendent inoffensif.

- Je... je suis désolé. Je sais pas ce qui m'a pris... je sais que ça justifie rien mais... j'étais en colère et j'ai cru que... je suis vraiment désolé, j'ai merdé.

Trop de non-dits. Je comprends ce qu'il veut dire, dans le fond, mais je ne supporte pas cette façon qu'il a de ne pas terminer ses phrases ou de ne pas aller au bout de sa pensée.

- J'en ai marre, Diego. Tu passes ton temps à t'excuser, mais moi j'ai besoin de savoir ! Tu... j'ai besoin que tu me parles, tu le comprends, ça ?

Il s'approche de moi. Je le laisse faire, naïf, quand il tend la main pour la poser sur ma joue. Il caresse mes lèvres avec son pouce et la chaleur de sa paume me réchauffe le visage. Je ferme les yeux, accro à la douceur de son geste. Ça contraste affreusement avec la violence de la gifle qu'il m'a donnée.

- Je... je m'en veux, Evan. Mais je...

- Ne me dis pas que tu ne peux pas me parler. Tu sais que tu peux tout me dire, putain, je t'ai attendu pendant neuf ans ! Si y a une personne à laquelle tu peux parler sans avoir peur d'être jugé, c'est bien moi Diego. Je suis là, je suis resté, malgré tout. Alors je t'en supplie, parle-moi.

Je sais très bien que son comportement est dû à ses années de prison. Je le sais. J'ai conscience que la réclusion ça change une personne, parce que les conditions sont difficiles et que, bien sûr, on ne peut pas sortir de là indemne. Je le sais. Mais ce que je ne sais pas, c'est ce qu'il a vécu : je n'arrive pas à me faire une idée. Je sais que, la plupart du temps, on parle de viol, de passages à tabac ou de dépression à l'intérieur des prisons. Je sais aussi que certains ont accès à la drogue, ou que d'autres sont psychologiquement manipulés par leurs codétenus. Je connais aussi les déviances de certains matons qui traitent les taulards comme du bétail.

J'aime Diego. Je tiens à lui et, à mes yeux, il a toujours été quelqu'un de fort et d'imbattable, bien que je sache qu'il a un cœur et qu'il est sensible. Pour moi, il est impensable qu'il lui soit arrivé toutes ces choses horribles mais, au fond de moi, je sais qu'il y a quelque chose de cet ordre-là. J'ai toujours évité le sujet, espérant qu'il m'en parlerait de lui-même, mais il franchi une limite et j'ai besoin de réponses désormais.

- Je...

Il me regarde dans les yeux. Je soutiens tendrement son regard et l'encourage silencieusement à parler. Pendant un court instant j'ai le sentiment de le tenir, d'arriver enfin à lui faire prendre confiance, mais en réalité je me trompe : quelques secondes plus tard à peine, il baisse ses yeux larmoyants sur ses pieds. Sa main délaisse ma joue, comme s'il n'avait plus la force de lever le bras. Je vois les larmes dans ses longs cils bruns, juste avant qu'il ne ferme les yeux. Ses épaules s'affaissent et, là, je le vois faible.

- ... j'ai... on...

- Hé.

J'oublie tout. Quand je le vois comme ça, si abattu et brisé, ça me retourne le cœur. J'oublie la douleur qu'il m'inflige, dans ses paroles et dans ses gestes. Il n'y a que lui qui compte, et ce qu'il ressent. Je ne supporte pas l'idée qu'il puisse souffrir, ou être malheureux. C'est au-dessus de mes forces.

- ... j'y arrive pas.

- Diego...

- J'suis pas prêt à ça, Evan. Je... m'oblige pas à parler... s'il-te-plaît.

J'entends à sa voix tremblotante qu'il essaie de se retenir de fondre en larmes. Sauf que je vois aussi son corps tressauter sous les sanglots qu'il ravale et ça me brise le cœur. Sans rancune, comme d'habitude et à mon plus grand malheur, je l'attire doucement à moi et referme mes bras autour de lui.

Je suis soulagé de sentir qu'il n'essaie pas de lutter : en temps normal, il m'aurait déjà repoussé.

- J'suis tellement désolé... j'aimerais tellement que ce soit comme avant... j'aimerais que ce soit jamais arrivé.

J'ouvre la bouche pour parler, mais me ravise quand il tombe à genoux devant moi. À la place, je pose mes mains sur ses épaules pour le tenir contre moi tandis qu'il appuie son front sur mes abdominaux. Ses bras sont le long de son corps et, son nez dans le tissu de mon t-shirt, je l'entends renifler. Je déteste le voir comme ça.

- Je suis désolé... j'aurais jamais dû te frapper. Pardonne-moi, Evan.

Je suis faible. Je l'ai toujours été lorsqu'il s'agit de lui mais je le suis d'autant plus depuis qu'il est devenu si sensible et si brisé. Dans un frisson d'amour, je m'agenouille face à lui et prends délicatement son visage entre mes mains. Encore une fois, à ma grande surprise, il se laisse faire.

- Je te pardonne.

Il esquisse un sourire, à peine visible au coin de ses lèvres, avant de fermer les yeux. Je le vois inspirer profondément afin de calmer ses sanglots, mais cela ne semble pas fonctionner.

- Je donnerai ma vie pour toi... je ferai n'importe quoi... , sanglote-t-il.

Quand il rouvre les yeux nos iris se trouvent. J'ai le souffle coupé par sa déclaration sincère et puissante. Je lui souris.

- Tu as confiance en moi ? , dis-je tout bas.

- Oui, toujours.

- Alors viens.

Je glisse mes doigts entre les siens avant de me relever. Je suis soulagé de voir qu'il me suit sans lutter. Quand nous entrons dans la chambre main dans la main, je remarque à quel point les battements de mon cœur sont désordonnés. Dans la pièce il fait sombre, car la lumière est éteinte et que les rayons du soleil percent à peine à travers les rideaux épais accrochés à la fenêtre.

- Qu'est-ce-que tu fais... ?

Sa voix est douce mais peu assurée lorsqu'il demande ça tout bas. Mon t-shirt tombe légèrement au sol lorsque je le retire gracieusement et, ensuite, je viens retirer mon jean. Sous ses yeux, planté là au beau milieu de la pièce, je finis même par retirer mon boxer.

- Evan.

Il se tait lorsque je crochète délicatement son poignet entre mes doigts. Tout doucement, malgré sa réticence, j'attire sa main à mon torse. Je la pose sur mon cœur, à plat, et l'enveloppe de la mienne. Sa peau est chaude sur la mienne et sentir sa main là, sur mon torse nu, ça me fait du bien.

Nos regards s'accrochent un instant. Je lis l'incompréhension dans ses yeux, et quelques questions du genre « pourquoi tu fais ça ? » ou bien « explique-moi, je comprends pas ». Je vois qu'il est totalement perdu, qu'il ne comprend pas mon geste. Moi non plus dans le fond je ne saurais expliquer ce que je fais ni même pourquoi je le fais, mais je sais que j'en ai besoin.

De mon cœur, je fais glisser sa main jusqu'à mes abdominaux. Le tout très lentement, bien sûr, pour qu'il ait le temps de sentir ma peau sous ses doigts : je ne suis pas sûr qu'il se souvienne de sa texture depuis le temps qu'il ne m'a plus touché.

- Wow...

Sa réaction me surprend et, en fait, son toucher me surprend aussi. Sa grande main, calleuse, enveloppe désormais ma fesse droite et j'ai le cœur qui s'emballe. Ma main est toujours là, à guider la sienne, mais ça me fait de l'effet quand même.

-... Evan.

- Tu vois... tout ça, c'est à toi.

Je suis à lui. Tout entier. Je veux qu'il le comprenne. Je ne veux plus qu'il soit effrayé, qu'il me repousse.

- Touche-moi... s'il-te-plaît. Je ne te toucherai pas, promis.

Comme pour appuyer mes dires, je lâche sa main et viens poser les miennes sur mes cuisses. Les bras le long du corps, j'attends. Ses doigts, eux, pressent imperceptiblement ma fesse. Puis, en un quart de seconde, son autre main rejoint l'autre. Très vite, mon corps se retrouve contre le sien, fort et chaud, tandis qu'il caresse mes fesses avec une légèreté déconcertante : c'est délicieux.

- J'avais oublié...

- Oublié quoi ?

Je murmure au creux de son cou, ma tête posée contre son épaule. Son odeur est agréable et, pour une fois, il ne sent pas l'alcool. C'est comme avant : une odeur de parfum pour homme et de tabac. Blotti contre lui, là, je n'aimerai être nulle part ailleurs. J'en ai même oublié la gifle, la prison. C'est comme avant.

- À quel point c'est bien... d'être près de toi.

Je souris comme un débile. C'est vexant mais touchant à la fois. J'apprécie sa douceur quand il referme ses bras autour de moi et que, là, il me berce dans ses bras et contre son torse. Malgré le fait que je sois nu comme un ver devant lui, je ne me sens pas du tout mal à l'aise : j'ai confiance en lui.

- Tu peux me faire confiance, Diego.

- Je sais.

Tout doucement, nous basculons sur le lit. Il me tient contre lui, très fort. Je ne le touche pas, mes bras toujours le long du corps, mais j'apprécie ses papouilles sur mon dos. Il remonte la couette sur nous et j'apprécie aussitôt la chaleur agréable du cocon que nous nous créons. J'ai l'impression de vivre un moment suspendu dans le temps, voire d'être carrément dans un autre monde : un monde parallèle où il n'y aurait pas de secrets, où tout irait bien et où neuf ans ne se seraient pas écoulés.

- J'ai besoin de temps, Evan... mais ça ira mieux... je te le promets.

Je n'y comprends pas grand-chose, mais je l'accepte. Parce que j'ai envie de croire que ça ira mieux moi aussi.

.   .   . #gbsBigBangFIC 

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