La fillette

Je voudrais vous raconter mon histoire avant que le temps ne l'emporte. Vous allez sans doute me prendre pour un fou, c'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai conservé ce secret au plus profond de moi-même.

Je n'étais pas un homme abstrait et tout événement surnaturel ou inexplicable n'avait, pour moi, aucune raison d'exister. Des années durant, j'étais demeuré persuadé que notre monde n'avait de limites qu'en la réalité de chaque chose. Pendant toutes ces années, je m'étais trompé.

C'est suite à cette extraordinaire histoire que ma vision des choses a changé. Ne pensez surtout pas que mon esprit déraille, j'offrirai ma vie au diable en échange de votre confiance. J'ai tout vu de mes propres yeux...

Enfin, peu importe ce que vous penserez, voici les faits.

C'était un beau jour de mai, je flânais dans les rues, recoiffant régulièrement mes cheveux d'un geste machinal. Les passants, souriants ressemblaient à un fleuve qui coulait, lascif et grouillant. Une brise légère accompagnait ma promenade, me rapportant les chants lointains des oiseaux.
J'étais tranquillement installé dans mon appartement, rue Saint-Honoré, lorsque le facteur m'apporta une lettre m'annonçant le décès de lointains cousins : les Du Berey.

Je fronçai les sourcils ; je ne les connaissais que très peu, c'était un couple sans enfant qui vivait en Angleterre. Je ne les avais rencontrés que quelques fois et pourtant, ils semblaient m'avoir désigné comme unique héritier. Je ne comprenais pas bien l'enchaînement des événements, mais en fin de compte, je me voyais mal refuser d'honorer la mémoire des membres de ma famille, même éloignés. Étant en congés pour quelques jours, je décidais de me rendre sur place pour régler les derniers détails.

Leur demeure se situait dans la campagne anglaise, en périphérie de Southampton. Je débutai mon voyage le lendemain et arrivai au port vers 15 heures. Ayant réservé les services d'un chauffeur, je fus chez moi quelques heures plus tard.

La grande maison me faisait face, majestueuse. Son style épuré me plut tout de suite. Le jardinier, un vieil homme aux yeux vifs m'accueillit avec chaleur. Il m'offrît ses plus sincères condoléances avant de me remettre les clés tout en m'ayant assuré que tout avait été nettoyé et que je serais désormais seul dans ma nouvelle propriété.

Je décidai de visiter ma nouvelle demeure. Elle comportait d'innombrables chambres réparties sur deux étages, plusieurs salles de réception, des cuisines et des salles de bain. L'ensemble était décoré avec un goût un peu désuet mais qui conservait tout de même un certain charme. Je choisis la chambre la plus sobre, dont la couleur dominante était un bleu sombre. Chaque meuble reluisait de propreté.

La faim me tenaillant, je me rendis dans la cuisine du rez-de-chaussée et découvris quelques mets dans le garde-manger. Je dînai rapidement avant de visiter la grande bibliothèque. Cette pièce spacieuse aux murs couverts de livres m'apaisait. Les rayonnages parvenaient jusqu'au plafond et une ambiance particulière régnait. En faisant le tour de la bibliothèque, je découvris une photographie en noir et blanc représentant les défunts. Leurs visages étaient un peu sévères et leurs sourires, crispés. Je la tournai entre mes doigts mais aucune date ne put me renseigner. Je la glissai dans ma poche avant de monter dans ma chambre, la fatigue commençant à se faire ressentir.

Je souffrais depuis quelques temps de troubles du sommeil, j'avais donc pris l'habitude de me coucher tôt. Épuisé, je pris à peine le temps de déposer mon veston sur une chaise avant de m'allonger sur mon lit. Je m'endormis presque aussitôt.

***

Au beau milieu de la nuit, un bruit soudain me tira de mon sommeil. On aurait dit des pas, qui faisaient grincer le parquet au-dessus de ma tête. Je me figeai et tendis l'oreille. De nouveau, j'entendis ce bruit sourd et répété. Je sentis la peur grandir au fond de moi, me donnant des sueurs froides. Je savais ce que cela signifiait : mes troubles recommençaient.

Je me tournai, et pendant une demi-heure, demeurais éveillé, guettant la réapparition du phénomène. Alors que mon esprit s'apaisait enfin, je perçus de nouveau le grincement du bois et le pas sourd.
« Je ne peux pas avoir rêvé, » pensai-je.
Aussitôt, je me levai, saisis une lampe et me rendis à l'étage du dessus. L'obscurité enveloppait chaque recoin de la maison, y créant des ombres qui me faisaient frissonner, mais je tentais de les ignorer.

Parvenu devant la porte de la chambre juste au-dessus de la mienne, j'hésitai. Il était encore temps de retourner me coucher, cela pouvait très bien être un petit animal nocturne qui avait réussi à pénétrer à l'intérieur et cherchait un moyen de s'enfuir.
« Autant aller le libérer, » pensai-je en actionnant la poignée.

J'appuyai sur l'interrupteur et la lumière soudaine m'éblouit. Cette pièce était la plus petite chambre, comme toute la maison, elle avait été nettoyée. Pourtant, je remarquai que le lit, défait, laissait voir l'empreinte d'un corps sur son matelas. Je parcourus la pièce du regard mais seul le lit semblait avoir été occupé.
« C'est impossible, je l'ai visitée hier et tout était parfait, » pensai-je.

Mon cœur battait à tout rompre et raisonnait sous mon crâne. Tremblant, je m'approchai du lit et remarquai une tâche sombre sur le drap blanc. Une tâche rouge qui ressemblait fort à du sang... Je me figeai, terrorisé. Que s'était-il passé ? Quel genre de créature disparaissait ainsi, sans laisser de traces ? Car il était vrai qu'aucun indice ne me renseignait sur une présence autre que la mienne. Aucun indice, excepté ce sang sur les draps.

En baissant les yeux, je remarquai qu'une autre goutte sanglante était tombée sur le sol. Elle était encore fraîche. Je me rendis compte que plusieurs autres traces tâchaient le parquet. Mi-effrayé, mi-curieux, je les suivis.

Elles parvenaient jusqu'à la porte, continuaient dans le couloir puis dans l'escalier. Je suivis leur piste jusqu'à un rideau. Je regardai derrière : un mur. Ce rideau servait simplement de décoration. Déçu, je m'apprêtais à faire demi-tour. Je fronçai les sourcils et regardai de nouveau de l'autre côté du tissu. Le mur, vieilli et abîmé possédait de nombreuses imperfections. Je l'observai en détails et me rendis compte que ce que j'avais pris pour une tâche était en réalité une minuscule poignée.

Je l'actionnai et découvris une volée de marches plongée dans l'obscurité. Je m'y engageai en suivant les traces de sang qui maculaient le sol. Les murs suintaient d'humidité et l'air semblait plus frais. La lampe braquée devant moi, j'avançai le cœur battant. Je parvins enfin dans une vaste cave sombre. Le plafond haut et voûté s'élevait au-dessus de ma tête.

- « Il y a quelqu'un ? » appelai-je.

Seul l'écho me répondit. Mes mains semblaient animées d'un tremblement incontrôlable. Je répétai de nouveau mon appel mais le silence qui suivit me glaça. Je baissai les yeux vers le sol, les tâches de sang s'arrêtaient. Il n'y avait rien, personne.

Je pris ma tête entre mes mains, déboussolé. La piste prenait fin si brusquement, cela n'avait aucun sens ! Tout à coup, un léger bruit me parvins. On aurait dit des pas... Je me redressai et tendis l'oreille. Les pas se rapprochaient et résonnaient dans toute la cave. Brusquement, ils accélérèrent puis ralentirent de nouveau. Un autre son s'éleva doucement. Cela ressemblait à la voix fluette d'une enfant, qui riait.

- « Fillette ? Que fais-tu seule dans cette
cave ? » lançai-je, apeuré.

Évidemment, elle ne me répondit pas et recommença à chantonner. Je ne la voyais pas, j'avais beau faire le tour de la pièce du regard tout en éclairant les recoins sombres, aucune trace de l'enfant. Je sentis, au plus profond de moi-même, une terreur grandir. Une terreur impérieuse et immense. Une terreur de celle qui vous prenait les tripes et ne vous lâchait pas. Je me sentais trop à l'étroit dans cette cave, accompagné d'une petite fille dont le rire me glaçait le sang. Je manquais d'air. Son rire résonnait. Mon cœur battait trop vite. Il faisait trop sombre.

Sans réfléchir davantage, je tournai les talons et remontai l'escalier, quatre à quatre. Parvenu au sommet, je fermai la porte, replaçai le rideau et courus dans ma chambre.

Là, je claquai la porte et me laissai glisser jusqu'au sol, le souffle court. Je ne comprenais pas ce qui venait de se passer. Dehors, la pluie tombait dru et tapait sur les vitres. Soudain, un violent coup de vent ouvrit la fenêtre. La bourrasque me surprit mais je ne me levai pas pour refermer les battants.

Je ne réagis pas car autre chose avait attiré mon attention. La photographie trouvée dans la bibliothèque un peu plus tôt s'était envolée et avait atterri à mes pieds. Je la saisis. Une tâche de sang fleurissait en son centre et une petite fille souriait au pied du couple.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top