Regard de Paul

Les corridors sont bondés, comme d'habitude, et je dois attendre longtemps avant de pouvoir me rendre à mon casier. Une gamine aux grands yeux couverts de fard et de mascara me dévisage alors que j'essaie de passer, et j'évite son regard, agacé. Je ne sais pas pourquoi les filles me regardent. Je n'ai pas le physique mystérieux et étrange de Luna, et je ne suis pas populaire, du moins pas comme les délinquants qui fréquentent cette école.

Je ne suis pas quelqu'un qui aime les grands groupes, les bandes de gars et de filles qui se regardent à dérobée, cherchant quelque chose, je ne sais pas quoi. C'est étourdissant, toutes ces conversations entremêlées autour de moi, tous ces mots que j'entends mais que je n'écoute pas.

Soudain, je la vois à l'angle du couloir, le rose sa chevelure ressortant des teintes pâles des murs. Luna. Elle aussi se dirige vers sa case, regardant par terre, comme d'habitude, sa tuque grise bien placée pour faire tomber des mèches devant son visage. Son collier étincelant sous les néons. Sa démarche est gracieuse, mais précipitée, comme si elle était toujours en train de fuir. Elle disparaît et je détourne le regard, tentant d'oublier ses épaules courbées, sa course fuyante. Elle ne devrait pas chercher à se fondre dans le décor. Luna devrait marcher la tête haute, droite et fière, sans se soucier de son apparence et de ce que les gens pensent d'elle.

Mais dans la réalité, ce n'est pas comme cela que les choses se passeraient. Cette fille fragile se ferait écraser si elle dévoilait sa différence.  Aller au-delà des apparences demande de la sensibilité, et de l'ouverture d'esprit. J'ai parfois l'impression que le lycée est un champ de bataille, et que les faibles se font massacrer par les plus forts. Deviennent des victimes tapies dans l'ombre, dans la crainte de son prochain. Mais Luna n'est pas une victime. Elle est une effacée.

J'essaie d'oublier tout cela, de chasser le fantôme, l'image sans cesse revenante qui me pourchasse dans mes songes. Je vois une magnifique fille aux cheveux roses prisonnière d'une tour de pierre, qui tend sa chevelure dans le vent, faisant onduler ses mèches dans la brise, par la haute fenêtre. La fille n'appelle pas à l'aide, elle pleure silencieusement, incapable de crier. Son visage est découvert, mais tellement doux et beau. Dépourvu de toutes cicatrices, et ses yeux sont plus bleus que la mer. Ce rêve éthéré qui flotte devant mes yeux,  mais qui est séparé de moi par un voile que je n'arrive pas à franchir. Luna, princesse inaccessible, incompréhensible.

 La première cloche retentit, me tirant de mes réflexions, et j'attrape mes cahiers à la hâte. Le premier cours ce matin est musique. Gratter la guitare, près de la fenêtre ouverte, me fera le plus grand bien. J'aime m'isoler en jouant, dans ce coin de la classe où personne ne vient jamais. Et peut-être arriverais-je à oublier pour un moment ce rose qui me hante.



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top