Pensée de Luna

Je déteste la fumée des usines, qui encrasse le bleu du  ciel et qui forme des nuages de poussière qui tourbillonnent dans l'air suffocant. Le soleil est à son zénith, je sens ses rayons brûler ma peau même à l'ombre des grands arbres de ma cour. Mon père a choisi une maison avec un grand jardin, des fontaines, et des cerisiers bordant l'allée centrale. La grande palissade construite autour du domaine est censée arrêter le souffle de l'air amenant la puanteur des rues, mais en vain. Rien n'arrête les bourrasques du vent en furie. Il s'acharne contre les lames de bois, créant un bruit ressemblant au hurlement des fantômes. Ou au chant des sirènes. C'est ce que ma mère disait quand elle était encore là.

Mais maintenant, elle est partie, et je dois m'inventer mes propres contes pour me rassurer. Je m'imagine être une enchanteresse privée de son pouvoir, ou une princesse emprisonnée dans la forteresse du diable. Mes rêves et mes pensées rendent ma solitude plus supportable.

Le vent souffle encore. J'ai passé une bonne partie de la journée dehors, à sentir l'air jouer dans mes cheveux, me poussant dans le dos, comme pour m'inciter à m'évader. Mais il m'est impossible de sortir.  Je ne peux pas être une fée, en fin de compte. Je n'ai ni pouvoirs ni baguette magique pour faire disparaître les cicatrices qui recouvrent mon visage.  Mais au moins, à défaut de vivre libre, il n'y a personne pour rire de moi et de mes fantaisies, puisque je n'en parle pas. Je ne parle jamais à personne, sauf à Paul. Et encore. Je n'ai glissé que quelques mots dans le silence de la nuit, pour briser le mur qui me séparait de lui.

Je repense encore à ce garçon. C'est étrange comme il me fascine... Mais après tout, il le seul à avoir bien voulu m'approcher sans me blesser au passage.

Mon père m'appelle. Le dîner est prêt, et il doit me le servir vite, parce que sa petite amie veut le voir. Il va encore me laisser seule tout l'après-midi, à rêver dans le grand jardin aux légendes disparues des mémoires. Tant mieux. Je ne supporte pas ses regards fuyants, la honte de moi qui reluit dans ses yeux vides.





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