Les draps sont froids. Pas trop, juste assez pour que ce soit confortable. Ils dégagent un discret parfum de lavande, qui me rappelle quelque chose, je ne sais pas quoi. Peut-être les grands champs sauvages d'avant le déménagement et l'accident.

La chambre est toujours baignée de lumière, mais les rayons de lune se font plus pâles à cause d'une nuée de brume nocturne qui passe dans le ciel. Je regarde encore par la fenêtre, comme fascinée par ce grand carré ouvert sur ce monde que je n'explore plus. J'aurais le goût de chantonner, juste pour le plaisir, pour me rappeler ces airs de mon enfance que je turlutais par-delà les rivières et les vallons. L'air frais contre ma peau me manque.

Paul dort dans le lit près de moi, les paupières closes, ses longs cils pâles contrastants contre sa peau mâte. Sa main repose à quelque centimètres du sol. J'ai eu envie de la prendre, tout à l'heure, de serrer ses doigts entre les miens. De ressentir un peu de chaleur humaine, pour la première fois depuis longtemps. Mais je ne l'ai pas fait. J'avais peur, je suppose, de sa réaction. Même si avec lui je me sens plus en confiance qu'avec n'importe qui d'autre.

J'ai même réussi à parler, à murmurer quelques mots dans le silence de la nuit. Je me suis  sentie soulagée de savoir encore le faire. Après tout ce temps, je croyais avoir oublié.

Je me rapproche du lit, me relevant. C'est la première fois que je passe une nuit aussi paisible, sans cette angoisse qui me poursuit quand le soir tombe, sans les sanglots étouffés dans l'oreiller. Mais je ne veux pas dormir. Pour une fois que j'en ai l'occasion, je vais détailler chacun des traits du visage de Paul. Les graver pour toujours dans ma mémoire. Et, même si je ne relève plus jamais les yeux, que je ne parle plus à personne après cette nuit, je me souviendrais de son visage.

Demain, mon père va rentrer de sa tournée dans les bars du vendredi soir. Il ne dira rien, comme d'habitude, quand je vais passer le seuil de la maison sans lui expliquer la raison de mon absence. Il n'en a rien à faire.