Cœur de Paul
La route devient de plus en plus brumeuse, indistincte. La forêt qui la borde s'épaissit au fur et à mesure que la ville s'éloigne, derrière la voiture. Je regarde dans le miroir. Rien, un chemin de terre, long ruban en sens inversé, qui s'étale dos au véhicule. Devant, la forêt, les arbres, les montagnes. La vie qui se presse et s'ébat partout, dans chaque battement d'ailes des oiseaux qui filent comme des flèches dans le ciel strié de nuages.
À droite, le paysage qui défile par la fenêtre. À gauche, le directeur adjoint, qui conduit, les doigts crispés sur le volant. Je ne voie pas son visage, caché par le rideau de ses cheveux blonds. Je pense à Luna, et la peur vient encore. Comment cet homme peut-il savoir avec autant de certitude où elle est partie? Et surtout, dans quel but?
Mais je cesse de me questionner. Après tout, j'ai choisi de faire confiance. D'ignorer la voix de ma conscience qui me répétait sans cesse la phrase dictée dès l'enfance par les parents: « C'est dangereux d'embarquer dans la voiture d'un inconnu! »
Je n'en ai rien à faire. J'ai l'âge et la force pour me défendre. Retrouver Luna est plus important que de suivre une règle morale. Il est temps que j'apprenne à assumer mes choix, que je me pose mes propres limites.
Le véhicule bifurque soudain vers un chemin encore plus isolé. Il y a de l'herbe qui pousse au travers du gravier, et des broussailles de chaque côté. Il n'y a pas d'éclaircies, seulement un sous-bois impénétrable. Le doute commence à me saisir. Luna aurait-elle pu se rendre jusqu'ici à pied? Le sentier est quasi impraticable, il y a des ronces que même la voiture peine à franchir...
Je m'apprête à parler. À questionner le directeur adjoint, peut-être même à m'enfuir si nécessité survenait. Mais soudain, il arrête le moteur. Ouvre la portière et se précipite au-dehors, dans le brouillard. Je le suis sans attendre d'explications.
Et là, au bout du sentier qui semblait sans fin, il y a des pierres empilées. Une maison en ruines. Derrière, un champ. Et au-delà du champ, la mer, s'étendant sous un cap de rochers fouettés par les vagues.
Face à la houle, seule sur la falaise, une silhouette pâle transperce l'opacité des brumes. Un pied dans le vide, les bras tendus. Des mèches roses ondulant sur ses épaules, dans la fraîcheur de la brise.
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