Cœur de Luna

J'ai derrière moi les ruines de mon ancienne vie. L'amoncellement désordonné des pierres qui constituaient les murs de l'autre maison, celle du passé. Celle où le rire de ma mère résonnait. Où j'assemblais, morceau par morceau, mes rêves de petite fille. Le visage intact, la voix chantante, passant mes journées à courir sur la plage, pieds nus sur le sable granuleux. Le soleil faisait miroiter l'or de mes cheveux et l'argent de mon pendentif.

Ma vision se trouble, et une larme perle au bord de mes cils. Ces souvenirs me font mal à présent. Tellement que j'en perds le souffle. Je voudrais pouvoir me laisser tomber, ne plus jamais avoir à marcher. Laisser mon corps se reposer contre l'herbe mouillée.

Mais je ne peux pas. J'ai encore quelques pas à faire. La mer est si proche... Elle m'appelle, j'entends son rugissement faire remonter à la surface de ma mémoire des pensées oubliées. Je tends les bras, soulagée de pouvoir enfin en finir. Personne ne viendra me chercher cette fois. 

Je ferme les yeux. Surtout, ne pas penser à Paul.  À lui qui est venu me chercher ce jour là, au laboratoire. À l'étreinte de ses bras qui m'envelopperait et me rassurerait.

Je m'avance, tentant de rester indifférente au souvenir de son visage, de la panique qui avait allumé ses yeux en défonçant la porte de la salle de classe. La falaise est haute, et je frissonne, le froid traversant le fin tissu de ma robe.

Je suis maintenant tout près. J'avance un pied dans le vide, hésitante.

Puis, je me laisse tomber. Derrière moi, il me semble qu'un cri a retentit. Mais ce n'était probablement que mon imagination.

La chute est si lente. L'eau me heurte sans la moindre douceur, frappant ma peau en mille éclaboussures. Elle est froide et coupante comme du verre. Je n'ouvre pas les yeux. Je refuse de voir la mort en face. De me sentir lâche, égoïste d'avoir tourné le dos à la vie.

Mais quand un corps humide m'effleure, je ne peux pas m'empêcher de sursauter, rouvrant les paupières brusquement, ignorant la froide brûlure de l'eau sur mes iris.

 Ce n'était qu'une algue, signe que je suis déjà au fond de l'eau. Dans le silence éternel.

Je lève mon regard, sentant déjà le manque d'air étouffer mes poumons. Un pâle rayon de soleil  s'infiltre dans la transparence des eaux. Et soudain, l'onde d'un autre choc trouble le calme et le clapotis des vagues que j'entends en écho de la surface.

Une forme noire s'avance vers moi, nageant rapidement. J'écarquille les yeux, n'y croyant pas. Ce doit être une hallucination, avant le vertige de l'agonie, ou l'ange qui vient m'emporter. Mais au fur et à mesure que l'apparition s'approche, je lui voie un visage humain.

Le regard de Paul rencontre le mien avec l'intensité de la foudre. Je ferme les paupières. Il est proche, je sens sa chaleur réchauffer les flots glacés. La confusion et la peur se bousculent tour à tour dans mon esprit. Ses doigts m'attrapent,  se referment sur mon poignet.

Je ne veux pas. La peur est toujours là, sournoise, m'empoisonnant. Je ne veux pas que Paul voie mon visage. Je ne veux pas qu'il découvre mes traits défigurés derrière le voile de mes cheveux. Je dois tourner le dos à l'amour.

Mais, je sens ses doigts glisser contre ma peau. Sur ma joue, mes cheveux. Il  n'abandonne pas, même si je me débats, tentant de me défaire de sa douce étreinte. Il tire sur les bandages qui voilent mon visage, les arrachant d'un coup sec.

Et je sens mon cœur flancher alors qu'il me colle contre son corps, plaquant ses lèvres contre les miennes. M'embrassant avec une passion, une tendresse bouleversante. Des larmes sillonnent mes joues, la détresse prend possession de moi. Je n'aie plus la force de lutter. 

Je me laisse remonter, légère entre les bras de Paul.





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