Prologue
AN 3007
C’était quand j’avais sept ans.
Depuis ma tente, j’entendais les métaux s’entrechoquer. Ce n’était pas juste. Le combat n’était pas équilibré. Les Paisajaneas, armés de pailles métalliques et tranchantes, contre les Kuntaï aux pouvoirs développés et aux lames aussi aiguisées que leurs regards.
Je m’échappai de ma tente et pointai mon petit nez dehors. Les Kuntaï gagnaient du terrain à vue d’œil tandis que mon peuple faiblissait. Je courus vers mon père affaibli qui était sur le point de mourir. Je m’interposais un poing fermé et l’autre ouvert en mode « stop ». J’essayais de jeter le regard le plus froid et sec qu’un enfant puisse lancer. Sous le poids de ce coup d’œil, le guerrier baissa son arme et m’observa dans les yeux.
Chez nous, la première chose qu’on apprend, c’est de fermer notre esprit.
Bien entendu, ce Kuntaï brisa mes murailles en moins de deux mais j’avais vidé mon esprit de toute pensée. Quand il arriva, c’était le grand néant et j’étais là, en train d’attendre. De la peur apparut dans ses yeux noirs et gris. Il recula, trébucha, tomba sur le dos, se releva, ordonna aux troupes de reculer et disparut derrière la colline.
Lorsque je baissai mon regard sur mon père, la terreur déformait ses traits. Je regardais autour de moi. Tous, sans exception, étaient terrifiés. C’est alors que le plus Cultivé me montra du doigt et prononça : « Monstrue ! »
À ce moment-là, ma mère sortit de notre tente, paniquée, en criant presque : « Mi hija ! Dond est… » Elle se tut en voyant la scène qui avait lieu, se précipita vers moi et m’étreignit contre sa poitrine. Je l’entendis dire au Cultivé : « Tue ! No touche à mi hija ! Nuo sabe eja cui eja est! Deje mi edusque eja! Ya nuo eja lo ara !» Mon père se leva tant bien que mal et jeta un regard noir au Cultivé. Il me porta à la tente, talonné par Mamia.
À peine m'eut-il posé dans ma couche, que je plongeai dans un sommeil des plus profonds.
AN 3011
J’avais 11 ans.
Ça faisait 4 ans que les divinités de la mémoire et du baptême s’étaient mis d’accord pour me voler mon nom. 4 ans. C’est énorme. J’avais prié ma mère, Mamia, qu’elle me rebaptise, mais elle m’avait assuré qu’elle ne pourrait pas. J’avais donc appris à vivre avec.
Chez moi, on m’appelait soit « Nom volé » soit « La Maudite » et encore, plus rare, « La Fille Prodige » mais le plus fréquent c’était « La Fille sans Nom ».
Un après-zénith de la saison des feuilles rouges, j’étais allée (comme à mon habitude) espionner les Kuntaï. Leur façon de se battre me fascinait ! Élégants, impitoyables et en même temps, c’était comme une danse meurtrière. Mais ce jour-là, je n'avais pas prévu de me faire prendre.
C’était un garçon qui avait à peu-près mon âge. Un apprenti Sunfaï donc. Il m’avait vue et m’avait demandé d’où je venais et quel était mon nom. J’avais fini par lui répondre, mais je m’étais enfuie juste après.
Ce garçon était… perturbant. Il était encapuchonné, mais quelques mèches châtain et dorées dépassaient. Je n’avais pas pu voir ses yeux, mais le poids de son regard était écrasant. Son nez était droit et ses lèvres charnues et craquelées par le froid qui arrivait. Sa tunique avait une couleur gris souris et les rebords dorés, comme si c’était de l’Or.
Moi, j’étais habillée avec le yukata de ma famille. Comme le côté de mon père a toujours été le sous-chef, j’avais droit à des bottes noires avec une pierre précieuse verte dessus. Par contre, le côté de ma mère avait toujours fait partie de la famille guérisseuse et j’avais donc droit à un yukata marron taupe symbolisant la terre, et les rebords couleur lavande symbolisant les plantes aromatiques utiles à la guérison. Je vêtais donc cet habit tous les jours. Depuis cette rencontre, je n’espionnais plus les Kuntaï. En rentrant chez moi, ma mère vint me voir. « Dond estabs cheride ?
- Fiu ah voer leas lavedans, mi buscabs?
- Nuo.¹ »
Je fis un « ah » et partis vers ma tente. Au grand désespoir de mes parents, je n'avais pas de petits frères, ni de petites sœurs, ni de grands frères et sœurs . Moi, ça ne me dérangeait pas plus que ça… Mon dîner m’attendait et je courus vers lui. Je pris mon bol de soupe et bus goulûment. Je venais à peine de finir ma coupelle que le Cultivé fit un rassemblement autour de son chapiteau. Comme à chaque saison de feuilles rouges, il choisissait une fille de minimum 10 ans pour lui apprendre la langue commune. Moi, avec chance, je n’en avais pas besoin, vu que mon père la pratiquait souvent. Cette année, ce ne fut pas moi, mais la fille de l’amie de ma mère. Je me demandai comment elle allait terminer l’année…
¹«Où étais-tu, Chérie ?
- Aller voir les lavandes. Tu me cherchais?
-Non.»
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