72. Vieille habitude
Les autres ne sont visiblement pas sortis, et je dois patienter pendant je ne sais combien de temps dans la même pièce que Daëgan.
Je m'assois sur le canapé, et nous nous observons en chien de faïence.
Au bout d'un moment, où je sens que la tension et les insultes non-dites sont à leur comble, je lâche : "Tu regardes quoi comme ça ?
- Certainement pas toi, rétorque-t-il du tac au tac.
- Ah bon ? Donc je suis invisible ? je renchéris.
- Niveau importance et utilité, on pourrait dire que oui, récrimine-t-il.
- Dixit celui qui ne sert qu'à se plaindre.
- T'as un problème, ma belle ?
- Beaucoup. Et les trois quarts sont emmagasinés dans une seule personne qui se trouve juste en face de moi, je remarque en plissant les yeux.
- Quel honneur d'être si important pour toi, déclare-t-il.
- Quel soulagement de voir que ton égo est intact.
- Qu'est-ce que je disais ? Je suis important pour toi, me dit-il avec un sourire en coin et en clignant des yeux.
- Je disais quoi, moi ? réfléchis-je à voix haute. Ton idiotie te bouffe de l'intérieur, mon gars. Étouffe-la. Ou, plutôt, étouffe-toi.
- Ta gueule, crache-t-il.
- Eh! J'étais polie moi, j'ai dit aucune insulte mal sonante ! m'écrié-je.
- J'en ai rien à faire, je n'ai pas une telle patience ni une telle hypocrisie, moi, je dis ce que je pense sans filtres.
- Mais mon cas est pareil ! Sauf que je garde les règles de courtoisie.
- Toi ? Courtoisie ? Deux mondes entiers ! s'exclame-t-il.
- Excuse-moi ? m'offensé-je.
- Tu es toute excusée.
- Non mais j'en ai rien à foutre de ton pardon, enfant mal élevé ! explosé-je à moitié. C'est qui le moins courtois, ici ?
- Toi, sans aucun doute, m'injure-t-il en haussant la voix.
-Tête de--"
Athanase débarque dans la pièce, un sourcil levé et un sourire en coin. "Je vois que vous gardez vos habitudes plus qu'instructives... Tu allais dire quoi, cette fois-ci, Nuit ?
- Rien, bougonné-je.
- C'est ça, oui." Elle ricane et me jette un regard taquin. Je lui montre le doigt d'honneur. Atha éclate de rire et met ses cheveux en arrière.
Les autres arrivent et nous partons chacun dans les autres salles.
Après les quatre entretiens suivants, nous sommes renvoyés chez nous : le soleil commence à décliner et traverser la mer sans lumière est extrêmement dangereux, apparemment. Nous reprenons ces cachets dégueulasse et retournons à l'eau.
Nous plongeons dans les eaux quand le soleil est encore au-dessus de l'eau, mais nous nous précipitons, parce que d'après Hyale, on a maximum une "heure" avant qu'il ne fasse nuit.
Quelques temps plus tard, nous nous hissons hors de l'eau. Mes papiers ne se sont pas mouillés, je ne sais par quel miracle, mais tant mieux. Nous rejoignons le palais, et la froideur nocturne s'installe bientôt.
On nous dirige dans nos chambres respectives, mais avant de nous quitter, on se donne rendez-vous dans un tdh, où il faudra faire le point sur ce qu'on a appris.
Dans ce laps de temps restreint, je mets des habits plus chauds, et Daëgan, ayant lui aussi froid, utilise sa "magie" de Soleil pour nous réchauffer. On a donc un mini-soleil flottant dans la pièce. Je trouve ça plutôt pratique.
Je me tresse encore une fois les cheveux et profite du silence au soleil.
Mon colocataire est lui aussi gelé, donc il se tait lui aussi. On évite de se regarder, pour empêcher de reprendre la conversation tendue de la salle d'accueil. Tâche qui se résout à être impossible, visiblement, car seulement après cinq minutes occupés à nous réchauffer, on recommence à parler.
Je ne sais même plus quel était le sujet de conversation principal, s'il y en avait un. Mais le fait est qu'on ne fait que s'insulter.
Mais au bout d'à peine dix minutes, on tente de parler d'autre chose, parce que ça finit par nous énerver, de se faire chier mutuellement.
On commence donc à discuter sur la hiérarchie ici, mais nous dérivons bientôt sur son frère et Hyale. Et là, c'est reparti pour se friter : "Non mais tu pensais vraiment que c'était pas nécessaire de nous dire que tu savais que ça existait ? le sermonné-je. Ou au moins que tu connaissais Hyale ?
- Tu crois vraiment que c'est facile de se souvenir d'un truc qui a eu lieu il y a huit ans ?
- Si tu n'as pas été influencé par un Dieu, oui ! Je me souviens de tout, à partir de mes trois ans, moi !
- Excuse-nous, mademoiselle, se défend-il. On a pas tous une super mémoire !
- Et moi qui me disais que j'avais une mémoire défaillante... "
On continue à se lancer des regards noirs, mais on se tait, cette fois-ci. Les mots mal sonnants non dits flottent entre nous. Mais ils restent non-dits.
Je suis sur le point de m'endormir quand les autres toquent à la porte. Je me relève rapidement et vais leur ouvrir silencieusement. Daëgan s'est vraiment endormi, lui.
Azraël sourit à la vue de son ami, et ils s'assoient tous sur le lit. On commence à parler silencieusement, sur les choses banales et habituelles, en attendant qu'il se réveille.
"Vous trouvez ça comment, ici ? je demande.
- Différent." répond immédiatement Gad, suivi des hochements de tête de la part des autres. Et on part dans une liste de choses qu'on trouve bien, et d'une liste des choses suspicieuses et pas forcément bonnes.
On se rend tous compte qu'on a remarqué que la Reine est extrêmement fausse, ce qui dirige la conversation sur des théories invraisemblables, mais c'est amusant.
Un mouvement de la part Daëgan nous indique qu'il émerge de son sommeil léger. On se retourne tous vers lui et on se tait, en suspens.
Il ouvre enfin ses mag-, euh, yeux et son regard perçant se pose sur moi. Mais je vois aussi une petite brume recouvrant ce coup d'œil, comme s'il était drogué.
"Ça va ? m'enquiert-je avec une pointe d'inquiétude.
- Je me sens un peu dans les nuages... exprime-t-il avec une voix blanche et endormie.
- Et... l'encouragé-je.
- J'ai l'impression d'avoir avalé un breuvage somnifère... continue-t-il, de plus en plus pâle et endormi. Et j'ai envie de manger quelque chose... Mais en même temps ça me donne la nausée rien que d'y penser... J'ai l'impression d'avoir respiré cent-cinquante litres d'encens...
-Ok... Atha ? Tu peux aller demander un thermomètre à Hyale ? Fais attention à ce que la Reine n'en sache rien... Et du gingembre ou de la camomille si possible, j'ordonne.
- J'y cours." affirme mon amie, qui est devenue mon assistante au cours du temps.
Je hoche la tête et passe ma main sur le front de Daëgan, mais je me souviens aussitôt que les mains sont souvent des mauvais indicateurs de température et je pose mes lèvres à la place de mes doigts. Je suis entrée dans cet état de guérisseuse, indifférente à tout, analysant les faits sans me soucier de quoi que ce soit.
Au contact de ma bouche sur le front, je sursaute. Il est brûlant ! Comme si... Une idée me traverse l'esprit.
Je plante mes yeux dans cet océan de bleu-vert-mordoré magnifique, où je perçois la souffrance et aussi... la peur, l'inquiétude. Je prends ses mains, gelées. Et je passe mon regard sur ses extrémités : orteils, bouts des doigts...
Ils tressaillent presque imperceptiblement. Comme si Daëgan voulait partir.
"Daëgan. Est-ce que tu ressens un tiraillement en toi ? Comme si tu devais absolument aller à un endroit ? le questionné-je.
- Nuit... m'avertit-il, comme s'il ne pouvait pas me le dire.
- Vas-y, cours. Va le voir. On t'attend ici, indiqué-je au moment où Athanase apparaît dans l'encadrement de la porte, avec un thermomètre et de la camomille.
- J'ai pris ce que je pou--" Elle hausse les sourcils à la vue d'un Daëgan partant comme une furie vers je-ne-sais-où.
Dylan l'observe, mi-surpris mi-inquiet. Puis il m'adresse un regard interrogatif. Je hoche la tête, lui demandant silencieusement de le suivre à distance, mais avec dissimulation. Et de faire en sorte qu'il ne soit pas dérangé.
Parce que si quelqu'un se met en travers de son chemin, il ne fera pas long feu. Pas quand un enfant doit aller rejoindre obligatoirement son père génétique.
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