50. Douleur agréable

Mon cerveau s'arrête un instant. 

Qu'est-ce qu'il vient de se passer là ? 

Daëgan ? Qui vient de me donner un conseil sur la vie  ? Un conseil profond, avec de l'inquiétude dans la voix ? 

Nan, impossible. J'ai vu son premier regard. 

Du dégoût. De la peine, et de l'exaspération. Après il l'a masqué. Mais au tout début, je suis certaine d'avoir vu tout ça. 

Sûre ? Tu n'as même pas daigné de lever ton regard vers lui, tu regardais le sol.

Tais-toi ! fais-je à la voix dans ma tête.

Je me maudis intérieurement, d'avoir cette pointe d'espoir, car je ne peux donner tort à la voix, malgré tout. Je n'ai pas vraiment regardé. J'avais presque honte qu'il me demande ça. 

Même si je ne devrais pas. 

« Paisajanea. Tu m'as entendu ? me demande Daëgan en s'approchant.

—Qu'est qui te fait croire que ce n'est pas déjà peine perdue ? rétorquè-je en osant le regarder dans les yeux.

— Parce que je te vois encore, dit-il en s'approchant encore plus. Et crois-moi, même si je te méprise énormément, il y a un respect que je te dois, c'est d'être restée qui tu étais malgré toutes les moqueries reçues à cause de ton don.

— J'ai changé, Daëgan. Je suis devenue plus froide, sèche et énervante, parce que je me suis accrochée à la partie qui ne s'est pas faite détruire par toutes ces personnes. Alors, peut-être que j'ai de la personnalité pour toi, mais tout ce que tu vois, c'est tout ce qu'il reste. Alors, oui, Daëgan, il est trop tard. J'ai perdu les meilleures parties de moi-même, et je me suis accrochée à celles qui ne se sont pas faites critiquées, parce que je les cachais. Parce que je les détestais. Donc personne ne pouvait s'y attaquer. Résultat : on m'a pris les bonnes choses, et je me suis accrochée aux mauvaises. 

— Je n'en crois pas un mot, affirme-t-il avec véhémence. Parce que je sais ce que ça fait de perdre une partie de soi, et de garder toutes les mauvaises, pour les utiliser à mon encontre et après construire un masque. J'ai essayé de l'arracher, ce masque, Nuit. Mais à chaque fois que je dévoilais une partie, on l'a utilisé pour me faire du mal. Donc, maintenant que tous connaissent mes mauvaises parties restantes, on a fini par les rendre insignifiantes et impersonnelles. Donc j'ai fini par les lâcher. Donc, crois-moi quand je te dis qu'il y a encore des parties chez toi. Même si ce sont les mauvaises. C'est quelque chose. Et avec une goutte de quelque chose, tu peux tout rattraper.»

Je réfléchis aux mots, étranges quoique réels et sincères, de Daëgan. 

C'est rare de parler comme ça, avec tant de respect et de compréhension, avec lui. 

Mais, à force que se battre constamment, on finit par se vouer un respect mutuel.  C'est ce qu'on dit toujours, je sais, mais c'est vrai. 

Un raclement de gorge nous fait sursauter et je me rends compte qu'on était étrangement près l'un de l'autre. Nous nous séparons abruptement et nous nous tournons vers Athanase, qui vient de se réveiller. 

Heureusement, les autres sont toujours dans la vision. 

Le regard améthyste d'Atha passe de l'un à l'autre, essayant de déchiffrer nos expressions et par conséquent deviner ce qu'il s'est passé. 

«Je viens de vous interrompre alors que vous étiez en pleine conversation respectueuse et psychologique, c'est ça ? fait-elle en levant les yeux au ciel. 

— Euh... On pourrait dire ça... je lui réponds. 

— Ah ! J'aurais dû me réveiller plus tôt ! Foutue vision !»

Nous échangeons tous les trois un regard à l'allusion de ce que nous avons vécu dans nos esprits respectifs. Et c'est là que la conversation s'enchaîne, sur le thème de nos visions, sur nos théories de ce que c'est, et sur ce que nous avons vu. 

Petit à petit, Azraël et Gad rejoignent la conversation. Personne ne parle de l'attaque de panique d'Ellunia. Personne ne la vue, donc. 

Le point commun : elle se sont toutes terminées sur une vision qui commençait. 

Athanase est la plus silencieuse. Logique, puisqu'elle sait beaucoup de trucs mais qu'elle ne peut ou ne veut pas nous le dire.

Le moment fatal arrive : Gad et Athanase, qui commençaient à se rapprocher de plus en plus l'un à l'autre, finissent par s'embrasser.

On lève tous les yeux au ciel, surtout parce que ça n'a rien à voir avec la conversation.

« Bon Dieux, vous pouvez pas vous mettre en veilleuse vous deux ?! s'exaspère Daëgan.

— La ferme, ils sont heureux.» l'incitè-je.

Mon cœur se réchauffe quand je lui donne un coup de coude.

Qu'est-ce qu'il se passe avec moi ?

Avant je ne ressentais rien sauf de l'énervement.

Pas... Ça.

Je secoue la tête.

« Bon, moi je vais aller manger quelque chose, il se fait tard...»

Je me dirige vers la cuisine, demande une collation, engloutis mon repas, et pars vers ma chambre.

Je me douche, je me lave les cheveux, les tresse, me mets en pyjama (c'est comme ça qu'Athanase les appelle, ces tenues confortables pour dormir) et pars dans mon lit.

Mes cheveux mouillés me refroidissent, mais les couettes autour me réchauffent.

Je sombre aussitôt dans un sommeil profond.

***

Le lendemain.

Aujourd'hui, il neige.
Je mets un pantalon bien chaud, assez ample, noir avec un haut à manches longues, noir aussi et un pull en laine, noir lui aussi et j'enroule une écharpe autour de mon cou.

C'est fou comme ils sont bien équipés en hiver ici !
Je fais des étirements, et retire mon écharpe après m'être rendue compte que ce n'est pas du tout pratique.

Je me dirige à ma salle d'entraînement, où j'enlève mon pull pour une meilleure agilité.

Aujourd'hui : combat rapproché au couteau.
C'est mon exercice préféré, après le sabre.

L'agilité et la rapidité est fondamentale, mais il faut aussi savoir aller lentement et comprendre ce qu'on peut faire.

J'aime le fait de sentir le danger, mais aussi de réfléchir à une issue.

Par exemple, comment sortir d'une situation où quelqu'un tient un couteau contre ta gorge.
C'est vachement dur à appliquer, et encore plus à expliquer.
Il faut juste se coordonner avec ton adversaire, faire partie de lui d'une manière spéciale, puis retourner cette arme contre lui.

L'entraînement se termine, avec beaucoup de sueur et quelques coupures.
Inaki me met des compresses et désinfecte les plaies, avant de me renvoyer dans mes appartements.

Je fais des étirements, des exercices de relaxation que je fais depuis mes treize tdp, et quelques renforcements musculaires, comme des pompes, la planche et autres.

Après ça, je me change pour avoir une tenue plus chaude et pars rejoindre Athanase pour notre marche dans le monastère, où l'on parle de tout et de n'importe quoi.

Nos pas nous emmènent inconsciemment vers la sortie, direction la Grande Bibliothèque.

Nous échangeons un regard.
Un sourire complice.
Nos jambes se mettent en marche automatiquement, on se pousse et on roule par terre dans les champs, direction le bâtiment majestueux à un kilomètre de là.

La dernière qui arrive là-bas devra un service à l'autre.
Sauf que, même si j'ai plus d'entraînement en tant qu'humaine qu'Athanase, je n'avais pas compté sur le fait qu'elle était aussi bonne pour rattraper les personnes et les jeter à terre.

Les quelques personnes aigries que nous croisons sur notre chemin nous incitent à arrêter, silencieuse quoiqu'autoritairement.
Nous nous arrêtons, le temps que ces personnes passent, riant et reprenant notre souffle.

Mais dès que la voie et libre, la course reprend.

Je pense que c'est la première fois que je suis aussi heureuse et hilare dans ma vie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top