Je vois le regard d'Athanase céder à la panique.

Elle se précipite directement vers la mère d'Azraël, qui est toujours à moitié inconsciente.

Je m'approche, calmement, parce que je vois qu'elle respire encore, elle ne fait que dormir.

Athanase est horrifiée, tandis qu'Inaki qui apparaît de nulle part commence à rire avec dissimulation.

Je lui jette un regard noir.
Il se moque de mon amie qui est bien trop sensible.
Ah l'imbécile.

« Atha, tout va bien d'accord ? Elle respire encore. T'as parfaitement bien dosé, t'inquiète pas.

— Mais... mais... bafouille-t-elle angoissée, Et si j'avais laissé mon emprise pendant quelques secondes de plus ? Hein ? Et si j'avais perdu le contrôle ? Et si–

— Hey, lui dis-je. Calme-toi. Ce n'est pas arrivé. Tu as assuré. T'es trop forte d'accord ? En plus là ton corps se sent vulnérable parce que tu peux être blessée. Gravement. Donc c'est normal si t'as un peu forcé mais, encore une fois, t'as eu tout sous contrôle et tu ne vas plus jamais avoir peur de le perdre, parce que ça ne va pas arriver. Compris ? »

Elle inspire profondément et hoche la tête. Je l'enlace pour la réconforter.

Athanase est la typique personne qui n'a pas confiance en soi, qui n'est pas à l'aise dans sa peau et qui a du mal avec son physique et sa personnalité.

Même si grâce à Gad, elle s'aime un peu plus, mais ce n'est toujours pas fameux.

Pourtant, elle réussit à dégager un aura sûr de lui et d'une présence notable.

Et en étant immortelle, elle est obligée à s'aimer un peu ou du moins à montrer qu'elle s'aime, parce que sinon elle vivra toute une éternité de misère et ça, elle l'a compris et elle ne veut pas.

Pendant cette étreinte et cette liaison de confiance et de réconfort que nous avons établi, ou plutôt, que j'ai établi, Edana s'est reveillée et a réussi à se mettre sur pieds.
Inaki vérifie si elle va bien, mais elle le chasse bien vite.
Son orgueil est bien trop important.

« Athanase, déclare Inaki, tu es humaine pendant une semaine, n'est-ce pas ? Pendant cette semaine tu vas avoir sûrement très peur, mais justement, on est là pour t'entraîner, d'accord ?

— Oui.

— Parfait. Montre-moi ce que tu sais faire. » 

Atha fronce les sourcils et m'adresse un regard dubitatif. Elle ne sait pas si elle doit se lâcher. 

Je hoche quasi-imperceptiblement la tête et regarde attentivement ce qu'elle va faire. D'abord, rien. Puis un léger changement de pression dans l'air. 

Des sorcières se forment. L'Immortelle a ouvert les yeux, mais ils sont vitreux. Blancs. Comme si une couche de pâte grisâtre avait recouvert ses globes oculaires. 

Puis, elle lève une main et une sorcière tourbillonne sous sa paume. Sa main part d'un coup vers l'avant. La mini-tornade se dirige à une vitesse fulgurante vers Inaki, qui a à peine le temps de réaliser ce qui se passe qu'il se retrouve emprisonné dans une prison d'air. 

Je vois son physique changer.

La pression.
Athanase l'a augmentée, ou bien diminuée.
Merde.
Merde merde merde merde. 

Elle ne fait rien.
Elle est toujours dans cet état second. Si dans quelques secondes elle continue comme ça, Inaki ne va pas survivre. 

Je me précipite vers mon amie et lui prends le bras.
Je la secoue vigoureusement. « Athanase ! Atha ! Ma petite immortelle à la crème de myrtilles ! Réveille-toi bon sang ! Tu ne veux pas que Inaki meure, hein ? Reprends le contrôle ! Il est là ! Tu peux le faire-»

Je suis propulsée en arrière. Vers Inaki. Oh non. Oh non, non, non. 

Je pénètre la tornade mais, à ma grande surprise, rien ne se produit. Pas de vent ni rien. Juste... du vide. 

Je vois Inaki me sourire, Athanase rire et puis soudain, un voile noir couvre mes yeux et je sens à peine des bras me rattraper.

*** 

Jürgen ! Jürgen ! 

Je cours, je slalome entre les arbres à sa recherche. Où se cache-t-il ? Il ne faut pas qu'il s'approche de la mer. De l'océan. Sinon, il va le sentir. L'Appel. 

Et s'il le sent, il va le suivre. Et va devenir un Jürgen. Ironique, n'est-ce pas ? 

J'accélère. Ma combinaison noire reflète la lumière du soleil, me rendant quasiment invisible. Juste un éclair de lumière obscure. 

Car, c'est ce que nous sommes, nous autres, membres de la Création. 

Pourtant, je peux sentir que quelqu'un m'a remarquée. Neven. Sûrement. Il a dû remarquer mon absence dans la tente. 

Raison de plus pour aller vite. Hors de question que je retourne là-bas. Je préfère mille fois aller sur le Continent que de retourner dans cette misérable prison. 

La forêt se sépare et c'est là que je le vois. 

Jürgen. Sur le bord d'une falaise. Attentif à l'Appel. Je le sens aussi, mais léger. 
Ce qui signifie qu'une seule chose.

Notre heure n'est pas encore venue. La cheffe de la Nouvelle Création doit passer le deuxième cap, puis le troisième. Nous avons encore le temps.

Mais alors que fait Jürgen là ? Fait-il vraiment partie de La Création ? Pourquoi ne bouge-t-il pas ? 

J'allais l'appeler, quand une fléchette se plante entre mes omoplates. 

Maudit Neven. 

***

Je prends une grande bouffée d'air et me redresse d'un coup. 

Que s'est-il passé ? 
Encore une vision du même style ? 

Même type d'habits. Même voix, même sensation. Et pourquoi tout me semble-t-il tellement familier ? 

Je vois Athanase penchée vers moi, intriguée et en même temps... Compréhensive. 

Inaki, quant à lui, est inquiet et troublé. 

« Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Ça fait au moins dix minutes que tu es à semi-consciente, murmurant et bredouillant des mots incompréhensibles. Jürgen, Neven ! C'est quoi ça ? Paysan et Ciel !

— Je euh... 

— Des prénoms, sans doute, intervient Athanase, me sauvant. Mais c'est pas grave, si on ne comprend pas. Il faut d'abord s'assurer que tu ailles bien, pas vrai ?» Inaki la lorgne avec suspicion mais laisse passer ce coup-ci. 

Il vérifie si je ne me suis rien cassé, si je n'ai pas de séquelles cérébrales puis m'explique ce qu'il s'est passé.
Pas en rapport avec la vision, hein.
Mais avec les trucs chelou d'Atha.

En résumé : Je suis entrée dans la tornade au même moment où Athanase a décidé d'arrêter. Heureusement, tout était sous contrôle. 

Pour les quelques minutes qui suivent, je dois rester assise, pour éviter de re-avoir une vision bizarre. 

Athanase montre donc à Inaki son talent en métamorphose. Elle sait se changer en chat noir avec des yeux blancs comme la lune, en colibri et en libellule. Elle sait aussi faire les trucs qu'à moitié, par exemple, uniquement faire pousser des griffes à la place de ses ongles, ou encore avoir des ailes de libellule et la taille d'un colibri. 

C'est assez marrant de la voir diminuer de au moins 1m50. D'avoir une mini-Athanase. 

Après cet épisode plutôt comique et relaxant, vient la partie la plus difficile. 

Le dioxygène. 

Et pour s'entraîner, il faut se risquer à accidentellement tuer des personnes. 

Quel dommage qu'Amel ne soit pas là pour être un exemple ! 

Mais bon, on a un Dieu, donc c'est plutôt sécurisé. Enfin, comme on peut. 

D'abord, ce qui est très étrange et surtout glauque, c'est que Athanase se transforme physiquement en quelqu'un qui est en manque d'oxygène. Je veux dire par là que ses yeux s'exorbitent, que des veines violettes se marquent excessivement sous ses yeux, sur son front et sur sa gorge, que ses lèvres se sèchent, deviennent bleues-violettes et se gonflent, que ses yeux se révulsent ou se teignent de couleur blanche, et que sa respiration disparaît. Ou du moins, le bruit, lui, disparaît. 

Intéressant, mais assez dégoutant. 

Athanase prend un air concentré (je ne sais comment je peux le voir, parce qu'on dirait qu'elle est morte) et dirige son attention sur Inaki. 

Tout à coup, il se cambre en deux, se tient la gorge et halète. Il essaye désespérément d'avaler une bouffée d'air, mais celui-ci arrive sans dioxygène. Inaki perd connaissance, ou du moins presque, mais Athanase arrête et envoie, cette fois-ci, un peu plus de dioxygène dans l'organisme d'Inaki. 

Ce dernier respire profondément et s'allonge sur le sol, pour se calmer. 

Je ne sais pas ce qui me confond le plus. 

Que mon amie soit capable de manipuler une personne de cette manière là; qu'elle soit plus puissante qu'un Dieu ou bien qu'Inaki se montre tellement affecté par le manque d'air. 

Dans tous les cas, une chose est sûre : il ne faut pas faire chier Athanase.