2. La MOTHSPRACHE
J'ouvre les yeux et je suis aussitôt aveuglée par la lumière de cet endroit. Je suis allongée sur des dalles de marbre.
J'entends des voix. Je me relève sur les coudes et regarde autour de moi. Je suis chez les Kuntaï.
Ce n'était donc pas un rêve. Je suis foutue. Vraiment.
Azraël, ses yeux gris inquiets, arrive et s'accroupit à côté de moi. « Ça va ? »
Je le regarde sans répondre, perplexe. « Ça va ? »
Il répète sa question.
Je suis encore plus perplexe mais surtout colérique. Oh que oui, je suis vraiment colérique.
Alors, sans plus penser, j'explose en me levant d'un bond: « COMMENT VEUX-TU QUE J'AILLE BIEN ? J'AI TRAHI MON PEUPLE, JE ME SUIS FAIT SÉQUESTRER PAR VOS IMBÉCILES DE KUNTAÏS, DAËGAN M'A DÉNONCÉE, JE ME SUIS DONC FAIT AVOIR ET TOUT ÇA FAIT DE MOI UNE FILLE DE CAFARD !!! ALORS, À TON AVIS, JE VAIS BIEN ? »
Azraël est devenu livide.
J'ai insulté les plus grands maîtres du monde guerrier. Alors là, je me demande comment je vais échapper à la mort, parce que tous, sans exception me regardent d'un regard noir.
Il y en a un qui s'approche et me dit, de mauvaise grâce bien évidemment : « Shaolin Kuntaï souhaite vous voir. » Il se retourne en me faisant comprendre de le suivre.
Et, faute de choix, je lui emboîte le pas. Je traverse de longs couloirs de marbre et d'or sous des regards méprisants, dédaigneux, curieux et parfois même dégoûtés.
J'arrive enfin dans une salle baignée de fumée d'encens.
Mes yeux me piquent, j'ai envie d'éternuer.
Un homme se tient devant moi, assis sur un fauteuil, ses mains pâles posées sur les accoudoirs, les yeux gris-bleus me fixant, ses cheveux noirs rassemblés en chignon bien serré, habillé d'un kimono jaune orangé avec les bordures jaunes et une ceinture rouge.
Il émane de lui une aura supérieure et je déteste ça. Il fait signe à l'autre de partir d'un geste de la main et une sensation d'inquiétude me gagne petit à petit.
Son regard est comme une lame tranchante qui essaye (j'ai bien dit essaye) de me rendre vulnérable.
Sur mes gardes, je place mes barrières avant de me rendre compte qu'elles sont déjà postées.
Soudain, un détail me frappe. Je n'ai plus aucun souvenir de comment les Kuntaï m'ont capturée.
Je commence à me lasser du silence, je prends donc la parole sans réfléchir à ce qui va m'arriver si je le provoque: « Quoi ? T'as un problème ? Pourquoi tu me regardes avec cet air de lion ? » Son visage devient rouge de rage et, en moins de deux, il me tient par la gorge.
Le vent que je contrôle le fait reculer mais le Shaolin Kuntaï le rompt comme un fil.
Je me baisse juste à temps et m'empare du sabre qui pend à sa ceinture. Ou, du moins, j'essaye.
Il m'envoie au sol comme une vulgaire mouche. Je roule sur le côté et me relève. Il me regarde, stupéfait.
« Bonjour. »
Il parle, ce gars ?
« Bonjour. » Il me regarde comme si j'étais un monstre.
Combien de fois m'a-t-on adressé ce regard-là ? Il s'avance vers moi et me scrute, méfiant.
Il se retourne un peu sans pour autant me quitter du regard et interpelle : « Edana ! »
Une femme magnifique habillée d'un tomesode rouge bordeaux avec les bordures et le obi violets métallique sort de l'ombre et toise le "Shaolin" d'un regard noir.
J'ai l'impression de la connaître mais je n'arrive pas à savoir pourquoi.
Je sens énormément de méfiance envers elle.
Son aura est très intense et elle a quelque chose de bizarre.
Ses prunelles sont d'une couleur noisette qui me rappellent les feuilles mortes de la saison rouge et ses cheveux ont une teinte orange avec des mèches couleur sang.
Son épaisse chevelure est attachée en queue de cheval haute parfaite sauf deux grosses mèches qui encadrent son visage de poupée.
Ce dernier est tout lisse, sans aucune imperfection si on omet la cicatrice qui part d'un peu plus au-dessus de sa tempe, croise son sourcil et s'arrête sur la paupière.
Elle a un menton assez pointu, des lèvres pulpeuses et un nez aussi fin qu'on pourrait quasiment le casser en le touchant.
Lorsqu'elle se tourne vers moi, elle se fige et une lueur de peur et d'inquiétude danse dans ses yeux.
« Amel, que fait cette Paisajanea ici ?
— C'est Elle. Celle qui a failli tuer Daemon. »
J'ouvre grand les yeux. Euh.. je n'ai pas le souvenir d'avoir essayé de tuer qui que ce soit...
Je suis innocente. « Je crois que vous savez que je suis là, ou bien je suis invisible ? Je n'ai pas disparu, que je sache. » Tous deux se retournent d'un même geste.
La dénommée Edana est très surprise et en même temps apeurée.
L'homme sourit.
Un sourire sadique.
Je n'aime pas ça.
Quand je fronce les sourcils, son sourire s'agrandit. « Tu es au courant, noble Paisajanea, que tu as parlé dans la "Mothsprache"?» Je fronce encore plus mes sourcils.
Je ne sais pas comment réagir.
Je suis Paisajanea, j'ai des pouvoirs, parle facilement la langue des Kuntaï, quoi d'autre ?
Ça me fait presque peur. Presque.
Le dénommé Amel éclate de rire tandis que Edana sourit tout simplement.
Elle ressemble à Azraël.
Amel est presque sa réplique adulte.
Cela voudrait-il dire que...? Punaise.
Les yeux gris d' Azraël sur Amel, le visage sans imperfection d'Edana se reflète sur celui de... leur fils?
Oh purée.
Je ne réalise pas.
C'est juste impossible.
Comment ça se fait? La belle femme à qui je donnerait 20-25 ans a eu pendant 9 mois un bébé dans le ventre et ce bébé a maintenant 14-15 ans?
Enfin, c'est tout juste impossible qu'elle ait eu un enfant à 10 ans!
Le sourire d'Edana s'agrandit et elle secoue la tête l'air de dire que je me trompe, comme si elle avait lu mes pensées.
Notre espèce d'échange silencieux et coupé par l'intervention d'Azraël dans la pièce. Il est armé d'un de ces bâtons qui ont failli me casser les côtes avant que...avant... ben mince alors! Je ne me souviens plus de ce qui s'est passé ensuite.
Bon, bref, un de ces bâtons bizarres qui ont l'air d'être en bois mais j'en doute profondément.
Il avance avec un air de roi.
Son visage fermé se tourne vers sa mère (il n'y a plus de doute, c'est leur fils) sans même regarder son paternel.
Après avoir offert un magnifique sourire à Edana, ses yeux gris se posent sur moi.
Son regard me transpercent, comme s' il essayait de lire au fond de ma tête, puis ses lèvres se séparent pour me dire: « Tiens, montre à mon père que ça ne vaut pas la peine de te tuer, fillette ! »
Il me tend le bâton en m'adressant un sourire provocateur. Comprenant qu'il veut me provoquer je doute un peu avant de lui arracher des mains l'arme et lui flanque un coup dans les côtes, lui faisant perdre l'équilibre.
Je suis moi-même impressionnée par ma rapidité. Voyant qu'il se rattrape, j'enchaîne tout de suite avec un coup de pied qui l'atteint presque à l'épaule mais il esquive et part sur le côté en glissant sur le sol de marbre blanc. Je tourne sur moi-même et lui donne un autre coup de pied, cette fois au menton.
Sa tête bascule en arrière et il tombe par terre.
Ne perdant aucune seconde, je pose mon pied gauche à côté de sa cage thoracique et appuie mon autre genou sur son sternum.
Je mets le bâton en travers de sa gorge et appuie un peu pour pas qu'il ne s'échappe. Mon autre main est posée sur le genou de ma jambe gauche.
« Tu peux me donner un surnom respectueux, mais ne m'appelle plus JAMAIS fillette ! J'ai 16 ans, pour si tu me croyais plus jeune, gamin! »
Quand je termine ma phrase, je me rends compte que je n'ai pas parlé dans la Lingue Communeste, mais dans la Mothsprache.
Azraël paraît surpris, mais c'est difficile à dire parce que son visage est fermé, comme quand il est en présence de Kuntaïs.
Oui, je sais que je ne l'ai vu que trois fois dans ma vie, mais quand il était en présence de Daëgan, ce fils de cafard, il avait un visage tellement enfantin!
En réponse à ma prise de parole, Azraël hoche la tête et essaie de se dégager.
Je me relève et croise le regard désapprobateur d'Edana. Elle n'aime visiblement pas le fait qu'on frappe son fils. Nooooon, jure? Moi je serais totalement d'accord si je voyais mon fils se faire tabasser. Je rigole intérieurement.
Amel me tire de mes pensées : « Tu sais te battre. Les Paisajanea ne sont donc pas tellement incapables... Tu me vois surpris. Je te laisse un peu de liberté aujourd'hui.
Demain quand tu te réveilleras, tu viendras à la salle d'entraînement. Je te proposerai un marché. Viens demain et tu pourras vivre, sinon tu mourras.» Il est sympa le Shaolin! Et si je ne sais pas où c'est? Tant pis je m'en fiche. Je hoche la tête pour faire signe que j'ai compris. Amel ordonne à son fils de me raccompagner à mes appartements.
***
Je me réveille dans un lit qui ne m'appartient pas. Plutôt logique, vu que je n'ai jamais dormi dans un lit à baldaquins. J'ai dû me réveiller tôt, vu qu'il n'y a qu'une faible lumière qui perce les paravents. Je me redresse et, assise, je regarde autour de moi sans céder à la panique. Ce n'était donc pas un rêve. Je suis bien chez mes pires ennemis. En ignorant les habits mis à ma disposition, je m'habille prestement avec mon yukata, mon obi et mon pantalon noir collé à ma peau, sans oublier les sous-vêtements. Ce qui m'est déjà arrivé le jour de mes 15 ans, où j'étais dans une espèce de brume dense qui m'entourait. Le jour où mes sens se sont développés, où j'ai réussi à manipuler le plus Cultivé. Ah ça c'était drôle. Il faisait tout ce que je voulais, jusqu'à même aller à poil de l'autre côté de la frontière. Je ricane à ce souvenir. Je me souviens encore de sa tête quand je l'ai enlevé de mon emprise... Il était tellement fâché... Tant mieux pour lui, c'était ma revanche. Sortant de mes pensées, je quitte ma chambre, qui ressemble plutôt à un appartement avec salle de bain et tout, et me dirige vers je ne sais où. Même aux lueurs de l'aube, il n'y a personne dans les couloirs. Et moi qui imaginais que les Kuntaï se levaient tôt pour aller s'entraîner... Ah, enfin des personnes ! Je leur lance un « Bonjour ! » enjoué, qui est aussitôt suivi de chuchotements. Bon, ok, les gens sont asociaux, je vais faire comme eux, hein. Ils ne veulent pas avoir ma sympathie ? Pas de problème, je vais être désagréable avec eux, puisque c'est comme ça. Des servantes passent, et, au lieu de leur dire bonjour comme avec les autres, je leur jette un regard noir. Elles partent en accélérant le pas, comme si le diable était à leur trousses, mais qu'elles ne peuvent pas courir. Je m'approche vers une grande porte en bois ciré. J'aperçois à peine les souffles et les cris des personnes qui sont derrière. Ah, bah les Kuntaï se lèvent plus tôt que ce que je croyais. Me fichant de ce qu'il y a derrière, je pousse le battant et arrive au beau milieu d'un entraînement. Tout le monde s'immobilise et me regarde, surpris. Je vois Amel qui est sur une espèce d'estrade, où l'on monte avec des marches. Ce dernier les descend en souriant. Il me tend un Rokush et me dit en souriant : « J'ai suivi les indications de mon fils et il m'a dit qu'il valait mieux ne pas te tuer. » Il ne me laisse pas le temps de répondre et continue : « J'ai donc décidé de te faire du chantage. Et pas n'importe quel chantage. Un chantage qui m'arrangerait dans tous les cas, bien sûr, en tant que Shaolin. Alors, qu'en dis-tu ? » Il me fait un sourire féroce, mais j'y réponds avec dédain : « Allez-y, vous ne me faites pas peur. » Des chuchotements sont déclenchés au milieu des Kuntaï . Normalement, personne n'a le droit de parler ainsi au grand maître. Mais moi j'en ai rien à faire. Je croise les bras, signe de mon impatience. Le Shaolin ricane et me fait part de son chantage: « Soit tu te fais embaucher à la maison de passe, soit tu deviens ma demoiselle d'honneur où aucun écart de conduite sera accepté, je peux aussi te tuer, mais ma dernière proposition est encore mieux. T'entraîner dur comme un homme pour pouvoir partir massacrer les tiens. Choisis vite, sinon c'est moi qui le fais à ta place. » Un plan naît dans mon cerveau. Je souris et lui prends brutalement le Rokush. Je reste quelques secondes silencieuse, puis je lui donne ma décision : « Sache que je préfère m'entraîner plutôt que devenir ta catin, ni celle de qui que ce soit d'autre. » Je murmure pour moi même: « Crois-moi, tu le regretteras». Je suppose qu'il m'a entendue, parce qu'il pose son regard sur moi en me souriant avec amusement et hoche la tête l'air de dire « Ouais, c'est ça. » Il me fait signe de le suivre et gravit les marches de son estrade. Il commence à partir dans son discours : « Mes chers soldats. J'ai l'honneur de vous présenter cette demoiselle qui a choisi -je toussote et lui montre presque le doigt du milieu- de devenir l'une des nôtres. Traitez-la comme si c'était un homme, ne lui donnez aucun répit si un jour elle vous provoque. Ne la sous-estimez pas. » Je lève un sourcil, amusée. Me craint-il ? Ah bah ça c'est drôle. Je rigole en silence tandis qu'il part dans sa prise de parole absolument égoïste et insultante envers mon peuple. Il nous traite de couards, d'êtres pourvus d'aucune intelligence, d'insectes. Je souris méchamment et regarde l'arme qui se trouve dans mes mains. Oh que oui, tu vas le regretter mec. Je lève discrètement le bâton, et, avant que personne ne se rende compte de ce que je m'apprête à faire, j'envoie un énorme coup de Rokush dans les côtes de ce cher imbécile. Il n'a pas le temps de l'esquiver et tombe à plat. Les guerriers poussent un cri de surprise et d'indignation. Je pose un pied sur le dos de mon ennemi et lui dis, à voix haute : « Si jamais tu recommences à insulter mon peuple natal, je te promets que sur le champ de bataille, ce ne sera pas eux que je tuerais, mais vous tous. Ainsi, tu réfléchiras deux fois avant de parler si tu as ne serait-ce qu'un peu d'empathie pour ta société. » J'enlève ma botte noire et descends les marches tranquillement. Je me retourne et arrête avec la main le projectile qui m'était destiné. Je l'arrête avec une main de glace. Tout le monde est ébahi par ma puissance, mais je n'en ai que faire. Je quitte cet endroit et referme le battant. Tandis que je fais mes premiers pas dans le couloir, je vois cet imbécile de Daëgan en train de parler avec une fille qui doit avoir mon âge.Ses yeux sans émotions se fixent dans les miens et me font frissonner. Il me fait très froidement signe de venir. Ravalant ma rage et mon dégoût, je m'avance vers eux et dis sèchement: « Qu'est-ce qu'il y a ?
- Bonjour Étrangère. Je te présente ma demi-sœur, Athanase. Atha, voici la Fille sans Nom. »
Sans répondre au salut de Daëgan (qui m'a beaucoup surprise d'ailleurs), je regarde Athanase. Par politesse, je lui tends la main, tandis qu'un sourire timide illumine son visage pâle. Pâle, que dis-je! Aussi blanc que la neige. Elle glisse sa main dans la mienne et je sursaute. Je regarde cette étrange fille et commence à me douter qu'elle n'est pas une simple humaine. « Qu'est-ce que t'as ? T'es malade ? Ça va pas ? » Elle me sourit encore plus. Un sourire un peu amusé. « Oui, je vais très bien. Je ne sais pas si je peux tomber malade, d'ailleurs. » Je suis très déconcertée. C'est quoi cette meuf ? Là c'est sûr, elle n'est pas humaine. Elle rit et me regarde de nouveau dans les yeux. Ses yeux ne sont pas humains. Ses yeux sont tout simplement des améthystes. Violets avec des taches argentées. Sa voix est presque la même que celle d'Edana, sauf qu'elle est plus aiguë et plus mélodieuse. « Tu n'es pas humaine, Athanase » Surprise, elle perd son sourire, qui revient aussitôt. « Tu as une vivacité d'esprit surprenante. Réfléchis un peu à mon nom, Paisajanea. Je suis sûre que tu vas trouver. » Encore plus décontenancée, je recule en lâchant ma main de la sienne. Elle a une poigne de fer, celle-là ! Je me mets à penser. Si Edana veut dire feu, c'est qu'elle est la déesse du feu. Athanase doit avoir à voir avec son être. Sa peau gelée, sa voix douce, aigüe, mélodieuse, ses pupilles quasi invisibles, lui donnent un regard dénué de vie. La petite ampoule s'allume dans ma tête. Mais je reste choquée. J'arrive à peine à murmurer : « Athanase... Immortelle... tu es une immortelle. » Elle me fait me redresser et me regarde fixement. « Oui, enfin, on n'a jamais essayé de me tuer mais à mon avis oui.» Ma mâchoire se décroche.
(Voilà pour le 2e chapitre, très long d'ailleurs, si vous avez vu des erreurs dites-le moi svp!)
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