Chapitre - 5
Magnifique. C'est le premier mot qui me venait à l'esprit. D'instinct. Il était inutile pourtant, éphémère, mal employé. Il tremblait, il vacillait comme un veau qui vient de naître, il ne faisait pas vraiment sens. L'aurore se levait d'un horizon couché au sol, dansait à la base d'un point lumineux au pied du ciel, rougeoyait le dessous des nuages.
C'était la première aurore à laquelle je faisais parti.
Parti. J'étais parti.
La gamine étrange marchait à côté de moi en fredonnant l'air d'une chanson qui m'était étrangère. Ses pieds étaient si légers sur le sol qu'ils ne laissaient même pas d'empreintes comme si la Terre elle-même refusait à se rendre compte de sa présence.
Les miens laissaient une marque estompée, mais bien visible d'une forme étrange qui semblait à la vision que je m'était faite des pieds du yéti dans le roman de Lovecraft, un ovale arqué, difforme, et cinq points qui le précédait.
La maladie m'avait jusqu'à lors empêché de marcher souvent et sur d'aussi longues distances mais ce qui me perturbait le plus ce n'était pas temps de me déplacer depuis aussi longtemps sans me sentir essoufflé ou la poitrine alourdie d'une douleur sourde, mais, la sensation du monde sous la pointe de mes pieds. Ma peau prenait conscience du moindre changement de forme, de texture, de température. Il était si différent et pourtant si agréable de découvrir la présence d'une herbe légèrement mouillée de rosée sous ses pieds ou la douceur de la mousse, le lisse des pavés usés par le temps... On avait quitté Paris depuis un moment déjà. Exit les bâtiments en cartons et les immeubles de papiers mâchés et les foules trop grande pour ne pas oublier d'exister. Paris la ville lumière, Paris la ville prison. Paris où tout le monde se pressait dans l'espoir d'effleurer le rêve de la capitale française. Paris et ses appartements en cage à lapin, et ses monuments dorés et ses ruelles sombres. Paris et ses pigeons agressifs aux yeux presque aussi vides que ceux des passants. Paris qui tentait de faire croire aux oiseaux qu'ils pourraient voler alors qu'une cage, même avec les barreaux sertis de pierre précieuse demeurait une cage. Au loin je voyais les hauteurs désordonnées des villes de la petite couronne. Leurs bâtis semblaient posés à la va vite comme des jouets d'enfants et sans grande réflexion. Peut-être comme une colonie de champignons aussi, une végétation parasite qu'on avait pas su maîtriser à temps, des mauvaises herbes coriaces et amères et cernées de bitume. Le bazar formé donnait à voir une population qui grandissait trop vite pour qu'on puisse réellement la contrôler à la manière d'une pandémie et des infrastructures avec un point de côté à force d'essayer de rattraper sa vitesse. Mais nous on était sur un petit chemin de terre, au milieu de nulle part, une route pas encore goudronnée mais qui le serait un jour au train où allait les choses. En parlant de train on voyait une ligne de chemin de fer pas si loin mais elle était silencieuse et déserte. Sans doute que les trains devaient dormir eux aussi.
"- La grande majorité du monde doit encore dormir à cette heure-ci.
- La grande majorité du monde ? Non. Quand le soleil se lève ici c'est qu'il se couche chez d'autres, de sorte à ce que la moitié de la planète s'endort toujours au moment où l'autre se réveille. Ils sont un peu comme le Soleil et la Lune, et ne peuvent jamais se croiser." elle ne me regardait pas mais j'avais la sensation qu'un sourire étrange ourlait ses lèvres alors qu'elle prononçait ses mots.
J'essayais de réfléchir à ce qu'elle venait de dire, à une terre ronde qui tournait sur elle-même encore et encore comme une toupie et parce qu'elle ne savait pas trop quoi faire d'autre. Elle tournait sans cesse et le soleil demeurait immobile comme si ce n'était là qu'un vulgaire tour de passe passe auquel il répondait d'un sourcil dressé par moment pour simuler une quelconque marque d'attention un peu superflue. J'avais en tête l'image des peuples qui marchaient à l'envers de moi, à l'envers des mondes que j'avais toujours connu comme si ils étaient pendus au plafond par les pieds ou un truc du genre. Mais à bien y réfléchir pour eux, c'était moi qui était ridiculement à l'envers et marchait de façon désaccordée, et vivait quand ils rêvaient et dormaient quand ils étaient éveillés.
"- L'autre moitié de la planète...
- Oui ?" sa voix était toujours trop trop trop trop trop joyeuse et s'en était parfois presque effrayant.
"- Tu y a déjà été ?
- Oui. - Vraiment ?" un petit rire s'échappa de ses lèvres
"- Ces petits petons nus que tu vois ont foulé chaque pays que notre bonne vieille planète a put porter.
- Comment c'est possible ? Je veux dire... Tu es si jeune....
- Arrête de chercher à comprendre et vis le juste. C'est possible.
"- Et... Tu comptes m'y emmener un jour ? " elle hocha la tête, un sourire à lui manger le visage pour ne pas changer.
"- C'est l'objectif oui ! Tu as tant de choses à voir ! Tu es comme un nouveau-né et le monde entier s'offre à toi et tout ce qu'il te reste à découvrir est aussi astronomique que merveilleux !"
Je lui demandais à quoi elle pensait précisément et elle s'arrêta net devant moi sans prévenir si bien que mes réflexes nous sauvèrent de juste de la collision. Le pire c'est quelle n'avait même pas bougé comme si l'idée de me percuter ne l'inquiétait pas outre mesure.
Elle ancra ses yeux que l'aube rendait légèrement bleus dans les miens, avant de brandir ses petits doigts fins pour compter.
"- Il y a un lac rose tout à fait sublime en Australie, on comprend pas vraiment pourquoi son eau est d'une telle couleur mais le fait est qu'il est. Le Mont Fuji au Japon, c'est censé être un volcan encore actif mais le fait est que ça fait une bonne éternité qu'il ne s'est pas réveillé. Son ascension est assez aisée et rapide et l'aube à son sommet est mystique et bénie des dieux. Bien sûr on oublie pas le Salto Angel au Venezuela qui se trouve être la plus haute chute d'eau au monde ni les cenotes mexicains et pas plus que les fjords de Norvège. La chaussée des géants en Irlande du nord, les déserts d'Afrique, les bassins de Pamukkale en Turquie, le mont Katmai en Alaska, Pompéi, la mer morte d'Israël... La forêt Amazonienne aussi et puis celle tordue en Pologne. La colline qui ressemble à s'y méprendre au corps d'un géant endormi. Les calottes glacières en Islande, c'est dure à croire que ce soit solide là-bas mais les nuances de bleus et de blancs et de lumières réfléchies valent largement le détour. Les canyons des Etats-Unis aussi sont pas mal dans leur genre, surtout les difficile d'accès. Le parc de Danxia en Chine, les montagnes là bas on les croirait peintes. Le lac Natron en Tanzanie et puis le volcan Kawah Ijen en Indonésie, sa lave est bleue c'est aussi étrange que splendide et...
- Attends tu as vraiment déjà vu tout ça de tes yeux ?
- Oui." elle pencha la tête sur le côté. " Enfin pas le volcan indonésien mais, une source très fiable m'en a parlé et depuis je meurs d'envie d'y aller, la lave bleue, ça doit être magnifique à voir couler.
- Et dangereux.
- Mais ce qui est dangereux est souvent sublime. Il y a un lien très sensuel entre le danger et la beauté. Tu ne t'en étais jamais rendu compte Charlie ? " je restais à la fixer sans être bien sûr de comprendre et puisque que j'étais silencieux la gamine crût bon d'ajouter : " La beauté a quelque chose d'effrayant parce qu'on se sent inférieur et pris sous l'emprise d'un charme ou d'un sortilège ou n'importe quoi de mystique et vaudou. De la même manière ce qui est dangereux est beau dans une certaine mesure. Le danger nous fait peur, et ce qu'on considère comme dangereux est souvent quelque chose de plus grand que nous, qu'on est incapable de contrôler et qui nous dépasse. La supériorité du danger sur notre personne pousse à un respect certain.
- Je t'avoue que je n'avais jamais vu les choses sous cet angle. Mais j'ai grand mal à imaginer un démon ou la Mort jolis..." ses traits prirent une émotion que je ne parvenais pas à discerner.
"- La Mort n'est pas ce que les mortels croient. Ce n'est pas une espèce de squelette stupide sous une longue cape noire avec une capuche trop grande et un outil agricole disproportionnée. Elle est tellement plus gentille et douce et à des années lumières de cet espèce de monstre sans cœur que vous imaginez tous venir vous arracher à la vie. Non elle est plus comme une vieille amie qui arrive pour vous prendre la main. Elle s'arrête un instant à votre chevet, elle embrasse les vivants, ceux qui restent, ceux qui ne sont pas encore destinés à partir et puis parfois même elle verse une larme pour les grandes âmes, ensuite elle part, avec l'homme, la femme, l'enfant, l'être qui vient de mourir et l'emmène vers sa demeure prochaine. Ce n'est pas un arrachement c'est un départ.
- Comment tu sais tout ça ? C'est tellement...
- Absurde ? Le mot que tu cherches ? Pas tant que ça tu sais. Je préfère ma vision des choses en tout cas... Le temps m'apprendra peut-être un jour si j'ai raison lorsque les mortels avaient tort, mais ce jour n'est sans doute pas aujourd'hui. "
Je ne prononça pas un mot de plus. Sans doute parce que je ne savais pas quoi dire.
J'avais jamais pensé ça, jamais vu la Mort de la sorte. Je savais qu'elle existait, oui bien sûr je le savais et je le savais bien. Elle était là, chaque jour de ma vie depuis ma naissance. Elle se penchait sur mon épaule quand je lisais un livre, elle se glissait dans mon dos quand j'étais face à mon image dans une surface réfléchissante, elle se lovait en boule contre moi à la manière des chats domestiques quand j'allais me coucher. La Mort était la première femme de ma vie, et sans doute la seule, éclipsant jusqu'à ma mère parce que sa présence ne laissait la place à aucune autre.
J'étais l'un des seuls enfants qui n'avait pas appris à vivre parce qu'on lui avait juste appris qu'il allait mourir. Pas de projet, pas d'avenir. Soit gentil et ne pense même pas au futur parce qu'on ne sait même pas si ton cœur sera encore chaud la semaine prochaine. On m'avait pas vendu le rêve de tout une vie, comme pour les autres mômes. Non j'avais jamais eu le droit à la petite liste de choses à faire pour atteindre le bonheur : études, petite femme aimante, boulot bien payé, jolie maison à la pelouse bien tondue et enfants gentils et bien éduqués.
J'allais mourir avant on le savait tous, alors il ne fallait pas trop que je m'illusionne, parce que, les illusions ça fait des tâches.
Donc non, faudrait pas qu'on t'apprenne à vivre, t'es trop faible pour ça, puis à nos yeux t'es déjà un peu mort, un peu parce que tu l'es pas encore, mais bientôt, c'est qu'une question de temps c'est du pareil au même.
On m'avait enfermé, étriqué, enfilé une camisole, coincé entre quatre murs. Peut-être que je devrais pas m'en plaindre et que c'était gentil de la part des gens d'avoir fait ça. Il paraît que ça fait mal de quitter le monde des vivants, mais bon si tu n'en a jamais fait parti, alors tu ne le quittes pas, ça paraît censé.
J'étais resté seul à l'écart de tout. Je sais, je vous l'ai déjà dit, déjà raconté. Et comment les lumières de la ville dansait sur les carreaux de ma fenêtre, et comme j'entendais souvent les clameurs de la foule, la voix des passants, les rires des mioches, les cris de leurs mères qui tentaient comme elles pouvaient de les retenir de grandir trop vite. J'étais spectateur d'un jeu humain auquel je ne pouvais participer, j'observais tout cela de mon poste de choix, des gradins de l'arène, du balcon de l'opéra, et j'analysais, je disséquais, je m'appliquais à comprendre les mécaniques qui faisait fonctionner les corps de ces marionnettes savantes. J'avais l'aigreur des vieux critiques qui ont déjà tout vu et ne se laissent plus surprendre, j'avais l'aigreur de celui que tout indispose, qui ne croit plus en la magie du monde parce que après tout pourquoi et à quoi bon ? Et merci bien à la prochaine. J'étais là, assis comme un con à applaudir certes mais les lèvres pincées, tout prêt à bondir sur la première erreur, la première horreur, la première chose qu'il serait possible de critiquer, de moquer, de pointer du doigt avec un sourire de prédateur.
Et puisque je ne vivais pas, j'avais tout le temps du monde pour réfléchir à la Mort, à ce qui m'attendait après, à ce qui m'attendait sur le pas de la porte, à ce qui m'attendait assis sur le fauteuil éraflée du salon en sirotant un café trop amère.
J'en suis venu à me dire qu'il y avait pire que d'être condamné à mort : être condamné à mort et attendre la sentence.
Parce que bon, on nous apprend qu'on va mourir, super merci. On va te prendre demain, alors tu prends ta tête entre tes mains, parce que bientôt c'est eux qui la prendront. Tu hurles à la Mort, tiens c'est pas peu de le dire, et ensuite, tu autopsies ta vie. Tu la prends, tu lui ouvres la cage thoracique, tu l'examine à la loupe, tu cherches à analyser tout ce qu'il s'est passé, Tu découpes ses poumons, tu cherches sous ses tripes, tu plonges la main dans son thorax pour voir si il y a quelque chose qui en ressort. Tu la découpes en lamelles comme on morcelle la viande dans l'espoir que tu trouveras des réponses à toutes les questions laissées en suspens avec un point d'interrogation qui se prenaient dans les accrocs de tes hauts, de tes laines, de tes chandails.
Et ouais au fond, peut-être bien qu'il ne reste que ça et rien que ça, rien de plus. On va mourir, alors à plat ventre, jette tes cartes sur la table de jeux qu'on calcule tes échecs et qu'on ajoute tes regrets, qu'on multiplie tes défaites et qu'on y soustrait peut-être tes minces victoires. Une fois que tout est à la vue de tous, à la vue de toi, une fois que tu sais, une fois que tout le monde sait et qu'il ne reste plus rien à faire, plus de possibilité de changer la donne, qu'est-ce que tu possèdes encore ? A quoi tu t'accroches ? Ou peut-être bien que tu t'accroches pas justement, que tu te casses la gueule. J'ai jamais été condamné à mort de la veille pour le lendemain. J'ai pas eu cette chance. Alors je ne sais pas ce que ça fait, pas vraiment. Mais je suppose qu'à disposer de si peu de temps, tu peux bien tenter de faire le tour de tout ce que tu as fait tant que tu voudras que tu ne pourras réussir à l'achever. Ou bien si tu réussis, tu as trop peu de temps pour le regretter. Hors moi du temps ce n'est pas ce qu'il m'avait manqué. Quoique, du temps pour vivre, si. Mais du temps pour se préparer et attendre patiemment de mourir ? Ca jamais. Je peux même vous dire que y a plus rien à autopsier au bout d'un moment.
Je crois qu'au bout d'un moment on a plus peur de mourir, c'est absurde. La mort ça devient tellement quotidien que c'est comme d'attendre le laitier ou le journal du matin, c'est le quotidien, c'est la routine, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Et puis avoir peur de mourir c'est pour les gens qui vivent, pas pour ceux qui meurent.
Bref, j'avais jamais vraiment eu peur de mourir. Je sais bien qu'un jour ou l'autre je finirai pas mourir. Lorsque mon corps pourri qui n'a jamais voulu fonctionner décemment décidera de me lâcher et puis c'est tout, ça ira pas cherché plus loin. Je verrais pas mes 21 ans de toute façon. Je serai jamais adulte. Jamais majeur.
"- A quoi tu penses ?
- A ce que tu viens de dire." elle tordit un peu ses lèvres, me décocha un petit sourire indéchiffrable et n'ajouta rien de plus, me laissa retourner à l'intérieur de ma coquille-boîte-crânienne aussi brusquement qu'elle m'en avait sorti. Mais ce n'est plus à la mort que je pensais. Juste à elle. Elle, la jeune fille qui marchait près de moi, un peu en avant, un peu trop joyeusement, un peu trop indécemment pour ne pas attirer l'œil si tant est que nous n'avions pas été seuls, mais nous l'étions. Parce qu'elle était trop étrange, trop excentrique, trop sortie de nulle part avec un air de celle à qui le monde appartient déjà. Mais on peu pas posséder le monde à ce que je sache. Personne ne le pourrait. Le monde n'est pas de ces choses que l'on peut tenir dans la main, ou gagner sur un lancé de dé. On ne peut même pas le dompter, même pas l'apprivoiser, il fait cavalier solitaire et ne prend personne dans son équipe. Il joue dans son propre camp, pour lui et pour lui seul et puis c'est tout. Elle donnait pourtant l'impression que tout ce qu'elle foulait elle en était la propriétaire pleine et entière. Ce n'était pas tant qu'elle criait sa supériorité sur tous les toits, c'est que son apparence avait un je-ne-sais-quoi d'insolence parfaitement affichée, bien lancée à la gueule du monde avec une fierté même pas dissimulée.
Et puis, elle n'avait pas l'air d'avoir de famille, pas l'air d'avoir d'attache, même pas de prénom. De quoi on a peur lorsqu'on a rien a perdre ?
Je ne savais rien de cette fille. Elle s'était pointée, elle sortait de nulle part, sans dire d'où elle venait, sans dire ou elle allait. Elle donnait l'impression que le mystère qui l'enveloppait lui faisait plaisir, elle aimait l'entretenir, ça se voyait, ça se ressentait. Elle était devant moi et je ne savais rien, pas un mot, pas une information, rien, ou presque rien. Je pouvais la tutoyer mais je pouvais pas l'appeler par son prénom parce que apparemment elle en avait pas. Je pouvais l'appeler Fille de la Lune mais ça m'avançait pas à grande chose. Je savais qu'elle ne croyait en aucune religion ou bien en toutes, qu'elle détestait les cravates et les chaussures et semblait-il, se plier à n'importe quel code.
Les gens comme elle sont invincibles n'est-il pas ? Ou bien ont-ils peur de la Mort, eux aussi ? Je n'avais jamais vraiment eu peur de la Mort... Peut-être de rendre triste mes parents, mais j'étais désormais plus rien qu'un fantôme qu'ils ne reverraient jamais. J'étais le fils mourant qu'il ne verrait finalement pas mourir, qui ne mettrait même plus le pied à la maison. Sauf que cette gamine étrange et mystérieuse, et sans nom, cette Fille de la Lune aux pieds nus qui foulaient l'herbe fraîche de la rosée des nuits d'automnes et chantaient en chœur la mélodie ancestrale des chemins, cette fille, elle ne me l'avait pas caché, l'objectif, c'était de me faire trouver une raison de vivre.
Oui mais si je trouvais une raison de vivre avant de mourir, que se passerait-il ? Est-ce que je finirais pas avoir peur, moi aussi ? Bah tiens la bonne blague. J'avais jamais eu peur de mourir, et j'en aurais peur juste à la dernière minute. Un peu en retard Charlie, voyons, un peu en retard tu peux faire un effort tu ne trouves pas ? Non sérieusement au moins au moins au moins maintenant tu es devenu normal et tu as peur comme tout le monde, c'est super, nous on avait peur que tu restes bizarre toute ta vie, enfin... Toute ta vie, on sait bien qu'il faut le dire vite parce que c'est pas comme si t'avais vraiment vécu et en plus tu risques de nous passer l'arme à gauche d'une minute à l'autre mais bon. Au moins ça y est tu as peur de mourir, donc maintenant on peut te décerner une médaille, t'es un humain un vrai, wuhu champagne ! C'est qu'on commençait à douter, nous l'air de rien. Ah sacré Charlie ! La gamine s'arrêtait net, de façon tellement soudaine que s'en était presque tranchant et au delà de me sortir brutalement de mes pensées, je manquais de tomber à nouveau. Seulement cette fois-ci, elle ne s'arrêtait pas pour ce qui était derrière elle, c'est à dire moi, elle s'arrêtait pour ce qu'il y avait devant nous.
Ce qu'il y avait devant nous, c'est à dire une petite bâtisse en bord de chemin avec une allée de gravier pour y accéder et des murs blancs que le temps n'avait pas manqué d'épargner. Le toit en pointe me semblait étrangement un peu de travers comme un chemin mis trop rapidement ou bien qui menacerait de s'envoler. La cheminée recrachait de la fumée certes mais sans grande conviction, elle crachotait plus qu'autre chose diront-nous. Dans le coin droit de la façade une devanture trop rouillée et à la peinture effacée depuis probablement quelques éternités, pendouillait, laissait le vent la faire aller d'un côté et de l'autre en grinçait un peu, comme des protestations pas très convaincantes. "- Qu'est-ce que... - On y va ! On est ici pour y aller après tout !" et encore une fois, pas de réponse, même pas le temps de poser les questions. Cela tuerait les mystères d'expliquer, enfin vous le savez donc bien ! Et les mystères, sont des choses fragiles, il nous faut à tout pris les protéger. On imagine jamais la sensibilité de ces choses pourtant c'est sensible vous savez. A peine vous grattez la surface et tout se brise, tout se fracture et se désagrège et se disloque et se dématérialise et tombe en lambeaux, cendres et poussières d'étoiles mourantes à vos pieds. Elle avança sur l'allée de graviers sans difficultés, relevant les pans de sa robe blanche même si je n'y voyais pas grand intérêt. La capeline brune qu'elle avait passé à ses épaules était trop grande pour elle et trop lourde pour que le vent la fasse bouger, mais, elle comme sa robe ne me semblait pas l'empêcher de marcher à sa guise, même si elle semblait marcher différemment, entre le début de l'allée et le portique de la maison.
Moi, je grinçais des dents, la sensation des graviers sous la plante des pieds était douloureuse et désagréable, et en tout point différente avec la douceur de l'herbe ou de la terre, je m'en serai plus que bien passé, ou j'aurais voulu des chaussures, un truc qui m'en protégeait quoi.
Arriver sur les planches de bois qu'on avait disposé devant la porte était vraiment plaisant. J'aurai bien posé une question ou décrit les lieux de plus près mais, je n'avais pas eu le temps de faire ni l'un ni l'autre que la Fille de la Lune avait attrapé la ficelle de la sonnette et l'agitait gaiement en faisant tinter la cloche.
Deux minutes plus tard, c'était un vieux monsieur, qui se tenait devant nous dans l'embrasure de la porte, s'adossant à la chambranle d'une main et s'appuyant sur la canne de l'autre. "- Eh bien le bonjour à vous jeunes gens. " la gamine lui répondit des formules de politesses qui convenaient, alors que ma voix semblait sortir comme un gargouillis informe, ni utile, ni compréhensible. Elle continua en lui demandant directement l'heure. Il haussa un sourcil clairsemé. "- Il est presque huit heures du matin pourquoi ?" elle tapa dans ses mains. "- L'heure parfaite pour prendre le thé ! Vous nous laissez entrer ?"
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