La Fille et les Flammes
Elle marchait le long de la plage de galets. Le cœur meurtri par le mal et la tristesse. Tout autour d'elle lui semblait tellement familier... Trop familier. Elle aurait aimé que tout ne se passe pas ainsi. Elle avait fait trop de mal. Les étoiles l'avaient prévenue. Mais rien ne l'avait empêché de plonger le monde dans le chaos. Elle avait tellement honte. Les souvenirs revenaient à la surface de son esprit et quelques larmes voulurent percer le rempart de ses paupières. A bout de force, elle s'agenouilla.
- « Le cœur des hommes est bien souvent corrompu par ce qu'ils croient juste... Nous en connaissons tous les frais. Une âme pure est destinée à être souillée par le mal. »
La jeune femme retint ses larmes.
- « Vous revoilà... »
Les étoiles brillèrent un peu plus. Se reflétant contre la mer bleue.
- « Nous n'avons jamais été très loin. Seulement, ton cœur n'était pas apte à écouter nos paroles. »
Le sourire revint à la femme. Les étoiles étaient de nouveau là. Elles l'illuminaient de leur sagesse si pure.
- « Je rêve d'un jour où l'un d'entre nous restera blanc comme linge. Je donnerai tout pour que ce jour arrive.
- Est-ce là un vœu que nous entendons ?
- Etoiles, je ne formule jamais de vœux. Simplement des prières pour le futur. »
Le ciel sembla soudainement plus lumineux. Les galets brillaient de mille feux et les étoiles se transformaient en petits soleils.
- « De blanc sera revêtue son âme, bénie par les étoiles, viendra une enfant qui illuminera ce monde. A jamais pure sera son âme. Nous t'en faisons le serment, à toi qui a su nous prouver la valeur des hommes. A ton hommage, ses cheveux auront la couleur du blé. Elle naîtra, cette enfant qui sauvera le monde de ce destin obscur dans lequel tu l'as plongé. »
La femme, à genoux contre les galets, vit son corps s'élever dans le ciel.
- « Les étoiles la couronneront de fierté. Tout comme pour toi. Repose en paix. »
L'enveloppe charnelle de la défunte brilla intensément. Ce spectacle lumineux était d'une magnificence exquise. Jamais l'homme n'avait eu de si beau cadeau donné par le ciel.
- « Merci, mes amies... »
Ce furent ses derniers mots.
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Un empire puissant, fort et florissant se divisa un jour en quatre pays. Chaque pays était dirigé par l'un des héritiers au trône. Bien que les parts fussent égales, ils voulaient plus. Les guerres commencèrent alors et le royaume souverain tomba dans la déchéance. La paix n'était plus qu'une légende. La mort attendait à chaque coin de rue pour happer les innocents. La magie se mêla à cela. Ce monde était nommé Kirst. Terre sacrée où la magie circulait en harmonie avec les hommes. Elfes, nains, hommes, dragons... Toutes ces races si différentes mais reliées par l'existence même se battaient jusqu'à ce que mort s'en suive, essayant de survivre ou de conquérir, tous étaient concernés. Après 300 ans de guerres cruelles, un équilibre revint peu à peu. Des alliances s'étaient formées entre les héritiers. La paix revenait petit à petit.
Quelques années suffirent pour réunifier les royaumes. Le monde se rebâtissait sur ses cendres. Bien qu'encore difficile, la vie était beaucoup plus douce. Les vielles rancœurs étaient effacées, une nouvelle aire pouvait commencer.
Elerinna était une jeune fille née à cette époque. La guerre était finie, mais les royaumes étaient encore en train de se reconstruire. Cette jeune fille de seize ans vivait dans une ville nommée Alasséa, en hommage à l'une des six déesses : Maevis. Cette petite ville de campagne appartenait au royaume de Clemort. Le plus grand et le plus fort, ce royaume était gouverné par un roi vieux et sage. Un roi ne souhaitant uniquement la paix.
Dans ce petit village, chaque jour apportait son lot de tâches, de malheur, de joie, d'effort, de travail, de douleur et de douceur. Des cœurs certains meurtris par l'abandon, d'autres par la perte, travaillaient en harmonie pour le bien commun.
Elerinna était humaine, comme tous les habitants d'Alasséa. Malgré cela, du sang elfique coulait dans ses veines. La seule trace restante de son appartenance à ce peuple était sa beauté sauvage et sa rancune pour tous ceux qui lui avait fait du mal. Orpheline depuis aussi longtemps que remontait sa mémoire, elle connaissait le sens du mot responsabilité et prenait souvent bien des tâches en main. En faisant toujours plus que nécessaire pour ceux qu'elle aimait. Cette enfant vivait avec son frère, Arthur. Ce garçon de dix ans qu'elle aimait de tout son cœur. Une femme du nom de Calisso avait pris en charge son éducation. Une veuve qui avait besoins de quelqu'un à aimer. Une famille unie dans l'adversité.
Ce matin-là, Elerinna s'était levée très tôt pour aller chercher une commande de pain chez le boulanger.
- « Bon matin Monsieur Langer ! J'espère que ma demande n'était pas trop compliquée. »
Aborda-t-elle son vieil ami. Un sourire immense sur les lèvres, elle resplendissait la joie de vivre.
- « Trop compliquée ? Tes commandes sont toujours très claires ma petite El'. Mais pour quelle occasion m'as-tu fait préparer quelque chose d'aussi exquis ? »
Il arrivait souvent à l'adolescente de commander des petits déjeuners, pour gâter un peu sa famille lorsque les fins de mois étaient suffisantes, mais aujourd'hui, elle avait demandé de la fine cuisine. Un peu de luxe pour une vie si morne.
- « C'est l'anniversaire d'Arthur. J'ai décidé de lui consacrer une journée entière. Je lui ai payé un vrai cours d'escrime et son cadeau sera une épée que notre famille nous a léguée. Tu sais, il va être en âge de commencer son stage d'écuyer ! C'est vraiment fantastique pour lui. Il va devenir un homme fort ! »
Le boulanger lui sourit et rit même un peu de l'enthousiasme de la jeune fille. Ce matin-là, Elerinna sema un peu de bonheur dans le cœur de cet homme.
Sa commande sous le bras, elle se dépêcha de rentrer chez elle pour ne pas rater le réveil de son frère. La petite maison de bois qu'ils habitaient n'était, ni luxueuse, ni en état lamentable. C'était une demeure modeste, certes, mais qui convenait parfaitement à une famille habituée à la pauvreté. L'adolescente dressa la table avec la coutellerie d'argent qu'elle tenait de Calisso. La nappe, les couverts, le déjeuner, la carte, tout était en place. Elle se saisit de la bougie rouge et bleue qu'elle avait troquée et entra sur la pointe des pieds dans la chambre de son frère. Une fois sur le bord du lit, elle alluma la bougie et secoua légèrement son frère pour le réveiller.
- « Joyeux anniversaire ! »
Elle entonna la chanson célèbre et offrit la bougie à son protégé.
- « Aller, souffle dessus et fais un vœux. »
L'enfant obéit.
- « Alors, quel était ton vœux ?' »
Arthur fit un clin d'œil à sa grande sœur.
- « C'est un secret ! »
Elle le prit dans ses bras et l'accompagna dans la cuisine.
- « Regarde ce que j'ai été cherché pour toi ! »
Le garçon hurla de joie en découvrant le festin. Calisso entra dans la pièce, alertée par les cris.
- « Qu'est-ce qui se passe ?
- Regarde ! Regarde ce qu'Elerinna a apporté ! »
La femme jeta des yeux ronds sur la table. Les plats étaient disposés comme jamais au pare avant.
- « Dépêches-toi de manger, ton premier cadeau commence dans une heure et demie ! »
L'enfant s'installa à table et, bien que pressé, ne put s'empêcher de savourer chaque bouchée. Rares étaient les déjeuners si luxueux.
Lorsqu'il eut fini de manger, le garçon fila s'habiller et sa sœur l'accompagna sur la place du marché où un homme l'attendait.
- « Alors c'est toi qui veux t'initier à l'escrime ? »
Le taquina le chevalier. Mal à l'aise, le fêté s'avança quand même.
- « Ménagez-le un peu ! »
Conseilla Elerinna à l'homme avant de partir en direction de la plage. Elle avait maintenant une demi-journée entière pour se reposer et faire ce qu'elle voulait. Elle commencerait par marcher le long de la plage de sable fin, pour ensuite rentrer chez elle, faire tranquillement un repas du soir... Elle avait le temps pour planifier et exécuter. Après quelques minutes de marche le long de l'eau, elle s'assit sur un grand rocher.
- « Le monde a l'air si vaste quand on aperçoit la mer. »
Cette pensée lui faisait comme chaud au cœur. Ce monde était si grand, si beau. Elle voulait apporter son grain de sel. Ne pas être entièrement inutile. Elle voulait que quelqu'un se souvienne de son existence. Elle resta là longtemps, des minutes, des heures passèrent. Elle pensait à l'infinité, aux étoiles, aux guerres, aux hommes... Elle rêva de terres inexplorées, d'endroits où les hommes n'avaient jamais mis les pieds, de plaines verdoyantes d'où s'échapperaient une odeur douce, de forêts ténébreuses défiant les lois de la physique, d'océans et de mers sans limite remplis de monstres et de créatures marines.
Plus le vent du Nord se rafraîchissait, plus les villages sentaient l'hiver approcher. Emmitouflée dans un long manteau beige, Elerinna ne craignait pas la température. Ses longues bottes de fourrures la gardaient au chaud. Elle aimait ce temps pour les soirées délicieuses qu'il apportait. Près du feu, un chocolat à la main. La jeune fille aimait la chaleur, elle aimait pouvoir se sentir en sécurité. Le danger ne l'intéressait pas. Elle aimait sa vie pour son manque d'adrénaline et sa routine si répétitive. Il n'y avait que très rarement de bouleversants renversements dans sa vie. En réalité, il n'y en avait jamais eu... A part la mort de ses parents, elle n'avait jamais connu le deuil, la tristesse ou un autre sentiment aussi néfaste. Habituée à la solitude, ne pas avoir d'amis ne la dérangeait vraiment pas. Elle s'en sortait très bien.
Ce fut une odeur étrangère qui la sortit de sa transe. Elle se leva, alarmée. Un mélange de roussi et de... Elle ne connaissait pas l'autre odeur. L'adolescente se retourna vivement. De la fumée s'échappait du village. Et au-dessus des nuages... Une ombre noire crachant le feu. Les yeux d'Elerinna s'agrandirent, elle n'avait jamais vu quelque chose d'aussi grand. La peur s'empara de son ventre et lui resserra la gorge.
- « Arthur ! »
Hurla-t-elle avant de courir vers sa maison. Le chemin jusqu'à la bourgade durait une bonne vingtaine de minutes. Quinze à la course. Lorsqu'elle arriva, il n'y avait déjà plus rien. Seul un groupe d'hommes habillés de rouge qui s'éloignaient vers l'horizon. Elle s'avança vers la place du village. Tout avait été réduit en cendre. Le noir était partout autour d'elle. Même des corps il ne restait plus rien. Une espèce de tas semblait siéger au milieu de la place. Elle s'en approcha, mais le regretta aussitôt. Une petite montagne de cadavre à moitié calciné ou aux membres arrachés avait été placé là. Sur le point de vomir son déjeuner, elle recula. Elle butta contre quelque chose et se retrouva le derrière sur les cendres encore chaudes. Les larmes lui vinrent. Ce spectacle horrible... Elle aurait préféré ne jamais en être le témoin. Elle jeta un coup d'œil devant elle. La chose sur laquelle elle avait butté remuait. Elle s'en approcha.
ARTHUR !!!
Elle aurait voulu hurler. Son petit frère était là.
- « Elerinna ?
- Je suis là... Ne t'en fais pas, tout va bien aller...
- Je ne sens plus mes bras et mes jambes. »
La jeune fille posa sa main sur la poitrine de son frère. On lui avait arraché les membres. Il ne restait que sa poitrine et sa tête.
- « Chut... Ne dis rien... »
Elle eut du mal à retenir ses larmes. Elle ne devait pas pleurer. Pas devant lui. Son corps à la peau blafarde lui faisait pitié.
- « Est-ce que j'ai été bon ? »
Sa sœur n'osa pas lui répondre. Elle caressa sa joue et l'embrassa.
- « Quand ? »
Il sourit.
- « J'ai mis une raclée aux gars en rouge ! »
Elle essaya de ne pas s'effondrer et de lui afficher un semblant de sourire.
- « C'est génial ! Comme ça ils ne viendront plus nous embêter !
- Oui, même que le chevalier il m'a dit que j'avais été le meilleur petit garçon du monde avant de tomber par terre. Je sais pas ce qu'il lui est arrivé. Je le voyais plus... »
Elle passa sa main dans les cheveux du petit garçon.
- « Je suis fatigué... La journée est déjà terminée ?
- Ne t'endors pas !!
- Demain, on ira jouer au ballon près de la plage ! »
Elerinna comprit alors que c'était inutile de vouloir le retenir.
- « Oui, on ira jouer près de la plage...
- Et même qu'on fera un château de sable !
- Oui...
- Mais pour le moment, je suis fatigué... Tu sais... mon vœu... c'était que tu restes toujours avec moi. »
Ses yeux se fermèrent doucement.
- « Oui, bonne nuit petit frère... »
Elle sentit la vie le quitter. Il avait un sourire, mais elle... Elle... Elle ne pouvait pas sourire. Le chagrin la ravageait intérieurement. Elle eut envie d'hurler, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Les larmes coulaient en abondance sur ses joues rougies par le froid. Elle se mit en boule et enlaça le restant du corps du petit chevalier. Elle ne pouvait s'empêcher de pleurer. Elle avait été horrible. Elle était horrible. Elle l'avait laissé mourir. La colère laissa place à la haine puis à une grande nostalgie mêlée de tristesse.
- « Joyeux anniversaire... »
Ravagée par le chagrin, elle perdit connaissance.
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« C'est ainsi que commença son périple. Une enfant innocente plongée dans le monde égoïste et impitoyable d'une guerre sans sens par la mort de la seule personne qu'elle eut aimé jusque-là. Le deuil l'empêcherait-il de continuer ? D'aimer ? De protéger ? Ou encore de s'attacher à quelqu'un ? »
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