Dix heures et demi du soir d'été

Nous étions devenus amis ; c'est elle qui l'avait dit, après que j'ai refusé une énième invitation à une de ses soirées : « Eh, mais on est amis, non ? »

Ça m'avait surpris alors, en bon timide que j'étais, j'avais hoché la tête : « Oui. On est amis. »

Au fur et à mesure, on se connaissait de plus en plus, et au fur et à mesure, je commençais à la trouver de plus en plus belle. Ça m'faisait chier. Parfois j'avais ces moments d'égarement où je la regardais avec tendresse et soudain, je remarquais ses épais sourcils tout ébouriffés et je me sermonnais ; c'est laid ça, Hector.

Mais je ne pouvais pas m'empêcher de la trouver jolie. J'dois vous parler honnêtement, j'aimais bien Charlie, je l'adorais même, quelques fois, mais jamais j'aurais voulu briser notre petit rituel ; nous retrouver à l'intérieur de la librairie.

En fait, j'avais peur. Sans mes livres, j'avais peur. Elle a pleins d'autres centres d'intérêts, d'amis, de choses à faire ! Moi, après le boulot, je rentrais chez moi, je regardais un film ou deux, quelques épisodes de série en grignotant et puis j'me couchais.

Quand je l'entendais me raconter qu'elle avait fini ivre morte à telle ou telle soirée, j'étais ébahi ; admiratif. Qu'est-ce que j'aimerais connaître tout ça... Mais ouais. J'étais une (flipette) fillette, je n'étais rien sans mes bouquins, j'étais juste un gars ennuyeux à mourir et sans grande vie sociale.

Puis un soir, un jeudi, vers dix-huit heures, elle est venue devant ma caisse.

« Je t'emmène boire un café, suis-moi.

- Non, je-je... je peux pas.

- Bah pourquoi ? On est potes et on est jamais sortis faire un truc ensemble !

- Je n'ai pas d'argent sur moi.

- Mais je te paierai tout ! Tu me rembourseras plus tard, si c'est ce qui te chagrine. »

Je n'osais pas lui dire que j'en mourrais d'envie mais que ma conscience, bien plus raisonnable que mon cœur, me criait de ne pas y aller.

« Non mais-...

- Tu me détestes ou quoi ? Accompagne-moi !

- Charlie..., je soupirais (c'était le début de cette mauvaise habitude).

- Non mais je comprends, hein, ne t'inquiètes pas, son ton vexé avait eu raison de moi.

- D'accord. »

En un rien de temps, nous étions dehors. Je la regardais du coin de l'œil, terrifié.

Je pensais avoir réussi à cacher ma peur d'une main de maître mais elle s'est encore une fois exclamée (elle ne faisait que ça) :

« Bah ! Pourquoi tu fais cette tronche ! »


J'avais rien dis, j'avais souri, c'est ça, reste silencieux, Hector. Et puis comme une sorte de miracle, mon patron avait ouvert la porte :

« Hector, j'ai encore besoin de toi ! »

Dieu merci.

« Je dois y aller, Charlie, une prochaine fois ? »

Ses yeux me susurraient des « tu ne t'échapperas pas comme ça » et son menton pointait vers la porte.

« Dépêche, elle avait attrapé mon poignet en souriant doucement, bonne soirée Hector. »

J'étais surpris de ne pas me liquéfier sur place en marchant vers la boutique.

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