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Aujourd'hui, en se réveillant Rémi a eu une idée en tête, et généralement quand cela lui arrive, il a du mal à lâcher prise. Il était bel et bien déterminé à percer le mystère qui entourait cette fille.

En ce dimanche matin, il ne changea pas ses habitudes et partit déjeuner au café d'en bas, tout en étant fière d'avoir pu convaincre Quentin de venir avec lui, l'arrachant ainsi à sa solitude morbide. Les deux hommes discutaient comme à leur habitude, mais Rémi sentait que son ami restait dépité face à la façon dont l'avait rejeté la fille qu'il aimait tant. Après huit mois de relation commune, il était dur de reprendre les vieilles habitudes de l'homme célibataire.

– Mec, s'il te plaît, arrête de te torturer l'esprit en pensant trop à elle. Tu vas finir par en crever. s'enquit Rémi en avalant goulûment un morceau de son croissant au beurre.

– Ça se trouve je suis déjà mort, qu'est-ce que t'en sais ? lui répondit Quentin, d'un air blasé.

Après avoir coupé court à la conversation, Rémi n'essaya pas de convaincre son ami de tourner la page. Après tout, lui ne savait pas ce que c'était de se faire briser le cœur. Lui, ne savait pas ce qu'était l'amour, le vrai. Lui, ne comprenait pas l'importance du verbe aimer.

Rémi bu son café gorgée par gorgée, pendant que son coloc' continuait inlassablement de remuer le sien alors que le sucre était depuis un bon moment déjà dilué. Depuis combien de temps était-il comme cela ? Dix jours ? Quinze jours ? Vingt jours ? Rémi ne comptait plus.

Lorsqu'il a connu Quentin, il était tout l'inverse de l'homme qui broyait constamment du noir. D'ailleurs Rémi l'enviait, il était toujours souriant, c'était un grand fêtard et blagueur, avec un physique avantageux et une coupe de cheveux qui faisait un ravage auprès des filles. En plus de ça, il était sérieux et très impliqué dans ses études. Même si tout cela ne paraît plus si loin, c'était tout de même bien avant que cette fille le mette dans cet état. Rémi n'avait jamais compris pourquoi Quentin attachait beaucoup d'importance à cette idylle. Il était certain qu'il n'aurait pas de mal à trouver quelqu'un d'autre pour occuper la place libre dans son cœur. Et pourtant, Quentin ne faisait aucun effort, il restait bloqué à relire le même chapitre de son histoire indéfiniment.

Vers dix heures, Rémi abandonna à contre cœur son ami à son désarroi, et partit sans attendre en direction du métro. Sur le chemin, il prit le temps de lire quelques passages du livre qu'il avait commencé à entamer il y a peu. Il s'agissait d'un livre écrit par un auteur suisse du nom de Carlo Strenger intitulé :

« L'insignifiance nous rend tous fou. »

Ce livre traitait de la psychologie, alors évidemment, il avait de suite plu à Rémi.

Il relut un passage dans sa tête, qu'il avait soigneusement surlignée au feutre jaune fluo, tant cela l'avait interloqué et fait réfléchir.

« Selon la psychologie existentielle, il existe essentiellement trois façons de nous protéger contre la terreur que provoque la conscience de la mort : être attaché à des proches - conjoints, famille, amis intimes ; renforcer notre estime de soi ; nous raccrocher à des conceptions culturelles du monde qui imprègnent notre vie d'une signification. »

En clair, il fallait se trouver une raison de vivre et d'exister, mais par-dessus tout il fallait être aimé et pouvoir aimer.

Le dévoreur de mots, referma le livre, et le rangea dans son sac à dos. Maladroit comme il est, Rémi fit tomber son bloc note à ses pieds. Les feuilles volèrent et se dévoilèrent sur une page qui interpella de suite le jeune étudiant. Il se saisit du carnet et laissa son regard s'accrocher aux mots écrits sur un des coins de la feuille.

« 26 morts. »

Ce chiffre, ce mot, ils lui donnèrent la chair de poule et le plongèrent dans l'incompréhension la plus totale. Il était certain de n'avoir jamais griffonné ni même vu cela dans ses notes auparavant. Ce n'était même pas son écriture, l'encre était noire et les lettres inclinées comme si elles se pliaient sous le poids des mots, comme si elles feignaient de tomber entre les lignes du carnet. Étrange. Cela l'inquiéta, il avait peur de ce que cela pouvait signifier. Mais Rémi se ravisa, ces notes n'avaient pas pu apparaître comme par magie au milieu de ses réflexions sur la psychologie humaine. C'était sans doute une mauvaise blague qu'on lui avait faite, bien que l'on ne rît pas avec la faucheuse de vie.

Rémi arracha la page, roula en boule le morceau de papier marqué à l'encre noire, puis le jeta dans une des poubelles vertes qui croisèrent son chemin.

Lorsqu'il arriva sur son quai, il retrouva sans grand étonnement sur celui d'en face, la mystérieuse jeune femme aux cheveux blonds. Elle faisait comme partie de sa routine désormais, mais plus les jours passaient, plus Rémi avait un mauvais pressentiment à propos de cette fille.

Alors il ne perdit pas une seconde et décida de se rendre sur son quai, il se précipita dans le couloir et prit le chemin inverse à celui qu'il avait l'habitude d'emprunter. Il bouscula par inadvertance quelques personnes au passage, mais il n'oublia pas de rapidement s'excuser, il avait peur que la fille lui échappe. Il s'avança sur la plateforme vers la femme, doucement, à pas de loup, comme s'il avait peur de l'effrayer.

Une fois à sa hauteur, laissant tout de même quelques mètres les séparer par sécurité, Rémi engagea la conversation d'une voix légèrement cassée.

– Bonjour. commença-t-il après s'être éclairci la voix.

Mais il n'obtient pas de réponse de sa part.

– Vous allez bien ? continua-t-il, dans l'espoir de l'entendre parler.

Le silence semblait vouloir répondre à sa place. Cette fois, Rémi en avait assez, mais il tenta tout de même de garder son calme. Malgré tout, il avait l'occasion de la voir de plus près, et c'était exactement ce qu'il désirait.

Pendant que la jeune femme restait murée dans son silence, Rémi la dévisageait sur le côté et se pencha à ses risques et périls, voyant les rails se rapprocher dangereusement. Il distingua pour la première fois les traits de son visage, elle avait de fines lèvres rosées, un teint pâle comme il l'avait vue de loin, des cernes qui ne passaient pas inaperçus tant elles étaient marquées et des yeux vairons.

Il sourit, il la trouvait définitivement belle à regarder, même si elle dégageait quelque chose de particulier, un parfum doux et amer se mêlait autour d'elle.

Comme un réflexe, il suivit son regard qui restait impassible et dont les paupières clignaient plusieurs fois d'affiler avant de se repositionner. Il remarqua de suite ce que la jeune femme fixait si intensément depuis tout ce temps, et il se sentit stupide de ne pas l'avoir vu plus tôt. C'était les rails qu'elle regardait si fixement, mais son regard semblait se perdre bien au-delà des barres de fer.

Son train arriva, mais Rémi était certain qu'elle ne monterait pas, comme la dernière fois. Alors il attendit, toujours ce regard curieux posé sur elle, comme s'il découvrait une œuvre d'art. Un wagon ouvrit ses portes face à elle, des passagers descendirent de celui-ci et tracèrent leur route. Ce fut à cet instant, que la belle inconnue tourna la tête vers Rémi, le regard vide de sens ainsi que le visage inexpressif, et monta à bord du train. Elle s'en allait et le train avec elle disparaissait au bout du tunnel. Cette fois Rémi en était sûr, elle l'avait bien remarqué.

Cependant, le jeune homme s'inquiéta, il n'avait encore jamais vu de regard aussi éteint, aussi vide de tout, vide de joie, vide de peur et de colère. Il n'y avait pas de vie dans ses yeux.

Rémi était déterminé à trouver la réponse à tous ses maux, mais à quel prix ?

[Musique en média : Statue - The Eden Project]

Hey ! J'espère que vous allez bien 😊 Alors, quelles sont vos impressions sur ce chapitre ? Que pensez-vous de la fille du métro ? De Quentin ? Et de Rémi ? Des hypothèses pour la suite de l'histoire ? 😏

J'essaye de maintenir la cadence et de vous poster un chapitre par semaine, malgré le peu de temps que j'ai pour écrire 😕

Vivement les vacances ! J'en ai déjà marre des cours 😭

Bisous 💕

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