Q u i n z e

La brise vint doucement balayer leurs deux visages figés par le grand froid. Ils flânèrent entre les bâtiments tels deux vagabonds, marchant sur le pavé des rues empreintes de traces de pas laissées par le passage de mille et un individus.

« Où va-t-on ? demanda Rémi, curieux de découvrir le lieu de leur destination.

- Où tu voudras. » lui susurra-t-elle avec toute la douceur qu'elle se devait de posséder.

Il n'en attendait pas moins d'elle, à force de l'entendre, il s'était habitué à ses réponses creuses, à la fois pleines de mystères et de promesses. Pourtant, il était toujours surpris par la manière dont elle avait de les prononcer, toujours sûre d'elle, alors que son regard trahissait toutes ses pensées. Rémi le savait, il l'avait vu, il l'avait percé. Cette fille savait parfaitement comment dissimuler la vérité.

À mesure qu'ils avançaient, le silence se faisait de plus en plus pesant, comme si un voile invisible s'était déposé sur eux. Mais Rémi eut soudainement envie de faire taire les questionnements qui martelaient dans sa tête à chaque mouvement. Il en avait marre de languir silencieusement à ses côtés, il voulait des réponses.

« Je ne comprends pas... Si tu fuis quelqu'un qui a l'air de te vouloir du mal, pourquoi ne vas-tu pas prévenir la police ? s'enquit-il, soucieux.

- Je ne peux pas prendre ce risque. murmura-t-elle doucement. Et pour info, ça te fait une question en moins. »

Le jeune homme s'arrêta, puis il la regarda de long en large, comme s'il cherchait quelque chose à lui répondre, un mot, une phrase, qui pourrait la contredire. Elle aussi ne bougeait plus désormais, elle attendait. Ils étaient séparés par le vide qui se créait entre eux. Un vide composé d'air, de poussière, de bruit et de souffle.

« Tu comptes t'installer ici ? lui fit soudainement remarquer la belle blonde, visiblement agacé par cette attente imprévisible.

- Je veux simplement que tu répondes pleinement à mes questions, comme tu l'avais promis.

Elle se pinça légèrement les lèvres, comme gênée, prise à son propre piège, elle ne pouvait plus se terrer.

- Tu ne pourras pas avoir de réponse valable pour celle-ci, si c'est ce que tu veux savoir.

- Alors, elle ne compte pas. J'ai toujours mes six cartes en main. » décréta Rémi, fière de lui avoir donné tort.

Sur ce, l'automate se débloqua et avança dans une direction tout autre que celle initialement choisit.

« Où vas-tu ? l'interpela-t-elle, alors qu'il commençait déjà à promptement s'éloigner.

- Je veux te montrer quelque chose. »

La jeune femme n'eut pas d'autre choix que de suivre son guide dont les sauts d'humeurs incontrôlés témoignaient de sa grande fatigue.

Ils marchèrent côte à côte dans les rues de la grande ville, longeant les bâtiments, et suivant les battements de leur cœur pour seul guide vers leur destination inconnue. Ils longèrent le Canal Saint-Martin et les rangs de citoyens discutant sur les bords de l'eau, sirotant un verre sur les terrasses des cafés, ou encore, les sportifs courant sur les dédales de pierres à vitesse modérée. Au-dessus d'eux, les arbres commençaient à se dévêtir sans gêne, laissant à leurs pieds, leurs feuilles aux différentes nuances jaunes, rouges, orangées et dorées.

Puis, ils s'arrêtèrent et s'assirent sur un banc d'un verdâtre archaïque. Si proches l'un de l'autre, et pourtant si éloignés de par leur vision du monde. Tels deux lignes parallèles qui ne se toucheront jamais. La jeune femme semblait hypnotisée par les quelques mouvements imprécis que dessinait l'eau, tandis que Rémi observait les passants, tout en cherchant un moyen de déceler une quelconque porte donnant sur leur âme.

« Alors, que voulais-tu me montrer ? lui fit-elle rappeler, tout en détachant son regard des eaux troubles.

- La vie. lui répondit-il sur un ton monotone. La dernière fois, tu as voulu me parler du vide que procure la vie. Eh bien moi, j'ai envie de te parler de la vie qui comble le vide.

- Comment ça ? demanda-t-elle, cette fois bel et bien prise au dépourvu.

- Regarde autour de toi. Que vois-tu ? poursuivit Rémi.

- Des immeubles hauts comme trois pommes, un canal miroitant et des gens...

- Oui, des gens. souffla-t-il.

- Et alors ?

Il se mit de biais vers son interlocutrice afin de mieux capter son attention d'auditrice, et dans un souffle se lança dans une tirade pleine de foi.

- Ces individus cachent tous une histoire derrière leur regard empreint de vie, leur sourire de façade et leur rire émerveillée... Ils ont tous quelque chose à raconter, une épreuve difficile, une découverte inattendue, un souvenir douloureux... ou une énigme. Leur identité ne s'arrête pas à qui ils sont, mais bien à ce qu'ils ont vécu. Parfois, on peut penser qu'en tendant l'oreille, on peut parvenir à attraper à la volée quelques bribes d'histoires fanées. Mais c'est bien en observant autour de soi, qu'on parvient à trouver la porte qui mène à leur identité.

- Belle réflexion. intervint-elle, sur un ton faussement impressionné. Que cherches-tu à me prouver ? Que tu es le seul qui sera susceptible de déceler ma propre porte blindée ?

- J'ignore si j'en suis capable... Mais je veux savoir qui se cache derrière ce mur de pierre que tu t'es bâti.

- Dis-moi Rémi, qu'est-ce qui te fait croire que mon identité se cache derrière mon apparence, et non sous l'ombre de mes maux ?

- L'aspect peut tout aussi bien cacher les maux, mais la souffrance ne nous définit pas entièrement. répondit-il du tac au tac.

- Pourtant, les épreuves nous forgent aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur.

- C'est vrai... avoua-t-il.

- Et comment peux-tu oser me demander qui je suis, alors que toi-même n'es pas sûre de ta réelle identité...

- Comment ça ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ? s'exclama-t-il.

- Ton regard dit tout... Tu as la tête de quelqu'un qui se cherche sans parvenir à se trouver. »

Elle se leva, sans prononcer un mot de plus, et dans toute sa prestance marcha vers le pont qui surplombait fièrement le long Canal à la lueur du jour. Quant à Rémi, il s'était mis à réfléchir intensément, car intérieurement, il bouillonnait. Il aimait ses mots, la façon qu'elle avait de les faire glisser sur le bout de sa langue et la précision avec laquelle elle les maniait. On oublie souvent à quel point la force des mots peut être un tout, une arme de pointe, une bombe qui explose, une balle qui plonge, ou encore, un cessez-le-feu. Les mots sont capables de désarmer tout Homme, et c'est cela qui était en train d'advenir à Rémi, il restait sans voix face à ces éclats de projectiles.

Après maintes réflexions dans les abysses de son esprit, il se leva. Elle pensait en savoir beaucoup sur lui, mais il voulait lui prouver le contraire, il désirait mener la danse, car après tout, c'était elle qui était venu toquer à sa porte, c'était elle qui désirait son aide et non le contraire. Alors, Rémi alla la rejoindre, il escalada à grande enjamber les marches qui se dressaient de part et d'autre du pont.

Elle était là, fixant l'horizon de ses yeux glacés, les cheveux entraînés par la force du vent et les deux mains soigneusement posées sur la rampe de sécurité.

« Tu t'es enfin décidé à venir. l'interpela-t-elle, manifestement satisfaite de sa dernière prestation.

- Oui, et j'aurais une petite question à te poser. lui répondit-il tout en imposant sa voix rauque et enrouée.

- Je suis tout à toi.

- Tu ne m'as toujours pas dit ton nom.

- Te dire mon nom serait te révéler mon identité.

- Tôt ou tard tu y seras contrainte, tu le sais. Pourquoi as-tu peur de me dire qui tu es ?

- Parce que tu n'es pas censé savoir qui je suis.

- Très bien, si c'est comme ça, je te laisse te débrouiller seule... je ne vois pas pourquoi tu aurais le droit de savoir qui je suis, alors que je ne sais absolument rien de toi. Je ne vois donc aucune raison de bien vouloir t'aider. »

Il s'apprêta à lui tourner le dos avec dédain, mais ses lèvres s'entrouvrirent pour émettre un son, faisant vibrer les fragiles cordes vocales de cette blonde aux yeux verrons.

"Rémi, attends !" s'exclama-t-elle.

Il se retourna automatiquement vers elle tandis qu'elle lui souriait gentiment avec toute la grâce d'une jeune femme de vingt ans. Leurs pupilles se rencontrèrent dans un dernier croisement, avant qu'elle ne dévoile enfin la réponse à sa première énigme, celle qui taraudait désespérément l'esprit de Rémi, celle qui lui suffirait à s'abandonner pleinement à ses folies. Son nom. Rien que son nom.

« Luna. Je m'appelle Luna. » lui souffla-t-elle d'une voix pleine de rêverie.

[Musique en média : Lost - BLAJK]

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