O n z e
Les jours qui ont suivi, Rémi se sentit différent. Un sentiment d'incertitude face à la vie l'encombrait lourdement. Il n'était plus sûr de rien, plus sûr de qui il était. Il avait passé les premières années de son existence à se chercher, afin de se coller une identité au sein de cette société où il tentait de s'intégrer. Trouver une place dans ce monde désabusé. Il était l'étudiant parisien en psychologie de vingt-et-un ans, né et élevé au cœur des violences de la banlieue, fils d'une famille de classe moyenne, arrivé à Paris grâce à sa volonté de ne jamais rien lâcher, toquant à chaque porte de chaque grande université. Mais aujourd'hui, tout était remis en question.
Il était un cri parmi tant d'autres, un appel au secours au milieu d'une foule hurlante. Tout s'écroulait autour de lui, il n'y avait plus de fondation, il était devenu comme cette vieille bâtisse où il avait vu le jour. Un être anéanti, se consumant intérieurement, fumant à petit feu dans une forêt abandonnée. Il était le reflet des fenêtres brisées, l'errance des âmes peinées, le battement des cœurs déchirés, les pleurs de l'enfance abîmée. Aucune de ses larmes ne pourrait rien y changer, la vie avait abattu toutes ses cartes, dévoilant son dernier carré d'as.
La vie n'a d'égale à être vécue seulement si on parvient à lui donner un sens. Autrement, vivre peut devenir un fardeau. Rémi pensait avoir trouvé le sens de sa vie, il souhaitait vivre pour aider les gens, devenir psychologue, ouvrir son propre cabinet et prendre en charge des patients. Voilà qu'elle était sa raison d'être, mais plus rien n'était garanti à cet instant, le passé lui avait éclaté en plein visage, faisant de lui un homme perdu dans ce monde trop grand. Il venait de faire un pas en arrière au lieu de continuer sa route vers l'avant.
Il s'était demandé comment son père et sa mère avaient pu le regarder grandir durant toutes ces années, tout en sachant qu'il n'était pas leur fils, mais bien celui du fruit d'un amour interdit entre un criminel et une femme pyromane suicidaire. Comment avaient-ils pu garder le silence sur une vérité aussi brutale ? Comment étaient-ils parvenus à l'aimer malgré ses origines ? Un mal le rongeait, il eut l'impression qu'il ne méritait pas d'avoir été chéri et élevé par ces deux êtres qui n'avaient rien demandé.
Toute la matinée, il avait pris le temps de chercher sur internet les articles sur cet incendie qui avait eu lieu l'automne 1995 à l'orée de la forêt de Fontainebleau dans une vieille bâtisse délesté de toute forme de vie. Mais cela ne l'avait avancé à rien. Aussi, il apprit grâce aux journaux que son père se prénommait Fabio, et qu'il avait été incarcéré pour trafic de drogue. Il était seulement âgé de vingt-huit ans lorsque Rémi est né. Bien entendu, personne n'était au courant de son existence en tant qu'enfant né de parents maudits.
Et par chance, le jeune homme avait également su trouver une photo, et pas n'importe laquelle, mais bien une qui représentait traits pour traits la femme qui l'avait mis au monde. Sous la photo, on pouvait lire en lettre grasse : Ardea Guil (1975-1995)
Il l'avait longuement détaillé en pensant pouvoir comprendre pourquoi diable elle avait commis cet acte répressif. Elle était brune aux yeux verts, il avait hérité de son regard, elle avait la peau pâle et les lèvres dessinées, les joues creuses, les cheveux raides, elle était maigre et très jeune. Cette femme lui parut achevée par le temps et ce que lui avait confié la vie, elle semblait avoir vécu une existence difficile. Était-elle dépressive ? Il ne saurait le dire, car sur ce seul cliché d'elle, elle souriait d'un de ces sourires qui vous marque à jamais, ou du moins, qui ne vous laisse pas indifférent.
Rémi passa deux heures durant lesquelles il surfa sur le net, cliquant sur chaque lien qui pouvait l'aider dans l'avancée de son enquête, lisant des pages et des pages d'articles de journaux qui ne cessaient de répéter les mêmes faits et constatations. Alors, fatigué par son dur labeur et aveuglé par la lumière bleutée qui émanait de son écran, il referma l'ordinateur en soupirant.
Il eut l'impression qu'il était le dernier de sa lignée, et c'était bien le cas. Des questions sur sa mère le troublaient durant son sommeil, il voulait savoir pourquoi elle avait fait cela. Pourquoi l'avait-elle abandonnée ? Et son père, qui était-il ?
Sur son balcon improvisé au bord de la fenêtre du salon, il porta une cigarette à ses lèvres toutes gercées. Un objet de destruction massive pour ses poumons, et pourtant un goût âcre et une fumée blanche qui calmaient sa raison.
« Bah qu'est-ce qui t'arrives, je croyais que t'avais arrêté de fumer ? lui demanda Quentin, tout mollasson, en rentrant dans le salon.
- Toi tu bois, moi je fume. C'est le parfait combo.
- Toi, y'a quelque chose qui va pas. C'est cette fille ? »
Rémi ne l'avait bien sûr pas oublié, comment le pouvait-il ? Pour une raison qui lui était encore inconnue, elle connaissait son prénom. Mais Rémi ne connaissait pas le sien.
« Ah les filles, elles vont finir par nous faire perdre la tête. » rajouta Quentin en s'affalant sur le canapé.
Rémi se contenta de se lever sans lui répondre, et écrasa d'un geste sa clope dans le cendrier en verre aussi translucide que les fantômes de son passé.
« Tu vas où comme ça ?
- Prendre l'air. » souffla Rémi.
En effet, Rémi s'éclipsa sans savoir où il allait. Il avait l'habitude de toujours aider les autres, mais aujourd'hui, n'était-ce pas à son tour de trouver de l'aide ?
Il marcha telle une âme égarée cherchant son propriétaire, regardant les autres sans trop s'attarder sur leurs expressions. Trop de questions le rongeaient de l'intérieur, mais il ne savait pas s'il était prêt à découvrir leurs réponses.
Machinalement, il se dirigea vers le métro, son métro à lui, mais aussi le sien, à elle. Il traîna des pieds dans les couloirs, croisant des regards incertains, des silhouettes pressées, des ombres piégés sur les murs imposants de notre société.
Une fois qu'il eut atteint le bout de ces interminables couloirs, il alla sur son quai à elle, et sans surprise, elle était là, seule, debout, fixant inlassablement les rails du train comme on contemple un tableau, une œuvre d'art ou le mouvement des vagues dans l'eau.
Il s'apprêta à ouvrir la bouche pour lui parler, mais elle le devança et fit le premier pas que Rémi avait tant attendu.
« Bonjour Rémi.
- Bonjour... Euh... bégaya-t-il. Je pense qu'il serait plus pratique si je savais au moins comment tu te nommes.
- Tu le sauras le temps venu. »
Son visage était resté impassible, comme si le fait de sourire ou de laisser une quelconque expression paraître sur son visage, lui était inconnu. Néanmoins, sans aucune raison apparente, les extrémités de la commissure de ses lèvres s'étirèrent. Elle venait de lui sourire, à l'instant. Le jeune homme en fut tout étonné, mais aussi ravi, alors il lui rendit. Pourtant, Rémi déchiffrait dans son sourire, tout sauf de la sincérité et de la franchise. Non pas qu'elle lui mentait, mais son sourire n'était pas vrai, il était tout ce qu'il y avait de plus faux. Alors il la dévisagea encore et encore, cherchant un indice aux secrets que dissimulait son visage si doux et dure à la fois, mais elle le fuyait du regard, empêchant ainsi leurs deux pupilles de se rencontrer.
Cette fille lui cachait quelque chose. Rémi en était persuadé, quelque chose clochait. Et il était prêt à percer ce mystère coûte que coûte. Malgré les derniers évènements, son obsession ne l'avait pas quitté, elle était encore présente au fond de lui, brûlant à vif dans son esprit.
Rémi s'avança encore un peu vers elle, et tenta le tout pour le tout.
« J'allais déjeuner, ça te dirait de venir avec moi ? proposa-t-il.
- Avec plaisir. » lui répondit la jeune femme.
Il fut agréablement surpris voire tout étonné lorsqu'il entendit sa réponse. Et pour la première fois, il la voyait quitter son quai, et non pas pour s'enfuir et disparaître, mais bien pour venir avec lui.
Ils se rendirent dans un café au style bohème et chaleureux, typiquement parisiens. Sur le chemin, aucun des deux n'avait voulu parler, ils s'étaient laissé guider par le silence, faisant claquer les talons de leurs chaussures sur les dédales du trottoir. À l'intérieur du café, ils s'assirent l'un en face de l'autre sur des chaises en osier brun, le regard fuyant et encore timide, les mains soigneusement posées sur une table en bois vernis où trônaient déjà, assiettes, couverts, verres à vin et cartes du menu.
« Tu sais, ça fait longtemps que je te regarde... commença Rémi, brisant ainsi la glace de l'indifférence.
- Oui, je sais. répondit-elle, toujours d'une voix neutre.
- Qu'est-ce que tu fais, toujours au même endroit à fixer les rails ?
- Je contemple le vide.
- Le vide ?
Rémi fronça les sourcils, tant il ne comprit pas son raisonnement.
- Oui, le vide. Celui que laisse l'être humain lorsqu'il disparaît, celui qui peut laisser un trou béant dans notre poitrine, c'est aussi l'absence de matière dans l'univers scientifiquement parlant. Le vide, c'est tout et rien à la fois.
- Mais quel rapport avec les rails ? Le métro ? Ta présence au même endroit tous les jours ? Je ne vois pas où tu veux en venir. »
Elle le dévisagea de ses yeux mêlant bleu et vert comme lorsque l'eau rencontre la terre, la nature épousant les contours de l'océan et les vagues se jetant à corps perdu dans une tempête de tourments.
« Il n'y a rien à voir, il suffit juste de le ressentir ?
- Ressentir quoi ?
- Le vide, Rémi.
- Tu ne peux pas parler clairement comme tout le monde ! s'injuria-t-il.
- Non, car je ne suis pas tout le monde.
- Qui es-tu alors ? Donne-moi ton nom...
- Je suis la lumière qui se reflète dans l'eau des rivières. Je suis l'amie des étoiles que tu scrutes dans le ciel. Je suis l'obscurité qui t'effraie, mais aussi la lumière qui te guide. Je suis celle qui rythme tes humeurs aux mouvements des vagues. Mon nom peut seulement être déchiffré par les astres en personne. »
Il la regarda avec peine et douceur, il avait du mal à cerner ses propos, elle venait de lui réciter une énigme qu'il n'arrivait pas à comprendre, mais il se tut et laissa le silence parler. Ses yeux rencontrèrent enfin le bleu cerné de vert de ses pupilles, dans laquelle il s'abandonna comme on plonge au bord de la falaise dans les profondeurs de l'océan.
Lorsqu'il revint à lui-même quelques secondes seulement s'étaient évaporé, et une question revenait sans cesse, il ne voulait pas s'avouer vaincu aussi rapidement.
« Quand comptes-tu me dire ton nom ?
- Qui je suis n'est pas ce qui importe le plus aujourd'hui, ce qui importe c'est qui tu es, toi.
- Je ne comprends pas.
- Il n'y a rien à comprendre Rémi. Pose-toi les bonnes questions. »
Sur ce, elle se leva et prit le chemin de la sortie. Elle venait de lui accorder un entretien de courte durée, elle avait accepté, mais cela n'avait encore une fois avancé à rien. Rémi ne savait toujours pas qui elle était. En lui parlant, elle s'était rendu encore plus mystérieuse à ses yeux. Alors, il se leva à son tour, toujours dubitatif et sortit lui aussi, sans même avoir eu le temps de déjeuner.
Lorsqu'il fut à l'extérieur, il la chercha du regard, mais c'était peine perdue, elle s'était une nouvelle fois évaporé, comme une ombre qui disparaît dans l'obscurité, comme l'eau qui s'évapore à ébullition, comme un mirage en plein désert. Elle était insaisissable et avait le don d'éveiller la curiosité maladive de Rémi.
Car oui, désormais il désirait plus que tout savoir qui était cette femme aux cheveux d'or. Elle était devenue son mystère, son énigme, son enquête, la toute première qu'il ne parvenait pas à comprendre et à résoudre.
***
Hey ! J'espère que ce chapitre vous aura plu, c'est mon plus long à ce jour !
Alors, saurez-vous résoudre l'énigme de la fille du métro ?
Ps: pour celles/ceux qui ne l'auraient pas encore vu, j'ai publié une Nouvelle qui porte pour titre "Quand c'est ?", n'hésitez pas à passer y faire un tour (rien qu'un ptit, ça fait toujours plaisir)
Des bisous sur vos joues 😘🌟
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