N e u f

Deux jours s'écoulèrent. Deux jours durant lesquels Rémi n'avait fait que penser à elle et à personne d'autre que le doux visage de cette femme apparenté à un mystère inviolable, sans failles ni faiblesses visibles de l'autre côté de la glace. Rémi espérait pouvoir un jour parvenir à briser sa coquille, cette prison de verre qui la retenait captive. Mais en attendant, il subissait ses questions sans réponses.

Aujourd'hui, son organisme allait mieux, il s'était remis de son malaise, et avait accepté de venir déjeuner chez ses parents suite à leur message. Rémi s'était convaincu que cela lui ferait du bien de les revoir après tous ces mois où il n'avait plus donné de ses nouvelles. Mais il voulait surtout ne plus penser à cette fille, au moins le temps d'une journée. Il s'était également juré qu'il ne parlerait pas à ses parents de l'incident qui l'avait conduit tout droit dans l'enceinte de l'hôpital, pour ne pas les inquiéter. Il avait surtout horreur de voir sa mère affolée.

Il termina de se préparer, signala à Quentin qu'il serait absent toute la soirée, et qu'il restait encore le plat de pâtes d'hier dans le frigo si jamais il avait un creux.

Le jeune homme, vêtu d'un simple pull couleur bleu nuit, d'un jean gris et dont les épaules étaient recouvertes d'un manteau kaki, marcha tranquillement au milieu des passants dans un quartier qui différait totalement du sien. L'atmosphère l'oppressait, l'air pollué parvenait à lui brûler les poumons, il étouffait intérieurement. Plus il avançait, plus les édifices s'élevaient un à un sous ses yeux de riverain. Les immeubles surplombaient l'espace jusqu'à venir frôler le ciel cotonneux.

Il avait choisi de prendre le bus cette fois pour parvenir jusqu'ici, même si le trajet fut un peu long faute des embouteillages. Car ses parents ne logeaient pas dans Paris même, mais habitaient en banlieue parisienne. Dans un quartier de Seine-Saint-Denis, peu reconnue pour son hospitalité et sa sécurité, ses parents avaient désiré rester ici pour une raison qui était encore inconnue à Remi. Et pourtant, il avait grandi ici.

Il arriva face à un immeuble, un HLM délabré dont les murs de l'entrée étaient parsemés de tags qui cachaient la peinture d'origine ; les portes vernies d'une couleur rouge proche du vermillon, ne semblaient pas très robustes et les parties communes manquaient nettement de propreté. Le jeune étudiant croisa de suite le regard de quatre jeunes, âgés, à vue d'oeil, de plus de vingt ans et vêtues de jogging et de sweat d'une marque de sport, adossés au mur de l'immeuble, adoptant une position menaçante, comme si les lieux leur appartenaient. En bref, le parfait cliché des délinquants de cité.

Les quatre individus remarquèrent la présence de Rémi, et commencèrent à le toiser durement du regard. Mais cela ne suffit pas à impressionner le jeune Parisien, il connaissait les lieux, même si la population changeait au fur-et-à mesure des années, et que la réputation du quartier se dégradait, avec une violence beaucoup plus présente dans les rues qu'il y a dix années de cela. Il lui en fallait bien plus pour revenir sur ses pas.

Il franchit les portes de l'immeuble sans faire attention aux insultes qui vociféraient déjà derrière lui.

Enfin, après avoir grimpé trois étages d'escaliers, il aperçut la porte blanche du numéro 33 se dresser fièrement devant lui. Rémi appuya sur la sonnette de l'entrée, perplexe et un peu stressé à l'idée de revoir ses parents. Puis la porte s'entrouvrit pour finir par laisser place à une femme aux yeux arrondit, qui l'accueillit à bras ouverts, un doux sourire aux lèvres.

« Mon fils ! » s'écria la mère, enthousiaste et heureuse de le revoir.

Elle ne manqua pas de le serrer de toutes ses forces, son petit l'avait tant manqué ! Mais Rémi se détacha de l'étreinte maternelle après le lui avoir rendu, pour s'avancer dans la salle à manger où son père l'attendait.

Un homme d'une cinquantaine d'années était confortablement installé dans un fauteuil en cuir rouge, abîmé par l'usure et le temps. Il avait ce regard froid mais pourtant empli d'une grande bonté, cerné par les ridules de l'âge.

« Bonjour Rémi. le salua-t-il beaucoup moins enjoué que sa femme, mais Dieu sait qu'il attendait son fils avec impatience.

- Bonjour papa. »

Ils ne s'attardèrent pas plus longtemps dans le salon après ces retrouvailles. La petite famille enfin réunie s'installa autour de la table à manger où couverts, assiettes et verres étaient déjà soigneusement disposés. Ils déjeunèrent dans le même calme qu'autrefois, sans bavardages inopinés, sans un bruit. Seul le doux tintement des couverts osa jouer son solo.

« Alors, comment ça va les études ? finit par demander le père une fois son rôti de bœuf terminé.

- Ça avance, ça avance. répondit simplement Rémi, les yeux rivés sur son plat.

- Sache que nous sommes fières de toi, mon fils. Ton père l'est tout autant que moi. » lui confia sa mère, tout sourire.

Aussi loin qu'il s'en souvienne, ses parents avaient toujours été fiers de lui, lorsqu'il recevait les félicitations à l'école, le jour où il eut une mention pour son brevet des collèges, la fois où il remporta une compétition de natation, le 400 mètres nage libre plus exactement, et l'année où il obtint son bac littéraire dans un des lycées les moins réputés de la région. Ils aimaient clamer haut et fort à quel point leur fils était un prodige, un vainqueur, un conquérant. Mais du point de vue de Rémi, ça avait été différent. Il trimait dur pour réussir à l'école, se mettant une pression énorme dès le collège. Il s'entraînait jour et nuit, sans s'arrêter, pour gagner et pouvoir brandir ses médailles. Il avait passé ses journées à la bibliothèque, coupé du monde, il s'était enfermé plusieurs mois dans sa chambre pour réviser son baccalauréat, récitant les théories de Platon à tue-tête sur le chemin du lycée. Tout cela, il l'avait fait dans le but de rendre ses parents fiers, de les satisfaire et de les voir sourire. Mais lui, cela ne l'avait jamais rendu heureux, il s'en contrefichait d'être vice-champion national de natation, ou encore, d'avoir eu la meilleure mention à son bac. Il aurait voulu vivre une enfance et une adolescence sans aucune pression sur les épaules, avoir de vrais amis, faire des sorties, aller à des soirées, draguer des filles, finir bourré, vivre pleinement chaque instant comme si l'avenir importait peu. Mais tout ce à quoi il songeait jour et nuit, c'était de quitter la banlieue, et de trouver l'espoir de vivre mieux et d'être enfin heureux. La raison de son travail acharné reposait sur son rêve d'évasion. L'avenir c'était tout ce qu'il avait pu espérer un jour tenir au creux de ses mains, le présent n'avait fait que lui glisser entre les doigts.

Rémi baissa les yeux sur la table, et le silence retomba dans cette pièce où deux générations étaient réunies pour passer un bon moment en famille. Et pourtant, leurs visages fermés, leurs cernes creusés, leur regard dépourvu de vivacité, exprimaient un mauvais présage au sein de ces corps animés.

« Rémi ? Quelque chose ne va pas ? Tu n'as pas touché à ton plat... s'inquiéta sa mère.

- Tout va bien, je n'ai simplement pas très faim... répondit-il, tout en continuant à triturer les différentes couches d'aliments de son plat.

- Tu sais que tu peux nous en parler... Nous sommes tes parents Rémi... »

Le jeune homme releva doucement la tête.

« Je vais bien, je vous l'assure. »

Puis, plus aucun bruit n'osa sortir d'entre leurs lèvres. Le silence reprit ses droits, entre les quatre murs de cet appartement familial. Les yeux de Rémi se baladaient entre la peinture défraichie qui faisait écho à l'état de l'immeuble, et ces cadres photos accrochés et suspendus aux murs. Des photos de mariage, des souvenirs de vacances, des images figés dans le temps, qui lui rappelèrent de bons moments. Tout au long de leur vie, cette traversée où mouvements des vagues et souffle du vent pouvait rapidement se transformer en tempête d'essoufflement, ils n'avaient cessé de capturer l'instant présent.

Lorsque l'heure du dessert approcha, père et mère se levèrent, et sous le grincement des chaises, se dirigèrent vers la cuisine, les bras chargés de vaisselles tachées et salies par le dîner.

Rémi se leva à son tour et en profita pour se rendre dans la salle de bain, afin de se rafraîchir. Il se regarda longuement dans le miroir, chose qu'il n'avait pas l'habitude de faire, et croisa le regard éteint de cet homme dont il ne reconnaissait plus les traits. Il avait un mauvais pressentiment, son instinct le lui avait fait sentir dès son arrivée dans le quartier, et ses yeux l'avaient deviné dans l'attitude de ses parents. Quelque chose n'allait pas.

Rémi ferma les yeux, et les paroles de la mystérieuse femme lui revinrent en tête. « Notre vie n'est jamais celle que l'on croit qu'elle est. Il y a toujours bien plus encore derrière. » Il se demanda ce qu'elle avait bien pu voulu dire à travers ses mots, qui résonnaient dans son crâne tel un cri lointain.

Tandis qu'il méditait silencieusement sur cette citation, il sortit de la salle d'eau et passa devant la cuisine, où ses géniteurs semblaient plongés dans une discussion des plus tumultueuses. Comme deux amoureux transis partageant un secret, l'inquiétude d'être démasqué se lisait sur leurs deux visages dont les masques s'étaient fissurés avec le temps. Le produit de leur amour, le fruit de leurs entrailles, leur fils, resta discret, et tendit l'oreille pour entendre les bribes de mots échangés. Il attrapa à la volée quelques fragments de conversation, mais une phrase retint son attention.

« Il faut qu'il sache la vérité, nous ne pourrons pas le lui cacher indéfiniment, tu dois le lui dire maintenant. »

***

Un chapitre qui nous permet de rencontrer les parents de Rémi et d'en apprendre plus sur lui ! J'espère que cela vous aura plu 🌟

À votre avis, que vont lui révéler ses parents ?

Dans quelques jours c'est les vacances, et j'ai vraiment hâte de me replonger tranquillement dans la lecture d'histoires que j'ai un peu laissé de côté, et surtout, de vous postez la suite de LFDM ❤️

Je vous fait des bisous, et vous dis à très bientôt 😘

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