D i x

« Quelle vérité ? » demanda Rémi, le cœur battant, immobile au seuil de la porte.

Ses parents sursautèrent à l'entente de sa voix qui résonnait encore dans tout l'appartement tant il avait haussé le ton. Alors, il s'immisça à l'intérieur de la pièce, mettant les pieds dans un gouffre invisible.

« Dis-lui. suggéra sa mère en s'adressant à son mari. Il doit savoir. »

Leurs regards se croisèrent, la peur et l'angoisse s'y mêlèrent. Mais le père ne flancha pas, et décida de se confronter à son fils. Il empoigna les armes avant de prendre une profonde inspiration, comme s'il s'apprêtait à partir au front.

« Rémi... commença-t-il doucement. Assieds-toi.

- Non, je ne veux pas m'asseoir, je veux que tu me dises ce qui se passe ici ! s'emporta Rémi, défiant pour la première fois l'autorité de son père.

- Très bien, reste debout si cela te convient. » répondit-il.

La tension monta d'un cran, l'atmosphère des retrouvailles s'était évaporé il y a bien des heures désormais. Le vieil homme, s'avança vers son fils qu'il avait élevé à la sueur de son front, aimé de tout son être et endurcit durant ces vingt dernières années.

« Il y a une chose que tu dois savoir, et que ta mère et moi devions te dire il y a bien longtemps. Mais... Nous n'en avons pas eu le courage, alors nous avons attendu... jusqu'à aujourd'hui. »

Rémi ne comprit pas où il voulut en venir, mais sentit déjà à son regard qu'il s'agissait d'un lourd secret enterré mille lieux sous terre, dont la clé du coffre avait été jeté dans les profondeurs de la mer, noyant les songes dans les fonds marins. Son géniteur se racla longuement la gorge, avant de prononcer les mots qui allait changer le cours de l'existence de son fils à jamais.

« Nous ne sommes pas tes parents.

- Du moins, pas tes vrais. ajouta sa mère rapidement. Mais nous t'aimons Rémi. »

Le jeune homme en resta dérouté, sa respiration s'accéléra sous le choc de la nouvelle, il sentit son corps s'affaisser sous le poids des mots qu'il venait d'entendre. Ces bribes de paroles lui firent l'effet d'un coup de massue, cela lui semblait irréel, invraisemblable. Cela ne pouvait pas être vrai.

Rémi laissa son corps s'appuyer sur le bord de l'évier. Il fixait tour à tour cet homme et cette femme qui lui faisaient face, avant de s'arrêter sur les détails du carrelage. Il regarda autour de lui. Perdu. Il ne reconnut plus rien. Les murs semblaient vouloir se refermer sur lui. Il n'en revenait pas. Il ne pouvait pas le croire. Toute sa vie, il avait vécu dans le mensonge. Et soudain, il n'arriva plus à considérer ces deux êtres qui l'avaient pourtant élevé, comme ayant été les deux piliers de sa vie. Tout s'effondrait sous ses yeux ahuris. Trop de questions lui taraudaient l'esprit.

« Rémi... Nous pouvons tout t'expliquer... feignit la mère.

- Pourquoi m'annoncer cela aujourd'hui ? »

Ses mains s'étaient resserrées sur l'encolure de l'évier, comme pour étrangler le métal de peur de finir par perdre le contrôle de ses émotions. Il leur en voulait énormément de lui avoir menti durant toutes ces années et de lâcher cette bombe aujourd'hui, en plein champ de bataille, alors qu'il avait déjà atteint l'âge mature, un peu plus de la vingtaine maintenant. Il n'était plus un enfant depuis longtemps, et cela peut-être avaient-ils du mal à le voir et à l'entendre. Il a le sentiment qu'il aurait voulu connaître cela bien avant. Mais aujourd'hui, il ne parvint pas à comprendre pourquoi ils lui avaient tout caché. Que craignaient-ils ?

Ces deux individus qu'il n'arriva plus à considérer comme ses parents, continuaient à chercher du regard les yeux de leur fils. Mais leur fils n'était plus. Il s'était envolé sous les balles de la vérité.

« Rémi, sache que nous t'avons toujours aimé comme notre propre fils, et nous t'aimons encore... geignit la femme.

- Je veux savoir pourquoi ! Je veux connaître la vérité... s'emporta Rémi pris d'un élan de fureur.

- La vérité ? Eh bien, la vérité c'est que tu as été abandonné Rémi... » répondit son père d'une traite.

Le jeune homme serra la mâchoire, il venait de prendre un douloureux coup de poignard, et tenta en vain de refouler ses émotions. Mais son père s'avança pour lui faire face et continua à remuer le couteau dans la plaie, il était prêt à tout lui raconter. L'heure avait sonné.

« Une nuit d'automne, au bord de l'autoroute alors que nous rentrions à la maison, nous t'avons trouvé. Tu étais niché au creux d'un panier, emmitouflé dans du linge sale, et tu étais calme, aucune larme n'avait coulé sur tes joues d'enfant. Ton visage était couvert de suie, et tes yeux d'un vert émeraude nous fixaient pleins d'espoir. Mais à quelques kilomètres de là, un feu avait été déclenché, une maison brûlait ardemment, broyé par la puissance des flammes... Alors nous avons appelé les pompiers et t'avons amené avec nous jusqu'au poste de police pour faire une déposition. Nous ne pensions pas pouvoir te garder, d'ailleurs, au début nous ne voulions pas de toi, nous ne voulions pas d'enfant, et espérions simplement que quelqu'un finisse par venir te réclamer... »

Il fit une longue pause, cherchant en vain les mots qu'il fallait pour pouvoir s'exprimer.

« Quelques jours plus tard, nous avons appris que ta vraie mère avait péri dans l'incendie qui avait consumé cette maison à la lisière de la forêt. Une enquête à même démontré que c'est elle qui a déclenché le feu... »

L'homme ferma les yeux, les images de cette nuit lui revenaient petit à petit, et comme si la scène se dessinait devant ses yeux, il continua son récit. Alors que Rémi se laissa submerger par la douleur, laissant les larmes couler le long de ses joues creuses. Tel un boxeur sur le ring, sa défense venait de tomber.

« Nous avons hérité de ta garde, puisque tu n'avais plus de famille, ni grands-parents, ni oncle, ni tante, ni père, encore vivants pour veiller sur toi... Tu n'avais que dix mois, et tu étais devenu orphelin. »

Rémi s'effondra. Il sanglotait. Les larmes coulaient à flots, dans un torrent d'atroces souffrances qui lui compressaient intensément la poitrine. Abattu par la réalité. La vérité venait de lui brûler les ailes.

« Je suppose que maintenant que tu sais tout, tu ne nous verras plus du même œil... Mais si tu as des questions, Rémi, peut-être que nous détenons la réponse... »

Il regarda son père, et sentit qu'un poids lourd qu'il avait dû porter en silence durant toutes ces années, venait de tomber face contre terre sur le carrelage abîmé. Cet homme venait de se libérer d'un terrible fardeau. Et Rémi ne lui en voulait pas, il ne les méprisait plus de lui avoir tout dissimulé, au contraire, il comprit que cela n'avait pas dû être chose facile.

« Mais pourquoi n'avoir rien dit ?

- Nous avions peur de te perdre, Rémi... Tu es notre seul enfant. Nous pensions que si tu savais, tu ne nous regarderais plus de la même manière, et que tu tenterais de retrouver par tous les moyens des membres de ta famille... répondit la femme qui était censée être sa mère, tout en se laissant à son tour submergé par une pluie de larmes.

- Nous avons eu la confirmation que tes racines s'étaient toutes rompues, il y a seulement trois ans... Nous n'étions sûrs de rien, mais personne n'était venu te chercher avant... » compléta son père adoptif.

Rémi baissa les yeux. Des questions fusèrent dans ses pensées.

« Comment était ma mère ? Est-ce que vous savez pourquoi elle a fait ça ? »

Ils avaient redouté ces questions, et ils pensaient pouvoir l'esquiver, mais la situation était telle qu'ils n'avaient pas pu y échapper.

« Elle s'appelait Ardea... Elle était jeune, vingt ans à peine. Mais elle était malade Rémi... Elle avait quelques troubles mentaux, et vivait seule avec toi, le père étant mort en prison. C'est tout ce que nous savons d'elle. »

Son père adoptif avait répondu de la façon la plus claire possible, bien que ses yeux n'aient plus osé regarder le fils de cette tragédie dans le blanc des yeux. Le silence retomba comme une traînée de poudre sur le sol terreux, Rémi n'osa plus prononcer un mot. Il semblait pensif, les morceaux de paroles s'assemblèrent de manière à former un puzzle, il se reconstituait mentalement toutes les images afin de mieux assimiler les informations délivrées.

« J'ai besoin de prendre l'air... souffla-t-il entre deux reniflements, après avoir essuyé ses dernières larmes.

- Je suis désolé mon garçon... »

Le père avait parlé, mais Rémi lui tourna le dos, et quitta précipitamment la pièce, le cœur serré et les yeux mouillés. Un claquement de porte se fit entendre, faisant trembler les murs et les corps désemparés.

La nuit glissa dans son manteau noir pour recouvrir tout le pays, le froid s'agrippa à chaque parcelle de terre, faisant frissonner les arbustes et les quelques passants. Rémi marchait, sans trop savoir où aller, il se perdait dans l'obscurité de la nuit, sous l'inquiétude de la pleine lune, et la compagnie des étoiles. Il ne voulait pas rentrer chez lui, mais ressentait l'intense besoin de se ressourcer. Alors, il erra dehors, sans but et sans direction apparente.

Au bout de quatre heures à vagabonder, il atteignit les portes de son quartier. Le calme des rues l'apaisa, la solitude l'enveloppa.

Assit sur un banc face au Canal Saint-Martin, Rémi laissa son regard se perdre au milieu des eaux. Le soleil se leva, les faisceaux de lumière éclatèrent sur le monde, réveillant ainsi des millions d'habitants. Rémi avait passé toute la nuit dehors, et il était temps pour lui de rentrer.

[Musique en média : So cold - Ben Cocks]

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top