Chapitre 9 : Le Temple de l'Apparition



Ravish avait dormi comme une masse, bien que fort peu. La responsable de ce manque de sommeil étant alanguie contre lui, il sourit en la serrant plus étroitement. Savinha murmura son nom en se retournant, afin d'appuyer son front contre son torse.

Heureux comme un niais, il lui embrassa le front.

Six années durant il avait vécu loin d'elle, et pourtant il la chérissait plus fort encore. Il avait été loin de délices de son corps, loin de son regard magnifique, de son odeur enivrante. De son sale caractère et de sa dévotion envers sa famille.

Il sourit. S'il n'avait pas ramené Sakhar, il se demandait quel accueil lui aurait réservé sa douce femme du désert.

-Dis-moi, Ravish, murmura Savinha en levant la tête avec un doux sourire. Tu as connu beaucoup de femmes pendant nos six ans ?

Ouch.

-Heu... Bonjour à toi aussi.

-Mon frère m'a dit que tu avais culbuté la reine de la Cité-État d'Ydra.

Le fils de pute !

-Je...

-Il le sait, car lui aussi s'occupait de la Reine à ce moment-là, soi-disant passant.

À court d'arguments, il réfléchit à toute vitesse. Des hostilités si matinales, ça le rendait confus. La soudaine hilarité de Savinha n'arrangea rien à sa situation. Il lui fallut bien cinq minutes pour se calmer, à tel point que des larmes perlaient à ses yeux. À la limite d'être vexé, Ravish la contemplait avec de plus en plus d'irritation.

-Mais enfin, tu vas pouvoir enfin me dire ce qui se passe !?

-Tu ne te souviens pas ? fit-elle avec un grand sourire. Nous avons passé un marché : jusqu'à ce que tu libères Sakhar, nous étions libres de faire ce que nous voulions avec qui nous voulions.

À ce souvenir, il sourit de toutes ses dents... avant de réaliser une chose.

-Attends, tu veux dire quoi, là !?

-Bonjour mes cochons ! rugit Iris en ouvrant la porte avec une telle force qu'elle frappa contre le mur. Alors, on fait la grasse matinée !? Petits voyous va ! Bougez votre cul, on vous attend dans la salle de réunion. Et fait pas la gueule Ravish, si tu as culbuté une Reine, elle couche avec qui elle veut ! Même moi !

Sur quoi elle repartit telle une tornade, hilare.

-Bien, ils nous attendent ! déclara Savinha en sautant au bas du lit. Tu viens ? Ou tu comptes maugréer sur tes principes de misogynes primaires ?

-Tu sais ce qu'il te dit, le misogyne !?

-Moi aussi je t'aime, gloussa-t-elle en l'embrassant, un sourire aux lèvres.

Comment aurait-il pu rester contrarié face à une telle beauté ?

Au petit déjeuner, qui était déjà fini depuis longtemps pour les autres, Ravish découvrit la mère de Savinha, Mirnha, enfin détendue. Souriante, elle papotait avec Iris et Silna comme s'il eut s'agit de vieilles amies. Sirkham, lui, faisait toujours la gueule, mais cela semblait être un état chronique chez lui.

-Il est où le grand dadais ? lança Ravish en s'installant à la table chargée de viennoiseries.

Depuis combien de temps n'avait-il pas consommé un véritable petit déjeuner ? Il en avait l'eau à la bouche !

-Il est chez la couturière, lança l'Élémentaire de l'Eau. Il lui faut des vêtements à sa taille, sinon il va être ridicule devant les Premiers Croyants.

-Je ne suis pas ridicule ! s'insurgea Sakhar en entrant dans la pièce.

Ça, il ne l'était pas. Vêtu à la mode des Mercenaires rouges, il portait des bottes noires dans lesquelles était rentré un pantalon noir ajusté, ainsi qu'un t-shirt simple sur lequel une veste de cuir rouge soulignait sa carrure. Comment la couturière était-elle parvenue à trouver le matériel pour faire tout cela ?

En reportant son attention sur Silna, Ravish manqua s'étouffer avec son pain au chocolat. La bouche ouverte, les yeux ronds, le rouge aux joues, elle bavait presque devant l'ancien Chien de Guerre. Sa réaction la tira de sa contemplation, aussi le fusilla-t-elle du regard.

-Ça donne encore plus envie de te foutre à poil, lança Iris. Mais vu que ta mère est ici, je ne dirais rien de tel !

Sakhar rit en s'installant, pour ensuite entamer lui aussi son repas. Visiblement, les travaux de couture avaient mis plus de temps que prévu.

-Quand arriverons-nous au Temple de l'Apparition ? s'enquit le fils du désert.

-Dans une heure. Tu sais quoi faire ?

-On verra sur place.

-Nous allons au Temple de l'Apparition ? bafouilla Sirkham.

C'était peut-être la première fois qu'il l'entendait parler. Surpris, Ravish l'avisa avec curiosité. Rouge de colère, il fixait son frère avec haine. Houla...

-Et tu ne te sens pas obligé de nous tenir au courant de notre sort, Sakhar ?

Ce dernier leva les yeux sur son cadet.

-Tu daignes enfin me parler, Sirkham ?

Il réagit comme un adolescent au caractère affreux : il se leva avec rage, adressa un regard mauvais à son ainé, avant de partir en claquant la porte.

-La vache. Tu étais comme lui à son âge ? fit Silna en haussant un sourcil.

-Non, il ne pouvait pas, gloussa Mirnha. À son âge, chacune de ses crises risquait de provoquer en tremblement de terre.

Elle rit, ce qui fit sourire toute la tablée, même s'ils trouvaient cela bizarre. Forcément, la mère d'un Elémentaire avait eu à gérer bien des choses étranges.

*

Le Temple de l'Apparition était le siège des Premiers Croyants. Bien qu'il y ait une lutte de pouvoir entre le culte de la capitale, mené par Wokabi, et cette mouvance-ci, les bases étaient sensiblement identiques.

Il y avait Tarco, il y avait le mythe de la création et son élu Elémentaire.

Ici, une immense cathédrale avait été élevée en un jour, par le premier des élus. Elle était alors très laide, mais les générations suivantes s'étaient appliquées à l'améliorer en même temps qu'une ville se développait autour de l'imposante structure. Mokha était tentaculaire, la deuxième plus grande ville du désert. Siège de la foi, ils soutenaient que leur version de la croyance était meilleure que celle de la capitale. Dans le cas de Sakhar, il était plutôt d'accord étant donné qu'eux ne chercheraient pas à le réduire en esclavage. Théoriquement.

L'aéronef stationna au-dessus du désert, très loin des portes de la ville. À vrai dire, ils firent en sorte d'arriver hors de vue. Ils avaient un peu de marche à faire, mais cela leur permettrait d'arriver à la nuit tombée.

Ce qui était exactement le but recherché.

Les Jeux du Sable commenceraient à minuit, heure sacrée selon les Premiers Croyants. Loin d'être hors la loi, ces jeux étaient orchestrés par le Grand Prêtre en personne. Les Jeux se déroulaient dans les sous-sols, mais aucun des trois Élémentaires n'en savait plus. Mais il avait été décidé que Sakhar serait le seul à y participer. Pour la bonne et simple raison que ni Iris ni Silna n'étaient censées se trouver là à cet instant. La rumeur de leur présence ne devait surtout pas remonter aux oreilles de Wolff.

Vêtus tous trois à la façon des Mercenaires Rouges, même si Silna se plaignait de la chaleur. Lui trouvait qu'il faisait plutôt bon, mais c'était un natif, alors...

À la tombée de la nuit, les habitants avaient déjà commencé à migrer vers la cathédrale, via la grande avenue. Personne n'empêcha le trio de passer les grandes portes des remparts. Après tout, Mokha était une ville sainte, et absolument pas la cible des rebelles.

L'avenue remontait directement jusqu'à la grande cathédrale de l'Apparition. Immense, massive, elle comportait sur sa place une immense statue du Dieu Tarco. Elle ne le représentait pas avec une grotesque érection, comme à la capitale. Non, le Dieu était ici accroupi, le regard tourné vers le sol. De sa position au bas des marches, Sakhar aurait pu croire qu'il le fixait, lui. En vérité, il contemplait une pousse de palmier sculpté dans la pierre qui faisait mine de sortir de la terre. La représentation originelle de la fertilité du Dieu. Celle de la renaissance de la terre.

La cathédrale, elle, était monumentale. Vieille de plus de quatre mille ans, elle arborait un nombre incalculable de caryatides, de statues de donzelles à peine vêtues, de colosses armés, lisant des livres ou contemplant les visiteurs d'un air sévère.

Les habitants transitaient entre les quatre rangées de colonnes avec des murmures surexcités. Adultes, enfants, vieillards, tous se trouvaient là avec de grands sourires. Certains portaient des paniers-repas pour se sustenter en attendant le début des Jeux, d'autres étaient en groupe d'amis avec des boissons dans les mains... mais pas de signe de ceux qui concourraient.

-On va devoir se séparer, déclara Sakhar. Iris, Silna, restez parmi les spectateurs.

Elles hochèrent la tête. Attrapant sa Prêtresse par la taille, il l'embrassa fugacement sur les lèvres. Ce simple geste suffit à son cœur pour battre la chamade... Mais il ne prit pas le temps de pester sur son côté de vierge effarouchée. Il serait parti aussitôt si Silna n'avait pas posé les mains sur ses joues, pour lui octroyer un véritable baiser.

-Soit prudent, grand crétin.

-Toi aussi, souffla-t-il contre sa bouche.

Ils se quittèrent le sourire aux lèvres.

Selon toutes vraisemblances, les Jeux devaient se dérouler dans une arène. Il chercha donc un escalier allant vers le bas. Ignorant les statues colossales du Dieu quand il les croisa, il repéra une file d'hommes musculeux et à la mine patibulaire.

Parfait.

La longue attente s'amorça. On leur fit signer un vieux registre, tellement épais que des millénaires devaient y être consignés. Ce qui était probablement le cas, en vérité. Il le signa de son vrai nom. De toute façon, les citoyens ne le connaissaient pas.

Puis on les fit descendre dans les souterrains. Bien éclairés, avec des pierres couleur de sable, ils ne sentaient pas le renfermé. Signe d'un usage relativement fréquent, ou d'une très bonne aération pour l'occasion. La pièce de préparation était dénuée de tout. Pas d'équipement, rien. Les participants venaient avec leur propre matériel. Lui n'avait rien.

Bah.

Sakhar s'adossa au mur, dans l'attente.

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