Chapitre 3 : Le Grand Méchant Wolff



C'était irréel de rentrer dans la petite maison familiale de Tirhn. Rien ne semblait avoir changé. Au rez-de-chaussée se trouvaient la salle de vie et la cuisine. À l'étage, les deux petites chambres. L'une pour Savinha, l'une pour son petit frère, Sirkham. Sa mère dormait en bas, près du feu de la cuisinière, en chien de fusil. Jadis, lui-même dormait à l'étage, avec Sirkham. Pendant que son père occupait sa place auprès de sa femme.

Il ferma les yeux, en revoyant le fantôme de cet homme si grand, si fort, déambuler dans cette pièce. Le sourire aux lèvres, les yeux pétillants.

-Je n'aurais jamais cru te revoir un jour, sanglota sa mère, Mirnha. Mon fils... Ça fait si longtemps...

-Ne pleure pas, maman, fit-il en lui embrassant le front. On va se voir pendant un moment.

-Où est donc Ravish ? murmura Savinha, en regardant vers la porte close.

Sakhar haussa un sourcil en se tournant vers elle. Belle, les cheveux noirs, les yeux verts et dotée d'une silhouette athlétique, sa sœur devait posséder un charme certain pour les autres. En dix ans, elle avait bien changé. Mais ce qui l'interpellait le plus, c'était...

-Comment connais-tu son nom ?

Elle se raidit. Attendez... Que...

-Tu l'as dit tout à l'heure. Dans la bataille.

-Non. C'est faux, et tu le sais. Savinha, tu connais déjà cette tête de gland ?

-On s'en fout de ça !

C'était son frère. Furieux, les poings serrés, le jeune homme regardait l'Élémentaire avec une expression de rage très caractéristique de la famille. Il ressemblait énormément à leur père. Brun lui aussi, les yeux verts également. Beau, bien que jeune.

-Pourquoi tu es revenu !?

Heu...

-Tu nous as abandonnés il y a dix ans ! Pourquoi tu reviens maintenant, hein !? Tu crois que ça nous fait plaisir d'avoir un esclave dans la famille !? De voir ta tête, alors que tu as souillé la réputation de notre famille !?

-Sirkham...

-Non ! Tu n'as rien à faire là ! Casse-toi !

La seule chose qui l'empêcha de l'engueuler dans les règles, ce fut l'entrée de Ravish. Son frère en profita pour courir à l'étage, dans sa chambre. Sakhar eut aussitôt d'autres chats à fouetter quand il vit Savinha se jeter au cou du garde royal, avec un éclat de rire teinté de sanglots. Le plus fort fut lorsque l'autre la serra dans ses bras en retour, enfouissant son nez dans ses cheveux.

Mais c'était quoi ce bordel !?

-Ne me tue pas.

C'était Ravish, qui l'observait par-dessus la tête de sa sœur. L'Élémentaire haussa un sourcil, tout en croisant les bras. Sa mère s'en était allée aux fourneaux, pour remplir leur estomac. Il avisa le couple étrange qui semblait s'être formé devant lui. Savinha le défia du regard.

-Ça fait dix ans que j'ai disparu. Alors, si vous me racontez toute l'histoire, et que tu n'es pas un connard, effectivement, je ne te tuerais pas. Savinha ?

-Non, ce n'est pas un connard, confirma-t-elle avec un air malicieux.

-Bien. Maintenant, vous allez m'expliquer comment le mec qui est mon garde peut connaitre ma petite sœur, fit-il avec un sourire sans réplique. Nous avons un peu de temps avant que les habitants de la ville ne viennent frapper à la porte.

Au même moment, on toqua si violemment que le battant trembla sur ses gonds. Et m...

*

Lavée, habillée comme il se fallait et coiffée à la mode du pays des montagnes, Silna serrait les dents. On la traitait avec déférence depuis son arrivée dans le palais de Wolff, sur son pic rocheux. On l'avait enroulée dans des couvertures surtout, en raison de son extrême faiblesse.

Bon sang, pourquoi il n'y avait qu'Ydra avec des températures normales, hein !? Elle aurait bien aimé y rester, au lieu de trainer ses fesses devenues maigrelettes d'un désert à une montagne neigeuse. Elle voulait son rivage, avec ses poissons et son peuple qui l'aimait.

Pas une bande de pleutres terrorisés qui vivaient depuis trop longtemps sous la férule de fous furieux. Car oui. Tous les Rois du pays étaient des malades mentaux. Et Silna en connaissait un rayon sur la question.

Pour son plus grand malheur, elle avait côtoyé Wolff, ainsi que son prédécesseur.

-Maitresse, fit d'une petite voix une servante, le Maitre vous attend.

Tête baissée, elle n'osait pas la regarder. Cela énerva encore plus Silna. Petite, mince comme tous les gens de ce pays, elle avait de beaux cheveux noirs soyeux. Sa mise simple était propre, mais l'odeur presque imperceptible du sang la nimbait.

-Approche.

Elle aurait voulu le dire avec gentillesse, mais elle n'était pas d'humeur. La servante tressaillit, terrorisée. Pourtant, elle s'avança, certainement par crainte des représailles si elle n'obéissait pas. Il n'y avait personne d'autre dans la chambre où l'on avait logé Silna. Assise sur un tas de coussins de soie, dans une ambiance chargée d'encens, l'Elémentaire reconnaissait avec dégout cette pièce. Les murs coulissants en bois et papier laissaient passer tous les sons, et les colonnes pouvaient abriter aussi bien des espions que des servants prêts à lui rendre service.

-Es-tu blessée ? demanda-t-elle sans la toucher.

-Je... Heu... Non.

Silna soupira.

-Ça veut donc dire oui.

Elle n'avait pas envie de savoir où. Se contentant de la saisir par la main, elle lança quelques brides de son pouvoir en elle. La plaie devait être superficielle, car ses sens innés de soin détectèrent sa guérison quasi immédiate. Parfait. Même bridée par les drogues, elle pouvait faire cela. L'attaque lui était impossible, mais les soins restaient à sa portée. C'était plutôt une bonne nouvelle.

La relâchant, elle se sentit bien plus fatiguée encore. Bon sang ! Maudite invocation ! Elle se sentait comme une vieille atteinte de la grippe ! Plus aucune résistance, même face à son pouvoir ! Elle devait manger. Avoir la peau sur les os, ça ne permettait pas d'accomplir des miracles.

-Vous... vous m'avez guéri, balbutia la jeune servante.

Pour la première fois, elle regarda Silna dans les yeux, pleine d'admiration. Bridés, ils allaient à merveille avec son visage adorable.

-Ouais. Pas la peine d'en faire tout un plat. On doit aller voir cette tête de gland de Wolff.

À ces paroles toutes sauf révérencieuses, l'autre parut terrorisée. Avec un grognement, l'Élémentaire se remit sur pied. La tête lui tourna, menaçant de l'envoyer de nouveau dans les coussins de soie. Oh bon sang...

La servante lui donna la main, l'aidant à se stabiliser.

-Merci, bougonna Silna.

-Vous n'avez pas à me remercier, maitresse.

-Ton nom ?

-Sa... Sakura.

-Merci, Sakura. Si tu le veux bien, je vais demander à ce que tu sois gardée à mon service. Je te trouve sympa.

Elle rougit comme une pivoine. De gêne ou de plaisir, ça, elle ne le savait pas. Mais elle s'en moquait. Car dans l'immédiat, elle devait réussir à marcher jusqu'à la salle de réunion de Wolff. Et évidemment, elle se trouvait de l'autre côté de ce foutu palais, en haut d'une tour au bout d'escaliers interminables !

Une fois en haut, battue par le vent froid du nord, elle crut sa dernière heure venue. Heureusement, Sakura l'avait accompagnée. Si l'état de l'Elémentaire la faisait rire, elle n'en montrait rien. Mais vu le comportement des gens de ce pays, elle soupçonnait que sa sollicitude n'était pas feinte.

-Merci. Ne te sens pas obligée de rentrer dans cette pièce, je sais que tu as peur de Wolff.

La servante hocha la tête. Effectivement, elle ne chercha pas à la suivre, une fois qu'elle eut ouvert la porte.

Ronde, la salle était ouverte de tous les côtés, un peu comme la salle du conseil de guerre d'Ydra. D'un côté, il y avait la montagne et la neige. De l'autre, le vide, et beaucoup plus bas, la capitale, Rivska. D'ici, elle n'en voyait pas grand-chose. Uniquement les lanternes allumées le long des rues, dessinant les contours de la cité. Tentaculaire.

-Salut les tarés ! lança-t-elle en entrant dans la pièce circulaire. Alors, toujours en train de chercher à faire du mal à quelqu'un ?

Les deux seules personnes sur place se tournèrent vers elle. La première était Iris, qui éclata de rire en ôtant son cigare de sa bouche. Vêtue de son pantalon noir, de son débardeur et de sa veste rouge, elle respirait l'assurance. L'autre... Hé bien c'était Wolff.

Drapé dans un habit traditionnel, un long manteau gris souligné à la taille par une épaisse ceinture noire, il avait le visage fin transpirant la méchanceté.

-Alors, mon gars, tu t'es remis de ta dérouillée ? lança-t-elle en posant un poing sur sa hanche, nullement impressionnée par son regard mauvais. On a pété la gueule à ton armée avec Sakhar. Ça fait quoi, de perdre un tiers de ses effectifs ?

-Il me semble que ma défaite est une victoire, siffla-t-il, les mains posées sur la grande table circulaire entre eux. Vu ta présence ici.

-Oh le mauvais perdant !

Dehors, le vent se déchainait de plus en plus. Cela la fit ricaner. Ce crétin n'avait pas l'habitude qu'on lui parle ainsi, au vu du comportement de la servante.

-Tu devrais t'arrêter, Prêtresse. Tu pourrais bien regretter ma colère.

-Ah ouais ? Et tu as va faire quoi ? Me frapper ? Me torturer ? Oh pitié, tu as déjà fait tout ça, et pourtant je suis toujours là. Ça va Iris ?

Soufflant un nuage de fumée en forme de cercle, l'Élémentaire de Feu lui fit un clin d'œil.

-Comme toujours, ma belle. Toi, par contre, tu as une sale gueule.

-C'est mon régime forcé, gloussa Silna. Bon...

Elle se laissa tomber sur une chaise. Ouf. C'était bien beau de crâner pour dissimuler sa faiblesse, mais il n'en restait pas moins que la montée l'avait épuisée. Une fois installée, elle avisa Wolff. Il avait bien grandi depuis la dernière fois. Il était devenu un homme plutôt charmant, mais indubitablement méchant. Sa bouche avait un pli hostile qui la fit ricaner.

-Quoi ? Tu t'attendais à ce que je tremble dans les chaussons que tu m'as fournis ? Oh, Wolff... Toi comme moi savons que ce n'est pas dans mon caractère.

-Tu n'en restes pas moins ma prisonnière, gronda-t-il.

Le vent sifflait de plus en plus fort à l'extérieur. À cette altitude, le pouvoir de l'Élémentaire de l'Air se ressentait de façon viscérale. Sa moindre saute d'humeur se voyait aux vibrations de plus en plus fortes des fenêtres autour d'eux. Pas étonnant qu'elles soient renforcées de barreaux en fer.

-Ouais, je suis ta prisonnière, céda-t-elle en posant ses pieds sur une autre chaise avec un soupir d'aise. J'aimerais bien savoir pourquoi d'ailleurs. Qu'est-ce que tu me veux, tête de gland ?

Il était vrai, elle prenait un malin plaisir à le provoquer. Ça ne lui faisait pas de mal. Derrière lui, Iris tira une nouvelle fois sur son cigare pour dissimuler son hilarité.

-Il est l'heure pour toi de te reproduire, Silna.

Elle haussa un sourcil. Wolff la considérait de ses yeux bridés, noirs, sans expression.

-Merci, je connais le cycle de la vie, mon grand. Mais c'est à moi de décider.

-Je ne crois pas, non.

La colère enfla en elle. En vérité, elle savait pourquoi il l'avait trainée jusqu'ici. Elle l'avait toujours su, tout comme Iris derrière lui. Cette pintade était protégée contre ce problème, mais pas elle. La poisse. D'ailleurs, dehors, le vent se calmait. Il prenait du plaisir à sa petite annonce, le bougre !

-Dis-moi, mon bon Wolff... tu penses à quoi, exactement ? Faire de moi une poule pondeuse, en espérant que l'un de mes rejetons soit lui aussi un Élémentaire de l'Eau ? Tu sais comme moi que ce n'est pas héréditaire. Les Dieux y ont veillé, justement pour éviter ce genre d'abus. Il n'y a que les crétins comme Wokabi et Chameka pour croire que c'est toujours le cas.

Les enfants des Élémentaires étaient toutefois plus forts que la moyenne. Mais ce n'était pas le sujet. Un sourire cruel étira les lèvres minces de Wolff.

-Nous discuterons de cela plus tard, susurra-t-il. Car avant toute chose, sache une chose : nous allons unir nos deux nations.

Pardon ? Cette fois-ci, elle ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux. Derrière, Iris manqua avaler son cigare. Attendez...

-Nous allons nous marier, confirma Wolff avec son air le plus satisfait.

Oh merde...

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