Chapitre 26 : L'Emissaire de Wolff


La huitième cache avait été la bonne. Enfermés dans le temple du dieu Tarco, la famille royale et Chameka pouvaient voir l'affrontement entre les deux Elémentaires par les arcades de la façade. En entendant la voix haineuse du roi, Ravish serra les dents.

La dernière heure de ce fils de pute allait bientôt sonner.

Mais pour le moment, il avait un gros problème.

L'émissaire de Wolff se trouvait entre lui et Chameka. Vêtu d'une tenue d'ici, avec un gilet blanc ouvert et un pantalon large tout aussi immaculé, il arborait un sourire mauvais. Un peu trop assuré à son gout.

Pour autant, Ravish ne se laissa pas décontenancer par la menace silencieuse. À l'instant où Iris avait vu cet homme, elle avait retourné sa veste. Après lui avoir enfoncé son poing dans l'estomac, elle l'avait vendu à l'émissaire de Wolff et au roi de Ghania sans l'ombre d'une hésitation. Il ne savait pas de quoi il en retournait exactement, mais il le savait.

Si ce pédant n'avait pas été là, elle ne se serait jamais mise en travers de la route de Sakhar.

-Tu es un des coquins de l'esclave, n'est-ce pas ? fit l'émissaire avec un dédain évident.

Ravish haussa un sourcil, tout en croisant les bras.

-Non, on ne couche pas ensemble.

-Ce n'est pas ce que je voulais dire.

-Je sais. Par contre, c'est mon ami. Alors si tu ne veux pas de soucis, ôte-toi de mon chemin. J'ai un problème à régler avec le monstre qui nous sert de roi.

Ils se toisèrent. Derrière, Chameka et sa famille étaient figés, dans l'attente. Silna l'avait prévenue que l'homme devant lui avait reçu la bénédiction de Wolff. Néanmoins, il ne savait pas en quoi cela consistait exactement. Prêt à se prendre la droite du siècle, l'ancien garde royal se fit souple sur ses pieds.

Il devait absolument éliminer cette menace. Sans ça...

Le souffle du vent le percuta de plein fouet, l'envoyant valser contre une statue du dieu Tarco, derrière lui. Ses cotes gémirent sous l'impact, sans pour autant céder. Argh. Ça faisait mal. Pourtant, il retomba sur ses pieds, un mauvais sourire aux lèvres.

-C'est ça, la bénédiction de ton Elémentaire ? fit-il en ricanant. Il doit bien être faible...

-N'insulte pas mon maitre !

Une nouvelle vague de vent le percuta, mais il se campa sur ses jambes, déjà bloqué contre la statue de son propre dieu.

Bon sang, lui qui avait vu des armées de roche prendre vie, de l'eau devenir une déesse, des flammes obéir à la volonté d'une femme, il n'allait pas se laisser impressionner par un gars qui osait lui soufflait dessus !

Ivre de rage, Ravish se mit à courir vers l'émissaire, dont le visage prit une teinte violacée de colère. Le vent se fit plus fort, tentant de le repousser en arrière. Continuant à avancer malgré la force contraire, il sourit méchamment.

Son rôle était rempli.

Tombant du plafond telle une ombre létale, Silna atterrit sur les épaules de l'émissaire. Ce dernier n'eut pas le temps d'être surpris que le poignard de la Prêtresse lui tranchât gorge et cordes vocales. Le sang giclait à peine qu'elle lui transperçât les yeux, le rendant aveugle, avant d'enfoncer sa lame profondément dans le cœur.

La violence de ces gestes avait à peine atteint le cerveau de l'assistance que la Reine de Ghania, au fond de la pièce, se mit à hurler.

Couverte de sang en raison des deux carotides ouvertes qui expulsaient du sang en gros jets, Silna hocha la tête en direction de Ravish. Elle méritait bien son surnom de Prêtresse Écarlate, surtout en cet instant.

La véritable bénédiction de Wolff, en revanche, était le gros problème. C'était la raison pour laquelle Iris avait retourné sa veste si vite. Ses émissaires pouvaient, à des lieux et des lieux de distance, murmurer à son oreille, afin de lui dire ce qui se passait devant eux.

C'était pour cela qu'il avait fait diversion : afin de permettre à Silna de se glisser derrière lui et le tuer sans être vue. Ainsi, Wolff ne pouvait savoir qu'elle se trouvait ici. Et Wolff ne pourrait pas savoir qu'Iris arrêtait le combat.

Mais en se précipitant sous les arcades, en ignorant la famille royale, ils constatèrent qu'un silence de mort était tombé sur Maïsanna.

Merde.

Ils étaient passés où, les deux fous furieux !?

-Alors, mon petit roi... On essaie de se barrer ? ricana Sakhar.

*

Le déferlement anormal de vent dans les couloirs du palais avait permis à Sakhar de se guider jusqu'à la cache royale. Il avait sprinté depuis le désert, passant par les remparts fondus par les bons soins d'Iris.

Le Temple, évidemment.

En entrant, il ne fut pas surpris de voir Silna couverte de sang, un cadavre au sol, et un roi qui tentait de s'enfuir. Chameka, qui surveillait la Prêtresse du coin de l'œil, ne l'avait pas vu arriver. Il rebondit sur son torse, avec de grands yeux terrifiés.

-Alors, mon petit roi... On essaie de se barrer ?

Terrés au fond de la pièce, la reine, les deux jumelles de dix ans et leurs trois fils d'âges divers les regardaient, terrorisés. Avec un glapissement, Chameka couru vers eux. Pour les protéger ? Non...

Ce fils de pute se cachait derrière sa famille.

-Elémentaire de la Terre, fit la Reine d'une voix vibrante de peur. Je vous en conjure, épargnez-nous !

-Laissez-nous tranquilles, gémit l'une des petites.

Décidément, les mâles de cette famille n'étaient pas les plus courageux. Ils ne pipaient mots, tremblant comme des feuilles. Sakhar les considéra tour à tour tout en remontant lentement l'allée centrale. Il adressa un signe de tête à Silna et Ravish. Ils ne tentèrent pas de s'approcher. Ils le savaient, cet instant lui appartenait.

La Reine et sa progéniture, il ne les avait presque jamais vus. Elle, elle ne lui avait jamais rien fait. Ses enfants s'étaient bien foutus de la gueule de l'esclave, mais ils restaient des enfants, influencés par les pensées principalement paternelles.

-Je ne vous tuerai pas, déclara-t-il. Vous, vous ne m'avez presque rien fait.

-Dans ce cas, s'il vous plait, ne profanez pas ce Temple, souffla la Reine.

-Profaner, dites-vous ? Quel mot intéressant... Dieu Tarco ? Je sais que tu es là... Peux-tu nous dire si c'est moi qui profane ce temple ?

La famille royale se figea les yeux écarquillés, dans l'expectative. Mais cette tête de gland semblait occupée ailleurs, en cet instant. Ou alors, il lui en voulait toujours pour l'épisode de l'épreuve sous le sable du désert. Chameka émit alors un ricanement mauvais, ouvrant pour la première fois la bouche.

-Tu n'es pas l'élu du dieu ! cracha-t-il. Tu n'es qu'un esclave, et tu le resteras pour le restant de tes jours !

-Crois-tu que si je n'étais pas l'élu de Tarco, il m'aurait conseillé de prendre tous les villes et villages du désert en une seule fois ? susurra Sakhar. Tu te crois si malin que tu peux lire dans les dessins des dieux, Chameka ?

-Je suis le roi ! Je suis tout puissant, élu du dieu pour maitriser sa bête pleine de pouvoirs indécents !

-Es-tu d'accord avec ça, Tarco ?

Chameka eut un sourire moqueur en le voyant s'adresser une nouvelle fois à la divinité. Son expression se figea pourtant d'un coup, quand une voix profonde répondit :

-Pas vraiment, non.

Toutes les têtes se tournèrent d'un coup vers l'homme à la beauté incarnée, qui leur souriait d'un air viril, quoique cruel en cet instant.

-Pour qui te prends-tu, Chameka, pour oser interpréter ma volonté ?

Le roi ouvrit la bouche, la referma, incrédule. La Reine et ses enfants étaient comme statufiés, les yeux écarquillés. Personne, au grand personne, n'aurait osé mettre en doute l'identité du nouveau venu. En leur for intérieur, ils le savaient.

Ils savaient que pour la première fois depuis des siècles, le dieu Tarco se manifestait sur cette terre.

-Je... Je suis...

-Tu n'es rien, le contra le dieu. Et le peuple entier te hait, Chameka. C'est fou que tu ne te sois pas remis en question, depuis le temps. Enfin, que ta dynastie entière ne se soit pas remise en question. Mais dites-moi, Reine... Vous allez éduquer vos enfants dans ce sens, n'est-ce pas ? Vous allez retourner aux préceptes des Premiers Croyants, vous qui avez souffert en tant qu'épouse d'un tyran. Vous qui avez subi les pires sévices pour sauver la vie de votre progéniture.

Livide, la reine s'accrocha un peu plus à la main de l'une de ses jumelles. Sakhar hocha la tête. Effectivement, il ne l'avait pas vu sous cet angle. Elle aussi avait dû subir Chameka, d'une autre façon.

-Mais vous ne serez plus Reine.

-Je m'en moque, bafouilla-t-elle, les yeux écarquillés. Tout ce que je veux...

Elle regarda Sakhar, des larmes silencieuses roulant sur ses joues.

-Je veux que votre Élu tue le Roi, en vérité. Je veux... Je veux que tout ça s'arrête. Je ne suis pas... Je ne suis pas...

-Vous êtes une victime trop belle, vendue par votre famille pour éviter que tous soient tués, je le sais, fit Tarco en s'approchant d'elle, pour prendre tendrement son visage entre ses mains. Vous n'avez pas eu le choix, tout comme Sakhar. Mais vous fûtes Reine. Lui fut esclave. Trouvez-vous cela juste ?

-Non... Non... Je ne l'ai jamais trouvé... Je...

-Rien de tout cela n'est juste. Rassurez-vous le responsable actuel va payer.

Il darda son regard couleur terre sur Chameka, pétrifié de terreur.

-Sakhar, Élu de moi, Elémentaire de la Terre. Selon toi, quelle est la sentence pour le tyran déchu ?

Le chien de guerre considéra Chameka. Il ne voyait que sa haine pour cet homme, tout ce qu'il lui avait fait, tout ce qu'il avait fait subir aux autres. À tout un peuple.

-La mort.

Tarco hocha la tête avec satisfaction.

-Fais-en un exemple. Que tous ceux qui justifient leurs actes immondes en prétendant accomplir ma volonté sachent à quoi s'attendre.

Une image vint à l'esprit de Sakhar, probablement insufflée par l'autre tête de gland. Avec un dernier regard pour la femme et les enfants de Chameka, il se dirigea vers ce dernier. Il voulut s'enfuir, mais il l'empoigna par le col de sa lourde robe royale, rehaussée d'or et de rouge, pour planter son regard dans le sien. Un sourire carnassier monta à ses lèvres.

-Je t'avais dit que je te tuerais, fit-il, en mémoire du jour où il l'avait réduit à l'état d'esclave, dix ans plus tôt.

-Je t'en sup...

Ne voulant pas entendre ses pleurs de geignard, Sakhar posa une main sur sa bouche, enserrant son visage dans sa poigne. Il aurait pu lui faire éclater le crâne sous la pression. Mais ce n'était pas ce qu'il avait prévu. Pressant son autre main sur son front, il le força à se mettre à genoux. Les yeux écarquillés de terreur, Chameka sentit le problème sans le voir.

À contact du marbre, ses pieds et ses genoux commencèrent à se transformer en pierre. Sakhar lâcha sa bouche, pour se concentrer sur son pouvoir. Quand ses jambes furent totalement transformées en roche, le roi se mit à hurler de douleur et de terreur. Il se débattit, mais sans ses membres inférieurs, bloqué sous la poigne de l'Élémentaire sur son front, il était impuissant. Rapidement, son torse fut paralysé. Ses poumons commencèrent à manquer d'air.

Vaguement conscient que personne, ni Silna, ni Ravish, ni la reine, ni ses enfants ne cherchaient à l'arrêter, Sakhar alla jusqu'au bout. Bientôt, les yeux injectés de sang de Chameka virèrent à la pierre brute. Sa bouche resta grande ouverte sur un hurlement, la tête renversée en arrière, ses mains en serres levées vers le ciel pour griffer son ancien esclave.

Quand ce dernier le lâcha, il ne resta plus du tyran qu'une hideuse statue. Manifestation d'une terreur absolue.

Sakhar la regarda d'un œil vide, avant de se tourner vers l'ancienne reine. Elle pleurait, en serrant ses deux jumelles contre elle. Et pourtant, il pouvait voir un sourire plein de soulagement sur ses lèvres. Il hocha la tête, avant de regarder Silna. Impossible de savoir ce qu'elle pensait. Ravish, lui, semblait sur le point d'applaudir comme une groupie.

Tarco, en revanche, souriait de toutes ses dents.

-Avez-vous vu, habitants de Ghania ? déclara-t-il, faisant soudain comprendre une chose à Sakhar. Le Roi est mort, tué selon ma volonté, par mon Élu. Respectez-le, obéissez-lui... Et personne ne subira ma colère. Le Roi est mort, vive le Roi !

Sur quoi il disparut.

Sakhar ferma les yeux.

Cette tête de gland avait plus que probablement montré la scène à tous les habitants de Ghania, grâce à ses pouvoirs divins.

Tout le pays l'avait vu transformer Chameka en statue de pierre.

Tous les citoyens avaient vu son dieu le proclamer Roi de Ghania.

Purée... Il ne pouvait pas le consulter avant de faire des trucs pareils !?

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