Chapitre 20 : En Communion avec la Terre


-J'espère que ce salopard de Tarco ne s'est pas trompé ! rugit Sakhar, un jour et demi plus tard.

-Et moi je crois que parler de notre dieu de cette façon n'est pas une très bonne idée, rétorqua Ravish.

-C'est pas tes oignons !

-Mais quel caractère de m...

-Vos gueules, tous les deux ! rugit Silna. Le soleil du désert nous tape sur le système, c'est tout !

-Parle pour toi ! Moi, c'est Tarco qui me tape sur le système !

-Oh ça va, hein ! C'est un dieu, pas ton pote !

-Justement, c'est le problème ! Un être tout puissant avec une tête de gland, ça colle pas !

-S'il a ta tronche certainement !

-Silence, Ravish !

-Ferme là, Sakhar !

Silna était à deux doigts d'en prendre un pour taper sur l'autre. Aussi cela finit-il en douche glacée, ce qui leur fit pousser des couinements de midinettes.

Deux grands hommes virils et dangereux, pousser un petit cri strident à la moindre goutte froide ! Ça avait de quoi faire rire ! D'ailleurs, elle ne s'en priva pas. Même si sous le soleil de plomb du désert ils se retrouvèrent bien vite secs, ils n'en prirent pas moins une heure pour arrêter de maugréer contre elle. C'était un bon dérivatif.

-Devons-nous passer d'abord par le Repos ? demanda-t-elle avec le doux espoir de pouvoir se plonger dans l'eau pure.

-Non. Si mes souvenirs sont bons, on ne devrait pas tarder à tomber dessus, déclara Sakhar.

-Tu es déjà venu, n'est-ce pas ?

Il hocha la tête. Ces derniers jours, ils s'étaient rapprochés physiquement tout en s'éloignant malgré tout. Silna le savait, le fait qu'elle refuse des rapports complets avec lui n'arrangeait rien. Néanmoins, elle n'avait pas le choix. Même si elle mourait d'envie de lui grimper dessus, elle ne le pouvait pas pour le moment. Il était si tendre quand il la prenait dans ses bras, si doux quand ses grandes mains couraient sur son corps... C'était une torture de dire « non ».

-Le temple est caché sous le sable. Seuls les habitants de la région le connaissent, et enfant, j'ai vécu dans le coin avec mon oncle Sakhil.

Il était vrai qu'il s'était beaucoup déplacé avec son père et sa mère, avant de pouvoir s'établir plus durablement à Tirhn. Cela lui avait donné l'occasion d'explorer des endroits reculés du désert. Comme ce trou dans le sol, visible une fois le pied dedans.

Une heure ! Il avait fallu une heure pour trouver ce truc, à trois mètres d'un cactus miniature à moitié enfouis sous la terre ! Comment Sakhar avait-il fait pour trouver ça un jour ? Aucune idée. Mais Silna mettrait sa main à couper que Tarco y était pour quelque chose, la première fois.

À l'époque, lui expliqua l'élu du dieu, il y avait eu une patrouille de soldats du roi. Ils cherchaient à dénicher des rebelles terrés dans le désert. Ayant échappé à la surveillance de son père, l'enfant qu'il était alors avait cherché une cachette. On lui avait toujours dit d'éviter les militaires, qui étaient des gens méchants.

Il était alors tombé dans les escaliers à moitié couverts de sable, et avait dégringolé sur chacune des marches. Cette fois-ci, ils descendirent avec prudence. Il faisait un noir de pois là-dedans !

-J'ai de quoi faire une torche, déclara Ravish en sortant le matériel de son paquetage.

Heureusement qu'il était là, lui. Détachés de certaines nécessités en raison de leurs pouvoirs, les Élémentaires avaient parfois tendance à oublier la base. Comme prendre le nécessaire pour avoir de la lumière en cas d'urgence.

Ils s'enfoncèrent donc dans les entrailles du désert. Les murs étaient faits de pierres sèches et rugueuses sous leurs doigts. Néanmoins, au plus ils descendaient, au plus l'air se faisait frais. Un véritable soulagement dans un lieu ou même les nuits étaient brûlantes.

Silna commença à mieux respirer.

Au bout de vingt minutes de descente, ils atteignirent une immense salle. Tout du moins, c'est ce qu'ils supposèrent, car la torche de Ravish ne permettait pas de voir les murs. En revanche, il y avait un sacré écho.

-Cette luciole d'Iris nous aurait été bien utile, fit-elle en tournant sur elle-même, peu impressionnée par le vide oppressant autour d'elle.

-Il y a une forte odeur d'huile, remarqua Sakhar. Elle doit être inflammable.

-Si nous sommes bien dans un temple, la configuration est à peu près la même de partout, nota Ravish en se dirigeant vers un côté, pour atteindre un mur. Tenez, regardez. Il y a une rigole ici.

L'huile qui s'y trouvait s'enflamma aussitôt au contact de la torche. Le feu se propagea à toute vitesse, dévoilant les proportions de la pièce. Une sorte de gouttière cernait tous les côtés et passait au milieu, révélant une statue énorme de Tarco. Les bras croisés, habillé, pour une fois, il avait un sourire arrogant aux lèvres.

Mais surtout, à ses pieds, une créature de terre se dressa, avec un mugissement millénaire.

-Sakhar... Ça y était ça, à l'époque ? demanda Ravish d'une voix blanche.

-Non... mais on s'est tellement engueulé avec Tarco qu'il a juré qu'il y aurait une épreuve avant les réponses. Mettez-vous...

-C'est qu'un putain de sale gosse capricieux ! s'exclama Silna en dépassant le chien de guerre, qui haussa un sourcil. Ça tombe bien, j'avais besoin de me défouler !

Après ces derniers jours à devoir se cacher dans l'ombre de Sakhar, son pouvoir avait comme besoin d'exploser autour d'elle. Ce dernier le comprit bien, car il fit un pas en arrière, en croisant les bras sur son torse puissant.

-Fais ce que tu veux. Mais essaie de ne pas nous noyer.

La créature chargea à ce moment-là. Elle devait bien faire trois mètres de haut, deux de large en épaules, avec une bouche béante, mais pas d'yeux... Et elle traversa le plafond comme un boulet de canon, projetée par un geyser en provenance des entrailles de la terre. La nappe phréatique alimentant l'oasis du Repos passait en dessous de l'ancien temple.

-Ça te va, comme ça ? demanda Silna en se tournant vers les deux hommes, dont les sourcils s'étaient haussés face au plafond éventré.

L'eau s'arrêta soudain de jaillir, pour retourner délicatement dans sa loge souterraine.

-Ouais. Ça me va.

-On ne risque pas d'être enterré par le sable du désert ? remarqua Ravish, alors que des grains commençaient à couler sur la statue de Tarco.

-Je m'en occupe.

Posant la main sur le sol, Sakhar allait pour refermer le plafond lorsque Silna l'arrêta.

-Attend.

Il la regarda avec surprise. Puis il comprit lorsque le golem retomba par l'ouverture, pour éclater en milliers de morceaux sur le sol, privé de toute sa magie.

-C'est bon, tu peux y aller.

Un sourire aux lèvres, Sakhar referma l'ouverture, tandis que Ravish se disait que, décidément, il ne s'habituerait jamais à tout ça.

-Bon. Et maintenant, qu'est-ce que tu es censé faire ?

-Attendre l'éclipse, à priori.

Ils restèrent un instant silencieux.

-Sans voir le ciel ? remarqua Ravish.

Ok. Sakhar était bon pour rouvrir le plafond. Il en profita pour lever des renforts qui évitèrent au sable de les enterrer vivants. Bien. Et maintenant, ils faisaient quoi ? Au moins n'avaient-ils plus chaud, grâce au geyser qui avait traversé la pièce. Néanmoins, le taux d'humidité était désagréable pour tout autre que Silna.

-Tu n'es qu'un tricheur.

Tous se tournèrent vers un homme superbe, dont le regard était rivé à Sakhar. Ce dernier eut un mauvais ricanement.

-Tu n'as jamais précisé qui devait vaincre ton épreuve bidon, tête de gland.

Ah. Ça devait être Tarco. Ravish, de son côté, s'était littéralement statufié. Silna grimaça.

-Tête de gland !? explosa le dieu, provoquant un tremblement de terre qui agita tout le temple souterrain. Je vais t'écrabouiller ! Tu n'es qu'un misérable petit...

Ça leur apprendrait à contrarier un dieu ! Soudain inquiète, Silna se mit en position, prête à affronter une divinité même si ça ne servait à rien, tandis que Sakhar faisait un doigt d'honneur à Tarco. Il n'arrangeait rien, ce gros débile !

Une monstruosité de terre jaillit du sol, deux fois plus grosse que celle qu'elle avait éjectée tantôt. Tarco eu un rire machiavélique... lorsque, jaillit de nulle part, un autre homme lui donna une gifle à l'arrière du crâne.

Ah... Cet air de se foutre de tout, le cheveu roux en bataille, pas très grand mais athlétique... et couverts de bijoux en or.

-Tu es vraiment stupide, déclara le nouveau venu tandis que le dieu se tournait vers lui, fou de rage.

-Dit donc ! Je viens de me faire insulter par mon propre élémentaire !

L'inconnu regarda Sakhar, dont le grand sourire montrait bien qu'il ne s'en voulait pas du tout.

-C'est parce que t'es stupide.

-Je ne suis pas stupide !

-Ah ouais ? fit-il avec flegme. Tu voulais faire quoi exactement ? Que tu tues l'humain et ton propre Elémentaire passe encore. Mais tu aurais fait quoi, si tu avais trucidé l'élue d'Aqua au passage ?

Tarco perdit un peu de sa superbe en regardant Silna, dont le sourcil se haussa.

-J'aurais été dans la mouise.

-Ouais. Et personnellement, j'en ai marre de chercher tes morceaux à la mer à chaque fois que tu te disputes avec ta femme. Je suis le dieu du feu, bordel, pas de la pêche. Bon, les gars... Passez une bonne journée. Quant à toi Sakhar, médite un max, sinon tu vas passer à côté de ton objectif.

Sur quoi ils disparurent tous les deux, laissant un grand vide, un monstre disloqué par leur départ et un paquet d'interrogations.

-On vient de voir deux des dieux primordiaux, non ? fit Ravish d'une voix éteinte.

-Ouais, répondirent de concert les deux Élémentaires.

Il choisit ce moment pour s'évanouir.

*

Affronter en direct une divinité n'était pas fait pour tout le monde. D'après les écrits, les seuls à y avoir été confrontés étaient les Élémentaires, en général parce que les dieux avaient une bonne raison de se présenter devant eux. Pour autant, cela n'était pas systématique.

Selon les textes, la dernière apparition divine remontait à belle lurette. Était-ce Aqua ? Ou le guignol du vent ? Sakhar ne s'en souvenait plus.

De toute façon, il s'en foutait royalement.

Car l'éclipse avait commencé.

Assis en tailleur dans les rayons de la lune cuivrée, les yeux fermés, il tentait de méditer comme le lui avait conseillé Aphnis, le dieu du feu. C'était compliqué, étant donné que Silna avait sauté par le trou dans le sol, pour plonger dans la nappe phréatique qu'elle avait utilisée tantôt. Quant à Ravish, il n'était toujours pas réveillé.

Seul, dans un silence à peine troublé par la respiration de son ami, il cherchait à se concentrer. Sur quoi devait-il méditer ? Réfléchir à la guerre et aux libérations des villages n'avait pas de quoi détendre.

Pourtant, c'était ça son objectif.

Prenant une grande inspiration, il expira lentement.

Il se trouvait sous terre. Or, il était lié à la terre. Il visualisa ces kilomètres et ces kilomètres sous la surface du sol. Tout cela était son domaine, des cavernes aux rivières souterraines, en passant les mines d'or et d'argent, par les villages creusés à même la roche.

La terre était lui. Il était la terre, les minéraux, le sable, la roche. Il était le sol que les habitants de Ghania foulaient à chaque instant, un sol couvert de sang et de désespoir. Il voyait la pierre dénaturée transformée en maisons, en tours, en châteaux. En garnisons. Il pouvait sentir le pas lourd des soldats. Il percevait le métal de leur armure, le cuir qui venait des bêtes. Ces bêtes qui étaient, depuis longtemps, retournées à la terre.

Et puis soudain, il les vit.

Tous, en même temps. Il vit tous les soldats en train d'opprimer les citoyens, tous ceux qui étaient bons, tous ceux qui étaient mauvais. La majorité contemplait l'éclipse, qui était toujours une bonne occasion de faire la fête, de boire et de forniquer jusqu'à tard dans la nuit.

Alors, partout dans le pays, au même instant, des golems à l'effigie de cet abruti de Tarco jaillir du sol. Provoquant l'affolement chez certains. Pour d'autres, les rumeurs de la marche de l'Élémentaire s'étaient déjà propagées. On les accueillit comme des libérateurs.

Les soldats paniquèrent. Les golems, avec la voix de Sakhar, leur donnèrent une heure pour déguerpir.

Certains combattirent.

Plongé dans des centaines d'affrontements simultanés, l'Élémentaire de la Terre ne percevait plus le temple dans lequel il se trouvait. Tout comme il n'avait pas conscience de s'être mué en une statue de pierre, en communion totale avec son dieu tutélaire.

Ce qui posa un sérieux souci à Ravish, lorsqu'il se trouva seul face à trente rebelles venus les tuer.

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