Chapitre 18 : Le Marché aux Humains
Dans la mémoire des habitants de Hossana, la dernière visite de la Prêtresse Ecarlate ne datait pas d'assez longtemps encore. Pour eux, si elle pouvait ne plus jamais revenir, ce serait une bonne chose.
Tout du moins, aux yeux des nantis. Le spectacle de la mort de Rithik en avait fait réfléchir certains sur leur conduite... Mais pas assez pour qu'ils pensent à arrêter l'esclavage et les sévices sur les esclaves.
Ce que Sakhar constata très vite en entrant dans la ville, avec sa petite prêtresse caractérielle dissimulée sous ses vêtements adaptés au désert. Les malheureux vaquaient toujours aux tâches imposées par leurs maitres, les joues creuses, le visage hâve.
Lors de sa dernière visite, il était toujours un esclave. Aujourd'hui, les choses étaient bien différentes.
Il se rendit directement sur la place du marché aux humains. Là, sur trois grandes estrades, en plein soleil, des femmes, des hommes, des enfants étaient debout, les yeux baissés, tandis qu'un individu gras vantait les mérites de la marchandise.
On montrait la musculature de l'un, les formes girondes de l'autre. On certifiait que tel ou tel petit deviendrait grand et fort pour le travail aux champs. Qu'une était bonne cuisinière. Qu'une autre était bonne pour les bordels.
Silencieux, Sakhar considéra un instant ces personnes à qui on avait ôté toute liberté. Certains étaient même nés en cage, vu l'âge de certains enfants.
Rapidement, Ravish choisit l'une des estrades, tandis que Silna se dirigeait vers l'autre. Sakhar alla vers la plus grande. Montant les marches lentement, sous le regard amusé de la foule, il se retrouva face au marchand d'esclaves. Le visage dissimulé sous un capuchon, il avisa cet homme, qui eut un sourire torve en le considérant.
-Tu es bien grand, mon gars ! Tu veux quoi ? De la donzelle ? Celle-là pourrait écarter les cuisses quand tu le désires !
Il lui désigna une belle femme, qui ne leva même pas les yeux vers lui. Les seins nus, portant uniquement une jupe courte, elle était exposée à la vue de tous. Sakhar reporta son attention sur le marchand.
-C'est toi que je veux, déclara-t-il.
L'homme haussa un sourcil, avant de ricaner.
-Je ne suis pas à vendre...
-Non, effectivement. Je veux ta mort, rien de plus.
Sur quoi il lui brisa la nuque, d'un mouvement si vif que les gardes n'eurent pas le temps d'intervenir. Sur les deux autres estrades, Ravish et Silna avaient fait de même. La seconde suivante, les hommes en armes voulurent se jeter sur eux.
Pour se retrouver confrontés à des golems de pierre, dont l'air impassible ne les empêcha pas de les éviscérer proprement.
De son côté, Sakhar avait repoussé les deux soldats avec aisance, tandis que les guerriers de pierres se positionnaient devant les esclaves, en position défensive. Pour la première fois depuis un long, très long moment, ils levèrent les yeux. Ils découvrirent ces statues mouvantes à l'effigie du dieu Tarco. Ils le regardèrent, lui, qui avait abaissé son capuchon. La femme que l'on avait voulu lui vendre écarquilla les yeux face à ce colosse au regard brillant de fureur.
-Peuple de Hossana ! déclara-t-il alors que d'autres golems sortaient du sol, au milieu des acheteurs potentiels. À compter de ce jour, l'esclavagisme n'existe plus dans le royaume de Ghania. Vous avez une heure pour libérer tous vos esclaves. Ceux qui refuseront mourront. Ceux qui voudront les tuer plutôt que de leur donner leur liberté mourront. Ceux qui tenteront de s'enfuir mourront.
Il considéra les individus à ses pieds, avec un mauvais sourire.
-Vous avez une heure, bande de larves.
*
Debout sur l'estrade aux côtés de Sakhar, Ravish avisait la situation. Il était déjà content que l'Élémentaire n'ait pas tué tous les acheteurs présents sur les lieux. C'était une énorme concession de sa part. Sans parler de Silna, qui s'était retenue de raser la ville sous un raz de marée.
D'un autre côté, pour rallier un peuple à sa cause, un génocide n'était pas une très bonne idée.
Pour le moment, des centaines d'esclaves nouvellement libres se massaient sur la place du marché humain. Tous contemplaient avec stupéfaction le chien de guerre et ses deux sbires. Car aux golems de pierre, tous l'avaient reconnu. Les citoyens les plus pauvres se trouvaient là aussi, ainsi qu'une bonne partie de la classe moyenne. Pour ce qui était des plus riches...
-Une heure est passée, déclara Sakhar, avant de tourner la tête vers ses golems. Trouvez ceux qui se font encore appelés maitres, et s'ils ne sont pas encore des enfants, tuez-les. Mais hors de vue de leur progéniture.
Cette précision le fit penser au père de l'Élémentaire. Il avait été, lui avait-on expliqué, exécuté, car il refusait de dire où se trouvait son fils. Il avait été tué devant sa famille. Devant Sakhar, rendu impuissant par le poison spécialement imaginé pour le neutraliser.
Pas étonnant qu'en dépit de sa rage envers les maitres esclavagistes, il ne veuille pas pour autant traumatiser une descendance potentiellement innocente...
-Comme je vous l'ai dit, déclara Sakhar en faisant un pas en avant, l'esclavage est aboli. Que ça vous plaise ou non, je m'en bats les reins.
Ravish se retint d'écarquiller les yeux en regardant l'Élémentaire. Il était con ou quoi ? C'était ça son discours pour se rallier la foule !?
-Vous êtes libres, et maintenant vous allez devoir faire avec. Néanmoins, j'ai l'intention de tuer le roi Chameka, étant donné qu'il m'a jadis volé ma liberté.
Des murmures d'approbation parcoururent la foule, chez les anciens esclaves comme chez les plus pauvres. Mmh... Finalement, sa façon de parler collait peut-être, avec sa franchise brutale.
-La seule chose que je vous demande, c'est de ne pas sombrer dans le chaos et de garder le respect de la liberté de chacun, dans la limite de celle d'autrui. Quiconque volera, pillera, violera ou tuera aura à faire face au jugement de Tarco. Mes golems y veilleront. À noter que tout violeur aura le pénis tranché sans autre forme de procès.
Cette fois-ci, ce furent toutes les femmes qui hochèrent la tête avec un mauvais sourire, tandis que les hommes se portaient la main au paquet dans une angoisse millénaire.
-Et pour les pirates !? s'enquit un citoyen, libre à la base, vu ses vêtements propres et ses joues rondes. Qui va nous protéger !?
-Ils vont nous réduire en esclavage !
-Ils vont détruire la ville !
-Tant que vous ne serez pas fichu de vous défendre tout seul, déclara Sakhar, je laisserai deux golems supplémentaires sur la côte pour vous protéger des pirates. Maintenant, arrêtez de me gonfler, je ne suis pas venu ici pour vous gouverner. À vous de choisir qui sera à votre tête. Et si c'est un ancien maitre esclavagiste, gare à votre cul. Je ne pars que demain matin d'Hossana.
Tous à leur ravissement, les anciens esclaves leur proposèrent de loger chez Rithik, l'homme tué par la Prêtresse Écarlate. Personne n'avait oublié qu'il s'était tenu aux côtés de la fille de l'eau lors de la mise à mort. Finalement, ils se retrouvèrent dans le palais déserté. A priori, tous considéraient que son fantôme rôdait entre les murs. Plus personne ne voulait s'en approcher.
Cela ne les dérangea pas. Un fantôme contre deux Elémentaires ? Le revenant n'avait qu'à bien se tenir !
Néanmoins, ils devaient s'attendre à la visite de plusieurs assassins d'ici demain matin. Sakhar proposa de laisser un golem avec Ravish, mais l'ancien soldat du roi lui rappela que, s'il n'était pas doté de pouvoirs inhumains, il n'en restait pas moins bon au combat.
Tout le reste de la journée, ce fut le cortège de personnes venues leur donner des victuailles pour la journée, venues les remercier pour leur libération. Tout allait bien, jusqu'à ce que certains demandent la bénédiction du dieu.
-La bénédiction ? fit Sakhar lorsqu'ils prirent un instant congé. Silna, c'est ce que tu m'as fait, non ?
La Prêtresse hocha la tête.
-Il y en a différentes sortes. Certaines pour la protection, d'autres pour marquer un point de pouvoir comme sur toi, ce qui permet de se former ailleurs. D'autres simplement pour faire plaisir, des protectrices contre les viols, contre les attaques... Enfin bref, il y en a tout un tas.
-Et je suis censé faire comment ?
Ravish les considéra avec un sourire. C'était étrange de voir le chien de guerre prendre des cours auprès de Silna. D'un autre côté, c'était plutôt logique. Après tout, elle, elle avait l'habitude de devoir gérer des citoyens. Elle les gouvernait, même, avec l'aide de Lubilla. Vu sa façon de parler, il avait tendance à l'oublier.
-Tu devrais faire le test sur Ravish.
Le Ravish en question perdit aussitôt son sourire. Les deux le regardaient avec un mauvais sourire. Oh non !
-Non, sans façon.
-Allez, ne fait pas ta lavette, lança Silna.
-Je te protège contre quoi ?
-Contre les abrutis dans ton genre, répondit son ami.
Ils éclatèrent de rire. Mais cela ne l'empêcha pas de tester la bénédiction sur lui. Sakhar fit comme sa petite prêtresse avec lui-même : il l'embrassa sur le front, la tête de Ravish entre ses grandes mains.
-J'aime pas. Trop proche, grommela l'Élémentaire.
-Tu as aussi la méthode de l'apposition des mains. Mets ta paume sur son front, et dis « Que Tarco te bénisse ». Et puis basta.
Cette technique était moins gênante. Ce qui passait pour une femme ne passait pas forcément pour un homme, aussi Sakhar opta-t-il pour la main sur la figure. Son seul problème était que vu sa taille, il prenait quasiment tout le crâne des gens dans sa main.
En regardant son ami bénir à tout va, avec une mauvaise grâce de plus en plus évidente alors que la soirée avançait, Ravish se demanda quel type de bénédiction il lui avait donnée.
Il n'en resta pas moins qu'ils échappèrent à deux tentatives de meurtre, et qu'ils réussirent à éviter que Silna ne fracasse une demi-douzaine de femmes qui avaient l'intention de passer la nuit avec l'Élémentaire.
Elle faillit bien trahir sa présence, cette gourde !
Une fois que le couple terrible fut enfermé dans sa chambre, Ravish dû se rendre à l'évidence : la demi-douzaine de femmes en avait après sa vertu, à présent. Il avait tout intérêt à s'accrocher à son pantalon, cette nuit !
*
Lorsqu'on annonça à Lubilla l'arrivée d'un aéronef portant la marque de la déesse, ce qui lui avait permis de passer le bouclier levé autour de la ville, elle se précipita vers la piste. Là, sous un vent chargé d'iode et de l'odeur des dizaines de buchers funéraires levés après la bataille, elle vit Alivéne et son détachement.
-Tu l'as trouvé !? s'exclama-t-elle. Silna est...
-Je l'ai trouvé, ma reine, mais elle a refusé de venir avec moi. Je suis désolé.
Tête basse, Alivéne semblait vraiment contrarié. Pourtant, Lubilla n'était pas vraiment surprise. Vu le caractère de la prêtresse, elle devait avoir plus d'un tour dans son sac. Que mijotait-elle donc ?
-J'ai un long rapport à vous faire, avoua-t-il. Voulez-vous que nous le fassions maintenant ?
-Oui, le plus tôt sera le mieux. Je...
Lubilla s'arrêta soudain, en regardant derrière l'homme d'Ydra. Un adolescent à la peau sombre et la carrure plutôt imposante se trouvait là. Elle fronça les sourcils. C'était la copie conforme de l'Elémentaire de la Terre, mais en plus jeune.
-Tu ne serais pas de la famille de Sakhar, toi, par hasard ?
Avec une grimace, l'adolescent hocha la tête. D'accord...
-Enchantée, fit-elle en lui tendant la main. Je suis la Reine Lubilla, co-dirigeante de la Cité-État d'Ydra.
Les yeux ronds, le jeune homme hésita devant sa main tendue. Il ne semblait pas savoir comment réagir.
-Je suis une amie de ton frère, ajouta-t-elle.
Une amante de passage, aussi, mais elle s'abstint de souligner ce détail. Néanmoins, cela lui valut une poignée de main ferme avec ce jeune du nom de Sirkham. Moins assuré que son ainé. D'un autre côté, il avait quel âge ? Quatorze, quinze ans ? Il devait encore être dans les jupes de sa mère quand Sakhar avait été réduit en esclavage.
-Je crois que vous avez beaucoup de choses à me raconter, tous les deux. Venez.
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