Chapitre 1 : Négociations Royales


-Comment ça, la Prêtresse a disparu !?

La Reine Lubilla, de la Cité État d'Ydra, avait rugi ces mots cinq heures plus tôt. Aussitôt, une fouille en règle de la ville avait été effectuée. Mais rien. Rien ! Elle s'était totalement volatilisée ! C'était impossible !

Elle devait réfléchir. Qui pouvait bien... Avait-elle été kidnappée ? Elle n'était pas capable de se lever, alors partir, de son propre gré ? Impossible ! Il lui manquait une composante. Elle devait...

-Il n'y a qu'une seule explication logique, ma Reine.

C'était Alivéne. L'un des deux protecteurs de Silna durant la bataille, avec Ravish. Elle se souvint aussitôt du soldat à la belle gueule et à la belle b... Bref. Alivéne veillait sur Silna depuis des années. Il avait participé aux fouilles de la ville. Et c'était dans les appartements de la Prêtresse de l'Eau qu'il avait trouvé la Reine, prostrée sur le lit aux draps défaits.

-Que veux-tu dire, Alivéne ? lança-t-elle à l'homme impassible.

Droit comme un piquet, il avisa sa souveraine avec calme.

-Nous nous sommes aperçus de la disparition de la Prêtresse deux heures après le départ de la délégation de Ghania.

Sakhar. Le colosse invincible, qui avait affronté seul l'armée de Wolff en attendant l'invocation de Silna. L'Élémentaire de la Terre qui s'était résigné à son sort dès l'instant où Wokabi lui avait injecté cet inhibiteur de pouvoirs... Quels barbares, ces gens de Maïssanna. Et cette femme était d'une garce d'un acabit qu'elle n'avait encore jamais vu. Discrète, mais prête à frapper dès que l'occasion se présentait.

-Tu pars sur l'heure pour Ghania, ordonna Lubilla sans l'ombre d'une hésitation. Trouve Silna, même au prix d'un incident diplomatique.

-Bien, ma Reine, fit Alivéne en se penchant gracieusement. Je ne laisserai pas ces chiens d'esclavagistes s'emparer d'elle.

*

Il avait les mains couvertes de sang.

Ses yeux légèrement bridés posés sur ses mains, l'Élémentaire du Vent considéra ses paumes vierges de toute trace rouge. En dépit de leur propreté, il avait parfois l'impression de sentir cette légère fragrance métallisée. Celle de la vie de toutes les personnes qu'il avait assassinées pour en arriver là.

Un sourire étira ses lèvres minces.

C'était là le prix de sa liberté.

Mais cela lui avait payé bien d'autres choses.

Il regarda son reflet, dans un miroir encadré d'or finement sculpté. Son visage était dur, ses yeux froids comme la glace qui cernait son château. Ses cheveux noirs adoucissaient ses traits, néanmoins, nul ne se méprenait. Il n'avait rien de doux.

Le Maitre avait veillé à le former.

-Mon Roi ? fit une voix douce.

Elle provenait du lit, de sous plusieurs draps en satin. En dépit du froid régnant au-delà des vitres, il faisait bon dans ses appartements. Le feu qui crépitait dans la cheminée en était grandement responsable. Pourtant, ce fut tout autre chose qui réchauffa ses veines.

La jeune femme était venue le supplier d'épargner son père. Le désespoir donnait parfois naissance à des élans qu'il savait apprécier à leur juste valeur. Nue et offerte dans son lit, elle attendait son bon vouloir, pour la énième fois de la nuit.

-Rappelle-moi, quel est le crime de ton père ?

Aussitôt, le corps voluptueux de la belle se crispa. S'asseyant au milieu des draps, elle considéra son Roi d'un air terrorisé.

-Mon... Mon père a... Il... Il est marchand... Vous avez ordonné de l'exécuter demain pour... pour... parce que...

Ses bégaiements l'énervaient au plus haut point. Son regard se fit plus glacial, et elle s'arrêta, les yeux écarquillés, la respiration coupée.

-Je vois. N'est-ce pas le marchand qui a hébergé les assassins ?

Quatre étaient venus le trouver durant la fête du Dieu du Vent, dans l'espoir de le tuer. Ils avaient fait de bons sacrifices divins.

-Il ne savait pas, mon Roi ! Je vous en conjure, il ne...

-L'ignorance ne pardonne pas la faute, cingla-t-il, la clouant sur place. Gardes, enfermez-la avec son père.

Se détournant de son regard assassin et de ses cris, il contempla la capitale, s'étalant sous la neige au pied de son palais. Oui. Il était satisfait. Au plus on lui envoyait d'assassins, au plus il était certain de tenir son peuple d'une main de fer.

Ici, sa suprématie était indéniable.

Pour ce qui était de l'étranger...

Il serra les dents.

Maudite Silna...

*

Le retour à sa sordide réalité avait été rapide.

Fini, la semi-liberté, les parties de jambes en l'air avec la Reine d'Ydra et les chamailleries avec Silna. Wokabi lui avait bien fait comprendre qu'esclave il était, et esclave il resterait. Attaché les mains dans le dos, bâillonné et les yeux couverts d'un bandeau trop serré, il avait été chargé à bord du dirigeable de Ghania affrété pour l'occasion.

En marge des affrontements, ce dernier avait attendu leur fin pour venir réclamer son dû : le chien de guerre. La laisse remise à son cou, il se trouvait maintenant bloqué dans une chambre de l'aéronef, sous haute surveillance. Wokabi n'avait pas laissé Ravish l'approcher, sous le prétexte qu'il s'était trop acoquiné avec lui ces derniers jours. Savait-elle qu'ils avaient fait un plan à trois avec la Reine ? Probablement pas...

Il n'en restait pas moins qu'avec deux jours de vol pour rejoindre la capitale, il avait largement eu le temps de cogiter. Surtout avec le sommeil qui le fuyait. Malheureusement, la seule chose peuplant son esprit, c'était la silhouette frêle de Silna.

Sa puissante invocation avait consumé son corps et son énergie, à tel point qu'elle devait rester alitée plusieurs jours. Lubilla la préviendrait-elle de son départ précipité ? Le regretterait-elle ? L'attendrait-elle ?

Avec un demi-sourire, il se demanda quelle tête elle ferait une fois mise au courant. Il n'aimerait pas être à la place du messager.

En attendant... La porte de la chambre s'ouvrit sur un petit chuintement. En dépit du vrombissement de l'aéronef, qui fendait les cieux dans un calme divin, il percevait nettement les bruits environnants. C'était certainement dû au bandeau sur ses yeux. Supprimez un sens et les autres s'en trouvaient décuplés. Un sourire en coin étira ses lèvres lorsqu'il reconnut le parfum de Wokabi.

-Tu as des raisons de rire, esclave ? lança-t-elle d'une voix doucereuse.

À vrai dire, non. Mais il s'en foutait.

-Tu veux quoi, ma belle ? Copuler pour avoir un bébé ?

Il y eut un silence. Elle était contrariée.

-Là, tout de suite, je n'en ai pas franchement envie.

-Parce que ça t'arrête, d'habitude ?

-Je n'apprécie pas que tu aies couché avec toute cette ribambelle de femmes pendant le voyage.

Ah. Il rêvait, ou elle faisait une crise de jalousie ? Pour le coup, il éclata de rire. Cette garce lui avait injecté un liquide de sa conception, transmit de génération en génération aux Hautes Prêtresses de la Terre. Cela leur permettait de maitriser les Élémentaires en réduisant considérablement leurs pouvoirs. Elle lui faisait une injection toutes les heures depuis leur départ d'Ydra. À croire qu'elle craignait une rébellion...

-Tu as peur de la concurrence, ma belle ? lança-t-il, goguenard. Tu penses ne pas être à la hauteur face à la Reine d'Ydra ?

-Tu as couché avec la Reine ?

Ah, elle n'était pas au courant, vu son ton acide.

-Mais oui. Plusieurs fois. Ravish a participé d'ailleurs. Lubilla a un tempérament... de feu.

-Je vais te...

La réaction de Wokabi ne se fit pas attendre. Elle sauta littéralement sur Sakhar, les mains sur ses épaules, ses cuisses écartées sur ses hanches. Il ricana face cet assaut, dû à une jalousie évidente. Quitte à attendre l'arrivée, autant s'occuper...

Mais pas de la façon prévue par la Prêtresse. Car elle n'avait pas entendu le martèlement des bottes dans le couloir. Quand la porte s'ouvrit à la volée pour rebondir sur le mur opposé, elle sursauta violemment.

-Prêtresse, ce n'est pas le moment, cingla la voix froide de Ravish. Levez-vous et allez vous préparer.

-Comment oses-tu...

-Je suis le garde du Roi, et si je me suis pliée à vos exigences d'hystérique pour que vous me lâchiez la grappe, c'est fini. Nous sommes à Maïssanna et Sakhar n'est pas sous votre responsabilité. Nous avons besoin de l'avoir présentable pour notre souverain.

-Je...

-Gardes, escortez la Prêtresse dans ses appartements. Il me semble que ce voyage à Ydra lui a fait oublier à qui elle devait allégeance.

Le timbre froid et efficace de Ravish rappela soudain à l'Elémentaire leur première rencontre, bien des années plus tôt. Il était alors d'une formalité à pleurer. Sakhar avait dû l'insulter de tous les noms possibles et imaginables pendant trois jours pour parvenir à le faire sortir de ses gonds. Il s'était beaucoup amusé.

Des mains gantées de cuir le saisir par ses chaines pour le forcer à se redresser. C'était Ravish, évidemment.

-Tu en as mis, du temps, gronda l'Élémentaire à mi-voix.

-Ta gueule. Tu sais que cette hystérique est compliquée à contrecarrer, répondit-il sur le même ton.

Nul ne les entendit, il en était persuadé. Heureusement, car la seconde suivante, des servantes arrivaient pour l'apprêter en vue de sa rencontre avec le souverain de Maïssanna. Ce fut bref, il ne fallait pas grand-chose pour vêtir un esclave.

Une fois l'aéronef amarré au-dessus de la piste, à l'extérieur de la ville, ils furent conduits jusqu'au palais du Roi Chameka. Si Wokabi se trouvait dans une chaise à porteurs, protégée par des rideaux diaphanes, Ravish et lui se trouvaient côte à côte, face à la foule qui les dévisageait avec animosité.

La différence avec Ydra était tellement évidente.

Le peuple de la Cité État avait accueilli Silna, leur Élémentaire de l'Eau, avec des acclamations de joies. Ils avaient béni son arrivée, tout comme la sienne. Celle d'un étranger, qu'ils ne connaissaient pas, qui était un Elémentaire et pourtant, qu'ils remerciaient déjà pour l'aide qu'il allait porter à leur ville. Il n'avait même pas eu le temps de voir comment les Ydrasiens allaient les remercier. Car il ne doutait pas qu'eux, ils le remercieraient pour les services rendus.

Mais les Maïssannais ?

La misère semblait s'être incrustée un peu plus en les habitants. Les vêtements étaient loqueteux, les visages maigres et les yeux pleins d'une flamme haineuse pour ce cortège royal. La colère grondait sur leur passage, les poings se serraient de rage.

C'était un vent de révolte que sentit Sakhar.

Mais ce vent semblait s'écraser sur lui, comme si chacun des habitants se détournait en reconnaissant le chien de guerre du Roi. L'Élémentaire qui avait sauvé Ydra avec Silna. L'Élémentaire qui avait tué le chef des rebelles avant de quitter la ville.

Il terrorisait la population.

Parce qu'il était l'esclave du Roi.

Ce dernier accueillit le retour de sa Prêtresse avec emphase. Largement remis de sa blessure mortelle grâce à Silna, il effectua le protocole avec joie. Sakhar l'observait, surprit de ne pas voir ses suivants autour. Quoique, quand l'esclave était là, les aristocrates n'y étaient pas. On n'aimait pas les engins de guerre quand on avait une cuillère en argent dans la bouche.

-Chien... Il était temps que tu rentres. D'après les rumeurs, la Prêtresse de l'Eau t'a utilisé à bon escient.

-Effectivement, mon Roi.

-J'ai entendu dire qu'elle était passée par Hossanna. Ravish, peux-tu m'expliquer pourquoi Rithik a été tué si atrocement ? Pourquoi n'êtes-vous pas intervenu, toi et l'esclave ?

Le ton était acide. S'il y avait bien une personne que Sakhar pourrait tuer une nouvelle fois, c'était ce connard qui avait osé poser les mains sur Silna. Ravish pensait la même chose. Néanmoins, le garde du Roi, qui avait un genou à terre, répondit :

-Les circonstances étaient particulières. Tout empêchement de notre part aurait conduit à un incident diplomatique avec Ydra, mon Roi.

-Vraiment ? Je suis curieux d'entendre ton rapport. Bien. Que tout le monde aille se reposer. Esclave, j'aurais besoin de toi d'ici peu pour...

-Mon Roi.

C'était la première fois depuis des années que Sakhar lui coupait la parole. La surprise du souverain lui laissa le temps de dire :

-Je souhaite voir ma famille.

Il y eut un silence. Ravish retenait son souffle, tandis que Wokabi le regardait d'un air mauvais. Néanmoins, il se fichait d'eux. Tout ce qui lui importait, en cet instant, c'était Chameka. Celui qui détenait tous les pouvoirs décisionnaires sur sa vie.

-Un esclave n'a pas de souhait à formuler, cingla-t-il.

-M'interdisez-vous de les voir parce qu'ils sont morts ?

Cette fois-ci, l'hostilité du Roi se lit amplement sur son visage.

-Cela va être le cas si tu oses me parler encore sur ce ton, chien.

-Si vous les tuez, vous avez conscience que rien ne m'empêchera de vous exploser le crâne ?

Des mains furent posées sur les gardes des épées. Pourtant, personne ne bougea.

-Tes menaces viennent de couter la famine à tes proches.

-Si je n'ai pas la preuve qu'ils sont vivants, gronda Sakhar, vous avez tout intérêt à me droguer jusqu'à la fin de mes jours. Car si je ne les vois pas, je considèrerai qu'ils sont morts. Et vous aurez besoin de tous les calmants de ce royaume pour empêcher mes pouvoirs de se réveiller, sinon je vous écraserai comme le cloporte que vous êtes.

Il savoura la mine horrifiée du Roi, avant de continuer, presque joyeusement.

-Oh, mais si vous me faites devenir un légume ou si vous me tuez... Pas de descendance d'Elémentaire pour Wokabi. Pas de petit toutou dressé à la naissance pour vous. Quant aux rebelles... Vous n'aurez plus le Chien de Guerre à leur opposer pour les empêcher de mettre votre capitale à feu et à sang.

Les yeux plantés dans ceux de son esclavagiste, Sakhar savoura cet instant.

-Alors, je vous le répète : je veux voir ma famille.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top