Chance court comme chaque mardi. Le bus ralentit et la laisse monter en lui ouvrant ses portes. Elle entre, essoufflée et valide son ticket en remerciant à mi-voix le conducteur qui a l'indulgence de s'arrêter pour l'attendre chaque mardi. Comme chaque mardi son esprit divague déjà comme d'habitude. Est-ce que dans une réalité alternative elle aurait pu rester moins longtemps à parler avec Estelle en sortant du lycée et ainsi arriver enfin à l'heure pour prendre le bus ? Peut être... Tant de questions et d'interrogations qui resterons sans réponse. Elle soupire et avance dans le bus tête baissée pour ne pas croiser le regard des gens qui risqueraient de la refaire divaguer. Mais arrivant au fond, sa place à côté de la fenêtre est déjà prise par quelqu'un. Elle reste bien trente secondes devant cette fille, à la fixer avec béatitude avant que cette dernière ne se tourne vers elle, se demandant pourquoi une inconnue la regarde ainsi. Chance sort alors de son état passif pour s'assoir près de la jeune fille, les joues rosies par la surprise de cet évènement. En quatre ans qu'elle prend tout les mardis le bus à la même heure, elle n'a jamais eu personne qui venait prendre cette place. D'habitude, c'est un moment où elle peut essayer de vider son esprit pour le reposer. Mais cette fois, elle va repartir en divagations comme toute la journée. En effet, dès qu'elle croise le regard de quelqu'un, Chance ne peut s'empêcher d'imaginer toute sa vie, toutes ses souffrances, toutes ses joies, ses ambitions, ses rêves, ses pensées et tout le reste. C'est pour cette raison qu'elle se met toujours au fond car ainsi, cachée dans son coin, elle peut se relaxer un moment. Mais cette inconnue vient tout bouleverser.

À quoi est en train de penser cette fille ? Que cachent ses yeux noisettes ? Pourquoi ses cheveux couleur cacao sont coupés si court, si près du crâne ? Quels sont ses problèmes de vue puisque qu'elle porte des lunettes ? Quel est l'instrument qu'elle porte sur le dos ?

Tant de questions fusent dans l'esprit de Chance... Cette inconnue joue du saxophone elle en est certaine. Ses lunettes re-scotchées montrent qu'elle doit souvent les faire tomber et la fissure sur l'écran de son portable confirme qu'elle a une certaine maladresse. Elle paraît mélancolique, comme si sa vie avait pris une routine trop répétitive à son goût et qu'elle ne rêvait que d'aventure. Alors c'est ça cette petite lueur dans ses yeux... C'est de la rêverie. Son style vestimentaire n'est pas celui qui est à la mode mais n'est pas extravagant, il est tranquille et paisible, comme elle. Quand elle décide d'allumer son téléphone elle tape le code 0000. Ainsi elle n'a pas voulu se creuser les méninges à chercher un code compliqué. Elle à l'air studieuse mais pas trop, tranquille mais pas trop, timide mais pas trop. Pourtant, elle doit avoir une part de rébellion, d'originalité et de folie en elle, Chance en est certaine.

Cette inconnue à l'air d'être un peu solitaire, un peu à part... Son corps frêle la fait paraître aussi... Fragile... Comme si dès qu'on allait la toucher elle se briserait dans nos doigts. Son visage est fin, ses traits bien dessinés mais elle se cache derrière une grosse écharpe en laine. Son air mélancolique est de plus en plus présent. Elle semble presque malheureuse. Elle est triste, ça se voit. Soudain, Chance comprend...

Une larme coule sur la joue de Chance et elle pose une main sur le bras de la jeune fille qui sursaute.

- Que fais-tu ? demande-t-elle, surprise.

- Je suis désolée pour ta mère... murmure Chance.

- C-comment... Comment tu sais ?

- Tu as l'air mélancolique, tu as supprimer un contact qui s'appelle maman et tu as paru d'une grande tristesse en regardant une photo d'une femme qui te ressemble. En plus du fait que tu es habillée tout en noir, la couleur du deuil.

C'est sorti tout seul, Chance n'a pas pu s'en empêcher. Encore une fois, on va la trouver bizarre... On va la rejeter. Mais tant pis... Elle a l'habitude...

Mais contre toute attente, l'inconnue ne semble pas avoir peur ou être outrée qu'elle ne se mêle pas de ses affaires.

- Je te remercie d'avoir remarquer ça, déclare-t-elle, Même si c'est un peu flippant, ça veut dire que tu fais attention au monde qui t'entoure.

Chance reste bouche-bée devant l'attitude de cette fille... Mais celle-ci se lève et s'excuse pour passer. Avant de descendre, elle jette un regard à Chance et lui fait un signe de la main.

Chance reste là, face à cette situation incompréhensible. Malgré tout, elle ne peut s'empêcher de remercier dans son esprit cette inconnue pour l'avoir comprise, même si elle ne la reverra sûrement jamais...

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