Chapitre 4 - Une fille malheureuse
Comme chaque jour, je viens m'asseoir sur le banc, sentant déjà sa présence au-dessus de ma tête. Carl vient chaque jour, il arrive un moment avant moi pour ne pas me déranger en escaladant, et il regarde ce que je dessine. Mais je ne veux pas qu'il découvre les détails secrets de mes œuvres, alors je les efface avant de m'en aller. Je ne sais pas pourquoi il vient, je sais simplement qu'il est là. Je crois bien qu'il ne sait même pas mon nom ! Mais moi je l'aime... Je l'aime tellement ! Pourtant, rien n'y fait : il n'est jamais venu me parler. Et ça me fait tellement mal ! Savoir qu'il ne sait pas, ça me tue...
Oh, j'en ai marre ! C'est aujourd'hui qu'il doit comprendre ce que je ressens ! Pour la première fois, je n'effacerai pas mon dessin. Je veux qu'il le voie. Pendant que je réfléchis ainsi, je continue à dessiner furieusement, traçant du bout de mon bâton les traits de son visage, et les grossiers angles du mien. Et soudain, je m'effondre, et je commence à pleurer. Pour la première fois depuis qu'il a commencé à m'observer, je ne suis plus silencieuse. Pour la première fois, je lui montre les émotions que je ressens. Là-haut sur sa branche, je l'entends se figer, comme s'il craignait que le moindre mouvement me fasse me briser. Prise d'un soudain élan de colère, je m'empare de mon bâton et rassemble toute ma force pour le briser, ce qui m'arrache un hurlement. Puis je fuis, ne pouvant affronter un instant de plus sa présence silencieuse qui me pèse tant.
Je traverse le village sans m'arrêter, le visage noyé de larmes. J'arrive finalement devant chez moi, haletante. Enfin, chez moi... La maison que je squatte, quoi ! Je pousse la lourde porte et la referme hâtivement, puis me précipite dans ma salle de dessin. Je m'empare d'un fusain, et m'avance d'un pas résolu vers le dessin qui attend depuis maintenant plus d'une semaine sur mon chevalet. Une larme solitaire roule le long de ma joue, tandis que j'écris hâtivement la date dans un coin. Je n'ai plus le choix, maintenant.
Alors, je rejoins l'escalier en colimaçon, et monte, monte, monte jusqu'à en avoir le tournis. Arrivée au dernier étage, je jette un dernier regard par la fenêtre, espérant le voir, ou l'entendre... Bref, avoir un signe de sa présence. Mais rien. Alors je détourne la tête, et enjambe la rembarde. Et à l'instant où je relâche l'emprise salvatrice de mes mains, j'entends le lourd grincement de la porte. Mais il est trop tard pour me rattraper, et je me sens tomber, tomber... Dans une chute qui me paraît sans fin. En enfin je touche le sol, sentant mes os se briser, mes membres se tordre et mes organes exploser.
Mon dieu... Pourquoi ne suis-je pas morte ? Pourquoi est-ce que même ça, je ne l'ai pas réussi ? Je voulais une mort rapide, sans douleur, mais il semblerait que j'aie hérité d'une agonie sans fin... J'entends soudain des bruits de pas, et aperçoit vaguement Carl entrer dans la salle. Il pousse un hurlement d'horreur et j'esquisse un demi-sourire : il a bien choisi son moment pour arriver...
<< C... Carl... >>
Il se précipite à mon chevet, tandis que je rassemble toutes mes forces pour lever la main vers son visage. Il serre les lèvres et commence à me caresser les cheveux, alors que je peine à respirer :
<< Chhht... Ça va aller... Tu vas survivre... Je t'en prie... Je ne pourrai pas tenir sans toi... Je... Je vais appeler les secours, et ils vont te guérir... Tu pourras tout m'expliquer, on pourra se parler... Oh, je t'en prie, ne me quitte pas ! >>
Je l'interromp, ne voulant pas lui donner de faux espoirs :
<< Carl... Tu sais très bien que ce n'est pas vrai. Je n'en ai plus pour longtemps... >>
Sa voix se fait suppliante :
<< Non ! Ne dis pas ça !
- Et puis après tout... N'est-ce pas moi qui l'ai voulu ? Laisse moi partir, je t'en supplie. Mais avant cela... Fais-moi une faveur. >>
J'ai tenté de raffermir la voix sur pas entière phrase, mais j'ai bien peur d'avoir lamentablement échoué... Comme d'habitude... Je suis tirée de me pensées par sa voix déterminée :
<< N'importe quoi ! Si ça peut me permettre de te faire rester... >>
Je commence à être prise de convulsions qui me terrifient, mais je fais l'effort de sourire :
<< Oh non, ça ne te permettra rien... Juste de me comprendre un peu mieux ! Je t'en prie... >>
Je suis prise d'une quinte de toux qui me laisse pantelante, mais je termine tout de même ma phrase dans un murmure pressant :
<< Lis le carnet ! >>
Je comprends aussitôt que je viens de prononcer mes dernières paroles... On a vu mieux, non ? C'est sur cette pensée que je me sens partir, emportant comme dernière image ses yeux pleins de larmes, qui me regardent d'un air suppliant, me conjurant de ne pas mourir.
Je suis désolée...
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