Quelques jours plus tard, Voldemort lui avait demandé de lui brasser du Veritaserum dans les plus brefs délais et Severus s'était exécuté, non sans en avoir informé Dumbledore auparavant. Il supposait que le mage noir voulait arracher les petits secrets du directeur de Poudlard et qu'il ferait en sorte de faire des prisonniers pour les interroger. Il espérait que Dumbledore n'avait pas révélé à tout le monde son changement d'allégeance et qu'il ne serait pas imprudent au point de tenir au courant chacun de ses alliés de ses projets.

Il reçut l'appel pour une nouvelle attaque, mais il était bloqué pour quelques heures encore derrière son chaudron. Il savait que le veritaserum était plus important pour Voldemort que n'importe quelle autre mission, aussi il ne quitta pas son poste, concentré sur sa tâche.

Lorsqu'il termina de mettre en bouteille la potion — aussi transparente que de l'eau — il soupira de soulagement et étira son dos avec une grimace.

Il pinça les lèvres, se rembrunissant en constatant qu'il avait été plus rapide que prévu. Résigné, il attrapa son masque de Mangemort et transplana au point de rendez-vous indiqué par Voldemort.

Il s'attendait à tomber en plein chaos et à devoir prendre part aux événements. Cependant, ce fut un silence sinistre qui l'accueillit.

Severus cligna des yeux et regarda autour de lui, désorienté. Il avança de quelques pas et constata que le lieu de rendez-vous surplombait le petit hameau que Voldemort avait choisi.

En voyant la marque des ténèbres flotter paresseusement dans le ciel, l'estomac de Severus se serra. Il arrivait trop tard.

Il savait qu'il aurait dû quitter les lieux immédiatement et rentrer chez lui, envoyer les coordonnées à Dumbledore pour qu'il gère le désastre, mais il avança lentement le long du chemin jusqu'à atteindre les premières maisons.

Les portes avaient été réduites en morceaux, probablement par des Bombarda Maxima. Puisque les lieux étaient déserts et silencieux, Severus prit le risque d'entrer dans la première maison.

Il en ressortit quelques secondes plus tard, plus pâle encore qu'à son habitude. Sans surprises, il n'avait trouvé que des cadavres. Personne n'avait été épargné. Ni homme, ni femme, ni enfant.

Malgré tout, il continua à visiter chaque maison, regardant chaque corps. C'était une façon supplémentaire de se punir, mais également le moyen de se souvenir pour quelle raison il risquait sa vie chaque jour en trahissant Voldemort. Pour que ce genre de drames ne se reproduise plus jamais.

La nausée monta en lui en découvrant toutes ces familles brisées. Ils étaient peut-être des moldus, mais aucun d'entre eux ne méritait ce sort.

Même si Severus avait toujours affirmé détester les moldus, à cause du traitement que son père lui infligeait, il n'était pas assez stupide pour accuser ces pauvres gens des crimes de Tobias.

Lorsqu'enfin il arriva dans la dernière maison, Severus tremblait, horrifié. Il n'avait pas compté le nombre de victimes, mais il y en avait beaucoup trop.

Il avait à peine fait quelques pas qu'il découvrait une femme, étendue sur le ventre. Elle avait les cheveux roux, d'un roux vibrant comme Lily, et il resta longuement figé en observant le corps.

Il finit par reprendre son souffle, incapable de détourner le regard, horrifié. Il pouvait sans peine imaginer Lily à la place de cette malheureuse et cette idée était insupportable.

Il sursauta en entendant du bruit et il se morigéna, conscient qu'il était vulnérable. S'il était surpris — par les autorités moldues ou sorcières — il aurait à répondre à beaucoup trop de questions gênantes. Severus allait se détourner quand il crut percevoir un mouvement.

Le cœur battant, il s'immobilisa, plissant les yeux, essayant de se convaincre qu'il se faisait des idées. Mais un nouveau son, ténu, à peine plus qu'un gémissement fit se dresser tous les poils sur son corps.

Il hoqueta et tomba presque à genoux à côté de la femme, les mains juste au-dessus de son corps, hésitant à la toucher. Sa ressemblance avec Lily était déroutante et il s'obligea à se reprendre avant enfin d'oser poser la main sur son épaule.

Elle était inerte. Presque froide. Morte.

Severus cligna des yeux et il prit une inspiration tremblante avant d'empoigner son épaule avec douceur et de tourner le corps délicatement. Il avait l'impression que ses pires cauchemars se réalisaient juste sous ses yeux, et il s'attendait presque à découvrir le visage de Lily, figé par la mort.

Il oublia immédiatement la femme et ses cheveux roux, il oublia même Lily.

Cette femme avait été tuée, mais elle avait visiblement donné sa vie pour protéger un bébé. Probablement son propre bébé.

L'enfant portait une barboteuse blanche et suçait son poing, ses prunelles gris foncé se fixèrent sur Severus. Durant tout ce temps, il avait été coincé sous le cadavre de sa mère... C'était un miracle qu'il ait survécu à la horde de Mangemorts avide de sang.

Le bébé était si petit... Minuscule.

Severus tendit la main avec hésitation, juste assez pour effleurer la joue veloutée de l'enfant. Aussitôt, le bébé lâcha son poing et tendit sa petite main en avant, dans un geste un peu saccadé. Avec une adresse étonnante, la main minuscule et baveuse agrippa le doigt de Severus.

Le jeune homme fixa le bébé longuement, incapable de détourner le regard. Presque dans un état second, il le souleva et le prit dans ses bras, agissant comme Narcissa le lui avait appris avec Drago — soutenant la tête, son autre bras sous les fesses.

Il se redressa et quitta la maison, refusant de laisser ce bébé en compagnie du cadavre de sa mère. Cet enfant méritait mieux, assurément.

Severus avait agi sur une impulsion inexplicable. Il ne pouvait pas laisser le bébé sur le sol, près d'une morte. Il avait vaguement imaginé mettre l'enfant à l'abri, quelque part où il serait rapidement retrouvé et pris en charge, avant de rentrer chez lui.

Cependant, maintenant qu'il avait le petit corps chaud contre lui, il répugnait à l'abandonner. Il avait l'impression que s'il laissait le bébé, il serait tué lui aussi. Comme si Bellatrix en personne attendait pour torturer ce petit être innocent.

Severus croisa le regard du bébé, ses grands yeux confiants, et il le contempla longuement. Serrant l'enfant un peu plus, il ferma les yeux et transplana en le serrant contre sa poitrine. Il allait s'occuper de l'enfant quelques heures, puis il le conduirait à un endroit où il pourrait grandir en parfaite sécurité. Juste quelques heures à oublier les horreurs qu'il avait vues en compagnie d'un petit être innocent...