Vous appelez ça une chambre ?

Comme je m'y attendais, dans la chambre, la même couche de poussière se retrouvait sur le mobilier comme la literie. Notre hôte précisa qu'à cause de l'humidité, il était difficile de s'en débarrasser quand je me fronçais le nez. J'imaginais qu'il fallait lui imputer également le décollement du papier peint au motif pour le moins triste.

Je ne pouvais en distinguer le sujet, je ne voyais que des formes qui dégoulinaient en une masse d'un bleu froid triste et morne. La couverture portait la même couleur, comme le peu de décoration qui avait été tenté. La pièce me donna l'impression que l'inspiration principale avait été jour de pluie. Un peu comme aujourd'hui.

Brusquement je songeais que peut-être ici il pleuvait tout le temps et que tous les jours se ressemblaient, ce qui expliquait probablement pourquoi tout le monde était parti.

— Bon, ce n'est pas le Ritz, mais c'est toujours mieux que la voiture ! déclara Sofia avec son éternel optimisme.

— J'ai comme un doute, c'est pas très ragoûtant...

— Hey princesse, tu n'as jamais campé dans une caisse, tu ne sais pas qu'on aurait eu le dos en compote. Au moins on a vrai lit avec un vrai matelas !

Quand elle tapota ce dernier, aucun nuage de poussière s'envola. Parce que l'humidité la maintenait collée aux tissus. Je n'avais même pas envie de jeter un coup d'œil à la salle de bain. Je n'avais rien d'une maniaque, au contraire, j'étais joyeusement bordélique, mais on atteignait mes limites et cela me surprenait que Sofia ne s'en offusquât. En fait, elle s'approcha de moi avec ce sourire qui me fait toujours fondre.

— T'en fais pas, demain on ira dans la maison de tes grands-parents et tout rentrera dans l'ordre. On suivra le programme qu'on s'est établi et on passera les vacances romantiques qu'on avait prévues.

Là je sentis la pointe de sarcasme dans sa voix si grave qui m'avait séduit lors de notre rencontre.

— Je sais que ce n'est pas aussi romantique que Amsterdam ou Berlin, répondis-je.

Elle m'enlaça en souriant, amusée de ma réaction, se penchant pour frotter le bout de son nez contre le mien. Ses grands yeux gris bleuté se fondèrent dans les miens aussi verdoyants que les eaux sombres d'une rivière.

— Je me demande si nous ne sommes pas dans la fameuse ville dont tu me parlais, toutes les maisons ont l'air abandonnées... j'ai même cru que l'hôtel l'était.

— Ce serait une drôle de coïncidence.

— Pas tellement, tu as dit que c'était la ville d'à côté. Et selon le GPS, avant qu'il flanche, nous en avions encore pour 20min. Or, nous avons fait 20min dans cette foutue forêt avant de tomber sur ce bled. Peut-être même que tes grands-parents vivaient dans cette forêt. Ça fait combien de temps que tu n'y es pas retourné ?

— Des années... depuis la fin de mon enfance.

— Tes souvenirs sont peut-être flous, en tout cas, nous sommes juste à côté. Demain nous étudierons le plan, me promit-elle en m'embrassant pour faire taire toutes mes inquiétudes.

Cela marchait généralement. Elle m'attira près du lit, mais je résistais, ne voulant m'y laisser tomber. Ses caresses n'arrivaient pas à me faire oublier la saleté que j'avais vue sur le tissu. Sofia saisit la couverture et la tira, un drap à la blancheur douteuse apparu en dessous.

— Je...

— Quoi ? soupira-t-elle.

— J'ai pas très envie de m'allonger dessus.

— Tu préfères dormir sur le sol ? Le tapis est certainement plus sale, fit-elle remarquer.

— T'as raison, soupirais-je à mon tour.

Malgré mon dégoût, je me laissais tomber sur le lit. Mon épiderme sensible me confirma mes doutes, les draps n'avaient pas été lavés depuis très longtemps. Pourtant, ils me parurent humides comme s'ils sortaient de la machine sans avoir été séchés, tout juste essorés. Je frissonnais, nous risquions fort d'attraper froid en dormant là-dedans.

— Bon d'accord, c'est très humide ici et pas très propre, mais c'est le seul hôtel qu'on a vu. Je n'ai absolument pas envie de traverser à nouveau cette forêt, et toi ?

Je secouais la tête, Sofia avait raison, nous étions coincées pour la nuit, autant faire le deuil de cette soirée. J'aurais pu suggérer de rester éveillé toute la nuit, de ne point s'allonger sur ces draps à l'aspect douteux, mais la route avait été éprouvante pour Sofia. Je me nichais donc dans ses bras, m'y sentant en sécurité, comme toujours. Avec elle, les cauchemars ne m'atteignaient jamais, ils s'enfuyaient dans l'obscurité qui les avait faits naître.

Pourtant, à peine mes paupières fermées, ils me rattrapèrent. Je me retrouvais dans les couloirs de cette immense maison, si sombre, aux murs penchés, au plancher déformé, tout semblait glisser, tomber lentement, inexorablement, comme si la maison entière allait finir absorbée par le sol et moi avec. Brusquement, une porte s'ouvrit et la lumière pâle me brûla les rétines. En plissant les paupières, je finis par distinguer une silhouette familière. Les cheveux courts et bouclés de ma grand-mère, sa peau blanchâtre où transparaissaient ses veines bleutées, son éternel peignoir carmin élimé, et ses pantoufles tout aussi usées effleurant le sol.

— Qu'est-ce que tu fais toute seule dans le noir ? me demanda-t-elle d'une voix rendue caverneuse par le sommeil, du moins, est-ce ce que je préférais croire.

Je luttais contre les frissons qui me secouait. C'était ma grand-mère, la maison de campagne où nous passions chaque été, pourquoi éprouvais-je encore aujourd'hui une telle frayeur à l'évocation de ses souvenirs dans mes rêves ? Peut-être à cause du drame. Je n'arrivai à lutter contre la sensation qui m'oppressait la poitrine et reculai en faisant grincer le parquet sous mes petits pas.

Bien sûr, j'étais redevenue une enfant. Sinon la maison ne m'aurait paru aussi grande. Je savais pour avoir vu les plans chez le notaire qu'elle n'était pas aussi impressionnante qu'elle le semblait à l'époque.

— Retourne te coucher, tout de suite ! insista grand-mère d'une voix soudainement moins chaleureuse.

J'étais incapable de lui tourner le dos, je continuais à reculer jusqu'à atteindre la porte de ma chambre. J'hésitais avant de toucher à la poignée comme si je risquais de m'y brûler. Je frémissais à l'idée de voir son lit, sa forme allongée sous les couvertures. Quand j'y entai, je me précipitai vers mon lit. Celui en fer tout près de la fenêtre où les insectes mourants se débattaient dans le rideau en dentelle. Je me jetai sous les draps avant de réaliser avec horreur qu'ils étaient aussi humides et poisseux que ceux de la chambre d'hôtel. La lueur de la lune au plafond s'imprimait encore en ma rétine quand j'ouvris les yeux.

Je retins un hurlement de frayeur quand je réalisais qu'il y avait aussi une lueur bleutée dans la réalité. Je réalisais que j'entendais le même craquement du parquet également. Quelqu'un marchait dans le couloir, j'en étais convaincu, quelqu'un en pantoufle comme ma grand-mère. Je me redressais paniquée en cherchant des yeux Sofia, mais je ne la vis nulle part.

— Non, non, non ! soufflais-je de panique contre ma main plaquée devant ma bouche.

Les pas semblèrent s'être arrêtés. Je me penchais en avant, rampant sur le lit pour voir qu'il y avait une ombre dans le rai de lumière devant la porte. La panique enfla dans ma poitrine. Était-ce l'homme qui nous avait donné les clés de la chambre ? Et si oui, pourquoi s'était-il arrêté devant notre porte ? J'entendis un grincement métallique bien avant de voir la poignée bouger toute seule. J'étouffais un hurlement.

— Alice ?

Je sursautai dans le lit qui grinça en réponse. Ce n'était que Sofia qui passait sa si jolie tête par la porte de la salle de bain qu'elle venait d'ouvrir.

— Je suis désolé si je t'ai réveillé, je crois que la chasse d'eau est morte... comme les canalisations d'ailleurs. J'ai trouvé d'où vient toute cette humidité, ils ont une fuite... assez impressionnante, expliqua-t-elle.

Je ne pus m'empêcher de glisser un regard à la porte menant au couloir, mais il n'y avait plus d'ombre ni même de lumière autour du chambranle.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu regardes là-bas ? me demanda Sofia.

— Rien, j'ai cru voir... non ce n'est rien.

— Tu as fait un cauchemar, c'est ça ? Je n'aurais pas dû accepter qu'on vienne ici, je savais bien que c'était une mauvaise idée.

— Non, ça va, je t'assure ! mentis-je.

Elle posa une main sur ma joue et m'obligea à la regarder droit dans les yeux. Ses sourcils fournis qu'elle se rechignait à épiler se rejoignirent.

— Je sais bien que tu essaies de me rassurer, mais tu as tremblé quasiment toute la nuit.

— Normal, les draps sont humides et y'a pas de chauffage !

— Bien sûr qu'il y en a, il ne fait pas si froid je t'assure.

Je lui offris un regard sceptique en réponse, mais elle l'ignora. Son menton en pointe se redressa, signe qu'une décision était prise.

— Dès qu'il fait jour, on plie bagage et on va sur la côte, on se paie un petit hôtel convenablement chauffé, avec des toilettes fonctionnelles et on s'accorde un vrai week-end en amoureuses ! décréta-t-elle.

Je ne pus m'empêcher de rire devant son air déterminé. Sofia décidait de quasiment tout parce que j'en étais incapable. Par facilité, je lui laissais l'entièreté des décisions à prendre. Mais cette fois-ci, je m'y refusais, même si je comprenais parfaitement son inquiétude.

— Non, répondis-je en posant ma main sur son épaule, je dois faire mon deuil. C'est important que j'aille dans cette maison, tu comprends ?

Sofia plongea dans mes prunelles comme pour vérifier que j'étais certaine de mon choix puis elle approuva d'un petit hochement de tête. Ses cheveux courts ressemblaient plus que jamais aux ailes de corbeau quand ils suivirent le mouvement.

— D'accord, mais je ne te lâche pas d'une semelle.

Elle se pencha pour déposer un baiser sur mon front couvert de boucles blondes cendrées. Mon visage aux formes plus rondes que les siennes se releva et je répliquai amusée :

— Oui maman.

Ce qui me valut un oreiller tout aussi humide et poisseux que les draps sur la tête. Je n'eus même pas le temps de m'en protéger et accusait le coup de ma nuque fragilisée par un accident survenu des années auparavant.

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