En quête de réponses

Alors que mon regard coulait vers notre citadine, Sofia tira sur ma manche.

— Regarde, le notaire est là.

J'hésitais. Il aurait été plus prudent de partir sans plus tarder, de quitter cette fichue ville, cette fichue région. Mais Sofia insista.

— Rappelle-toi le plan. Il suffit d'activer le notaire pour la vente, il devrait se charger de tout !

Je doutais que ce soit aussi simple, mais nous n'avions pas fait tout ce chemin pour rien. Même si je n'aurais sans doute jamais les réponses à mes questions, au moins pouvais-je espérer me débarrasser de cette fichue baraque. Enfin, si quelqu'un se portait acquéreur pour cette ruine dans ce patelin si peu accueillant.

Une maison toute en pierre se dressait devant nous. L'enseigne dorée était rongée par l'oxydation. Une petite porte vitrée frappée d'un nom aux consonnances bretonnes s'ouvrit et un visage apparut dans l'encadrement. Des lunettes, grandes et épaisses, comme celles qui étaient à la mode dans les années 60 donnait un curieux air intemporel à la petite femme au sourire commercial.

— Bonjour, ma copine a hérité une maison et...

— Je vous en prie, entrez ! Vous me raconterez tout à l'intérieur.

La femme nous invita à nous installer sur d'imposants fauteuils. Tout le mobilier paraissait ancien, d'un même bois sombre exotique, au sein d'une pièce surchargée de dossiers. Je me demandais comment elle pouvait travailler ici sans devenir complètement folle. A la fois, elle vivait en cet endroit, son esprit devait être assez solide.

— Vous êtes la petite fille de Jean et de Marguerite c'est cela ?

Le fait qu'elle me reconnaisse immédiatement me perturba. Je me doutais bien qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de monde ici et qu'on finissait par tous se connaître les uns les autres, qu'on savait qui décédait et quand, mais tout de même, la Parisienne en moi se méfia. Malgré tout, je hochai la tête.

— J'ai le dossier de vos grands-parents. J'ai transmis la lettre et l'acte de propriété à votre mère, elle n'a pas pu venir ?

Je secouais la tête.

— Il lui faudra me contacter, c'est elle l'héritière et donc la propriétaire. Ceci dit, nous pouvons commencer à avancer ensemble. J'imagine que vous souhaitez vendre la maison, n'est-ce pas ?

Je me raidis. Comment savait-elle ? Maman lui en avait peut-être parlé, me rassurai-je.

— Vous y avez été ? Je veux dire, c'est là où vous vous êtes installées ?

Sofia et moi échangeâmes un regard avant que je hochasse à nouveau la tête.

— Bien, il faudrait que vous récupériez tous les objets que vous souhaitez conserver. Pour le mobilier je peux vous donner le nom de quelques sociétés de déménagement.

— Merci, fit Sofia qui n'en pouvait plus de mon silence.

— Ensuite, je ferais venir un expert qui établira une estimation pour la vente, puis nous ferons appel à une agence immobilière. J'imagine que vous souhaitez qu'on s'occupe de tout ?

La bouche sèche, je continuais de dodeliner de la tête. J'avais le sentiment confus que la pièce tournait autour de moi.

— Bien, ce n'est pas compliqué, on a l'habitude, vous savez.

— Les maisons se vendent bien par ici ? demanda Sofia.

— Je vous cacherais pas qu'il est rare que de nouveaux habitants arrivent, mais cela ne veut rien dire. La maison de vos grands-parents est spacieuse et le terrain est assez grand. Cela peut attirer des gens.

J'en doutais au vu de son état déplorable. Heureusement, des toilettes intérieures avaient été ajoutées par mes grands-parents, mais connaissant leur radinerie, je doutais qu'ils aient effectués d'autres travaux. D'ailleurs, l'humidité qu'on avait sentie pouvait impliquer la présence de champignons. Mais quand on voyait l'état de l'hôtel et du presbytère de cette ville, la maison de mes grands-parents paraissait infiniment plus confortable en comparaison.

— Je me demandais, débutai-je, si vous êtes obligé de mentionner qu'un drame a eu lieu ?

La femme me regarda sans comprendre.

— Mon frère y est mort, expliquais-je.

—Vous en êtes certaine ?

— Hein ? Oui, bien sûr que j'en suis certaine, m'énervai-je, interloquée.

— Alice, essaya de me calmer Sofia.

— Je m'excuse, je n'ai pas de souvenir d'un drame ayant eu lieu dans cette maison. Je me souviens en revanche d'un petit garçon qui a trouvé la mort, mais l'incident s'est produit en ville.

Je restais abasourdie. La grille en fer forgé devait être dans le jardin, je me souvenais d'un portail, de nos jeux dans les sapins, quand nous grimpions aux branches... Avait-il succombé pendant l'un de nos jeux ? Etait-ce pour cela que je ne me souvenais de rien ?

— Où pensez-vous que ça s'est produit ? demanda Sofia d'une voix apaisante.

— Dans le cimetière, répondit l'ignoble femme, les enfants s'amusent toujours à y venir, particulièrement durant la nuit de Samhain.

— La nuit de Samhain ? Halloween vous voulez dire ? questionna Sofia.

— Oh non, pas cette affreuse fête américaine, Samhain est déjà une expression britannique, ici on dit Tri nox Samoni. C'est une célébration très importante, beaucoup l'ont oublié. Les gens ne prêtent plus attention aux traditions, ils oublient ce que nous sommes.

Son jugement moral à notre encontre ne me toucha pas. Tout ce qui me souciait c'était d'enfin connaître la vérité.

— C'est durant cette fête qu'il est mort ? demandai-je d'une voix blanche.

La femme hocha la tête avec gravité, elle esquissa un signe de croix, mais il me parut étrange. L'ordre dans lequel elle se signait ne me semblait pas le bon. Sans doute était-ce une autre tradition gaélique qu'on avait oubliée.

— Vous dites que c'est arrivé au cimetière ? Je comprends pas... nous n'avions pas le droit de jouer là-bas, murmurai-je.

En réalité, nous n'avions même pas le droit de sortir. J'étais certaine que nous nous contentions du jardin comme terrain de jeu, mais la notaire secoua la tête avant de déclarer :

— Les enfants désobéissants finissent toujours par être punis.

Venait-elle de suggérer que mon frère méritait ce qu'il lui était arrivé ? Je ne me souvenais pas d'avoir joué une seule fois au cimetière même si j'ai toujours aimé ceux-ci. N'avais-je pas développé cet attrait morbide après sa mort ? En me concentrant sur ces souvenirs, ils affluaient plus aisément. Cette obsession morbide que j'avais développé, m'habillant tout en noir, n'écoutant que des musiques sombres dignes d'un enterrement qui rendait folle ma mère, et toutes les fois où j'avais flirté avec la mort, l'appelant de toutes mes forces. Tu voulais le rejoindre, mais tu n'en as jamais eu le courage.

— C'est horrible ce que vous dites ! accusa Sofia. Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?

La femme nous regarda, d'un œil froid, presque tranchant. Me ramassant sur moi-même, je me sentais fautive, comme si j'étais une enfant qu'il fallait gronder après je ne sais quelle sottise que j'aurais pu commettre. Mais Sofia ne se laissa pas abattre si facilement, elle tint bon, renvoyant un regard brûlant de colère en réponse.

— Parce que c'est vrai. Les enfants sont comme les touristes. Ils se croient tout permis, ils font ce qu'ils veulent, n'écoutent personne et ne respectent aucune règle. C'est encore pire de nos jours, il n'y a plus aucune éducation. Les parents sont au mieux défaitistes. L'enfant roi, quelle belle erreur ! Regardez comme notre société est devenue une parodie d'elle-même, une pâle copie de ces américains vulgaires ! Et le pire dans tout ça, c'est qu'on ne respecte même plus les anciens ! Mais c'est différent ici. Nous sommes une fière cité bretonne et si vous n'aimez notre manière de penser, vous devriez peut-être retourner d'où vous venez.

Après une telle déclaration, elle se leva en nous indiquant la porte d'un petit mouvement de tête, gardant cette attitude guindée alors que ses paroles étaient comme une gifle en plein visage.

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