Au petit matin
La nuit avait été affreuse et j'accueillis sa fin avec soulagement. Les rayons pâles du soleil peinaient toutefois à s'inviter, j'imputais la crasse accumulée sur les carreaux des fenêtres. De toute façon, nous ne resterions plus longtemps ici. Je tirais presque Sofia du lit. Comment cette dernière pouvait dormir aussi aisément en un endroit aussi malaisant, cela m'étonnait toujours. Elle grogna à mon encontre, mais par bonheur ne se prélassa pas dans les draps. Ses cheveux ébouriffés, elle se leva pour aller vers la salle de bain, je dus la retenir.
— Hey la belle au bois au dormant, t'as oublié que rien ne fonctionnait ici ? Surtout les canalisations ?
— Ah ouais, merde, t'as raison, me répondit-elle de sa voix d'endormie.
— Allez, ne trainons pas ici, insistai-je.
Elle grogna encore une fois. Sofia n'avait jamais été du matin. Elle pouvait rester des heures dans le lit, se rendormant à plusieurs reprises. Généralement, elle essayait de me garder prisonnière dans les draps, me câlinant pour me convaincre d'y rester. Mais devant l'inconfort de la chambre, elle finit par capituler et me suivre.
Nous dûmes sonner à nouveau notre hôte qui finit par daigner se montrer.
— Vous avez passé une agréable nuit ?
Je manquais d'éclater de rire. L'homme, cependant, avait l'air des plus sérieux. Probablement s'essayait-il à une formule de politesse à moins que le standing de ses chambres corresponde à sa vision d'une chambre confortable...
— Pas spécialement, mais c'est pas grave, on voudrait vous régler la chambre, répondis-je.
— Vous ne voulez pas le petit déjeuner ?
Sofia et moi avions échangé un regard. Cette dernière n'avait pas plus envie que moi d'essayer la cuisine locale, surtout après avoir constaté le manque d'hygiène général.
— Non merci.
C'est ainsi que nous quittâmes les lieux. J'étais si soulagée de sortir d'ici que je n'avais pas anticipé que l'air au-dehors ne serait guère plus respirable qu'au-dedans.
Une brume épaisse nous cueillit. Toute la ville semblait nappée dedans. Il était impossible de voir à trois pas, alors essayer de distinguer le ciel s'avérait inutile. J'entendis au loin le cri moqueur d'une mouette. Je sentis soudainement l'accablement me saisir. Comment diable pourrions-nous retrouver la maison de mes grands-parents avec un temps pareil ? Une telle purée de pois allait considérablement nous ralentir, je me demandais même si reprendre la voiture serait bien prudent.
Sofia ne se posa pas autant de questions, elle fonça vers notre citadine et disparue sous mes yeux quand le brouillard se referma sur elle. Paniquée je me mis à hurler :
— Attends-moi !
Sofia ne répondit pas. Plus je m'avançais, moins j'y voyais. Je n'entendais rien hormis le cri d'une mouette au lointain, le vague écho de cloches à la sonorité lugubre. Pourquoi Sofia ne me répondait pas ? J'avançais à pas prudent quand enfin je pus distinguer le parking où nous nous étions arrêtés hier, le monument aux morts se dressant sur la petite place et enfin, notre petite citadine dont Sofia avait ouvert le coffre et en sondait le contenu.
— Qu'est-ce que tu fais ? demandais-je, mal à l'aise.
— Je cherche mon appareil photo, bien sûr ! répliqua-t-elle.
— Mais... pourquoi ?
— Tu as vu cette brume ? Ça va être splendide ! s'enthousiasma-t-elle sans cesser de chercher.
Je frissonnais en réponse. C'était bien ce que je redoutais : l'appétence de Sofia pour l'étrange et le lugubre appréciait cette atmosphère nauséabonde. Si j'appréciais les films d'horreur, c'était dans le confort de notre appartement ! Sofia me traitait souvent de poule mouillée qui n'assumait pas ses goûts. En vérité, je n'arrivais pas à endiguer le flux de pensées terrifiantes qui montaient moi.
J'étais pétrifiée. La plupart du temps, non de ce qu'il pourrait m'arriver, mais de ce que je pourrais faire. Je n'avais pas peur de tomber, mais de me jeter dans le vide, je ne craignais pas de tomber sur un type tordu, mais de ce que je ferais à un pauvre type qui aurait le malheur de m'approcher dans une ruelle sombre. Je n'avais jamais rien fait de mal, mais j'en avais envie. Ces pensées perturbantes tournoyaient dans ma tête. Le peu de fois où je les avais formulé à voix haute, j'avais bien remarqué les regards horrifiés.
— D'accord, en ce cas je vais t'attendre dans la voiture, déclarai-je.
— Non, pas question ! Je t'ai promis de ne pas te lâcher !
— Et du coup tu comptes me trainer avec toi dans cette purée de pois, et m'obliger à me geler les miches pendant que tu prendras tes photos ? la questionnai-je.
Je réalisais que la colère et le dépit me rendaient vulgaire. Ce qui ne choquait pas Sofia qui l'était bien plus souvent que moi, vulgaire, non en colère. Quoi que.
— Tu pourrais en profiter pour vérifier si ce n'est pas la ville que tu cherches, non ? D'ailleurs, on pourrait commencer par l'église ?
La fameuse église où la fresque était supposée se trouver. Sauf que j'avais plus vraiment envie de chercher cette peinture qui pourtant m'avait intrigué pendant des semaines au point de me convaincre de faire ce voyage. Il n'y avait pas que la fresque, il y avait aussi la maison héritée de mes grands-parents dont nous devions décider du sort. Techniquement, la décision était quasiment prise, je devais juste évaluer son état puisque ma mère refusait de remettre les pieds ici.
— D'accord, commençons par l'église, soupirai-je, de guerre lasse.
Sofia m'entoura de ses bras et m'embrassa avec douceur.
— Allez, ne fais pas la tête, c'est toi qui as insisté pour qu'on vienne ici.
— Pas dans la ville, le plan était d'aller à la maison ! rappelai-je.
— Avec ce brouillard, ça va nous prendre des plombes ! Il finira bien par se lever, alors nous reprendrons la route. En attendant, on est juste l'église est juste à côté, autant en profiter pour vérifier si ce n'est pas celle que tu cherches, non ?
Comment réfuter ce pragmatisme à toute épreuve ? Je devais admettre que Sofia avait raison. Pourquoi reprendre la voiture, chercher la maison à travers cette purée de pois quand on pouvait faire trois pas pour vérifier si la fresque n'était pas tout simplement sous notre nez ?
Sofia avait déjà sorti son appareil photo, un Olympus de plus d'une trentaine d'années. Avec elle tirait de magnifiques photos en noir et blanc qu'elle développait elle-même. C'était elle, la vraie artiste de notre couple. Elle avait déjà participé à quelques expositions à Paris et venait depuis peu d'intégrer un collectif qui lui permettait de gagner en indépendance. J'étais tellement fière d'elle, mais aussi un peu jalouse.
Mes peintures à moi ne se vendaient pas, elles s'entassaient dans notre petit loft de la proche banlieue. Je continuais à travailler sur mon art, mais je sentais bien que je n'intéressais personne et surtout pas les galeristes. Je ne peignais de toiles conceptuelles que j'aurais pu vendre facilement. Non, je m'échinais à un style vieillot que je réussissais plus ou moins à reproduire. Mais qu'y pouvais-je si Bosch m'inspirait plus que Soulages ? Sofia se moquait gentiment de mes goûts passéistes en disant que je n'étais pas née à la bonne époque. Ce à quoi je rétorquais que si j'étais née à l'époque de mon peintre préféré, j'aurais probablement fini au bûcher.
En réalité Bosch n'était pas l'unique objet de fascination, il y avait un peintre français méconnu, ayant lui aussi essuyé la critique d'être passéiste. Ses peintures sur les enfers et les créatures les peuplant à l'époque où la France s'entichait des impressionnistes firent bien sûr chou blanc. Il n'y avait que les évêques et les curés de campagne pour admirer son œuvre, c'est donc assez logique qu'il finisse par atterrir dans un coin paumé de Bretagne.
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