Chapitre 43 : Vision et terme

Il faisait encore très frais ce matin là. Elenwë, les épaules recouvertes d'un long châle de laine, marchait sous les arcades abritées de la demeure de son père adoptif. Comme elle l'avait promis à son époux la veille, elle se rendait auprès du Seigneur Elrond pour lui parler de cette vision. 

En chemin, elle croisa Lindir qui lui sourit vivement en la voyant. 

— Lindir ! Je suis contente de vous voir ! Où étiez-vous passé ces derniers jours ?

L'elfe brun esquissa un sourire en venant doucement embrasser les joues de l'elleth. 

— Nous étions allé visiter mes beaux parents, et leur annoncer qu'ils seront prochainement à nouveau grand-parents. 

Le visage d'Elenwë s'illumina et elle s'exclama avec joie, saisissant les mains de son ami :

— Lindir ! Je l'ignorais ! Félicitations !

Le bras droit du Seigneur Elrond sourit avec douceur et Elenwë décerna dans son regard une profonde joie tranquille. 

— Je suis revenu, à la demande de votre père pour le seconder pour la naissance de votre enfant. 

Elenwë, songeuse, posa sa main sur son ventre et sourit en sentant un petit coup répondre à son geste. 

— Je ne saurais être mieux entourée, merci Lindir. 

Ce dernier jeta un regard sur l'extérieur, fixant la neige qui tombait sur le sol, en délicats flocons. 

Elenwë se souvint soudain de la raison de sa marche solitaire. 

— Ah, je cherchais mon père. L'auriez-vous vu ?

— Je crois l'avoir vu il y une demi-heure dans la bibliothèque. J'espère que tout va bien ? S'inquiéta l'époux d'Althea. 

— Oui, tout va très bien, seulement, je dois lui faire part d'une vision étrange, et il est sûrement le mieux placé pour me conseiller. 

Lindir hocha la tête et salua Elenwë en s'éloignant tandis que l'elleth reprenait son chemin. 

Le chemin jusqu'à la bibliothèque ne fut pas long et Elenwë ne tarda pas à pousser délicatement la porte de bois sculpté qui menait à la bibliothèque de la demeure. 

Dans la pièce régnait toujours cette forte odeur de vieux parchemins, et d'encre. Elenwë avait toujours aimé cette ambiance calme et reposante. Avec un fin sourire, elle se remémora un de ses souvenirs d'enfance à Imladris. 

Quand elle était encore jeune et qu'Elrond pensait encore que lui faire suivre des cours de couture était une bonne idée, Elenwë, qui ne supportait pas la vue d'un fil, se débrouillait toujours pour se réfugier dans la bibliothèque où elle était à coup sûr retrouvée par Erestor qui la sermonnait gentiment. 

Avec le temps, Elrond s'était rendu à l'évidence. Mieux valait qu'Elenwë apprenne ce qu'il lui plaisait. 

Errant parmi les rayons de la bibliothèque, elle effleura des doigts les tranches des livres. Secouant sa tête, elle se força à se rappeler la raison de sa venue ici. 

— Ada ? Appela t-elle. 

Si dans un premier temps elle ne perçut pas de réponse, elle vit soudain une tête brune surgir de derrière une étagère. 

— Elenwë ! Tu m'as appelé ? 

L'elfe sourit en se rapprochant de son père pour l'enlacer. 

— Oui, je voulais te parler de quelque chose. Je ne te dérange pas ? 

Elrond se rassit en fermant immédiatement son livre en vérifiant d'abord avoir laissé un marque page à l'endroit où il s'était arrêté. 

— Pas du tout. Assied toi. 

Elenwë s'assit à côté de son père sur le sofa et le regarda avant de dire :

— Depuis que j'ai légué mon aptitude, j'ai.. Comme des visions. 

— Des visions ? Interrogea son père, fronçant les sourcils. 

— Oui. Je me rappelle que lors des rêves insufflés par le Seigneur Irmo, j'ai rencontré cette elfe, Earwien. 

— Oui, je me souviens de cela. 

— J'ai l'impression qu'Earwien n'est pas à Valinor. 

— Mais.. Comment est-ce possible ? C'est une elfe, tu m'as dit. Si elle n'a pas renoncé à la vie d'Eldar, elle est forcément ici. 

— Justement, je ne crois pas. Je ne sais pas trop pourquoi mais c'est étrange. Elle avait l'air perdue. Elle avait même l'air d'ignorer ce qu'elle était réellement. Comme si elle était seule là où elle se trouvait. Comme si elle était toujours..

— Sur Arda. Coupa Elrond, comprenant ce que cela impliquait. Cela impliquerait qu'elle y a été abandonnée ?

— Oui, c'est un peu l'idée.  

Elrond, posant une main soucieuse sous son menton se mit à réfléchir intensément. 

— Quel lien cela a t-il avec ces visions ? 

Elenwë serra les lèvres avant de dire :

— J'ai l'impression d'être un peu liée à elle. Et j'ai aussi la sensation que ces visions ne sont pas les miennes. 

— Ce seraient les siennes ? C'est ce que tu veux me dire ? 

Elenwë hocha la tête. 

— L'autre jour, j'ai eu une vision étrange, différente des autres. Comme si elle avait un don de prescience, un peu comme vous, Ada. 

— Que montrait la vision ? 

Elenwë regarda à travers la fenêtre, la neige qui tombait toujours et qui recouvrait la Nature assoupie. Les branches recouvertes de gel supportaient des amas de glace fine qui scintillaient à la lueur du soleil matinal. 

L'horreur de ce qu'elle avait vu dépassait ce qu'elle avait vu sur les champs de bataille, auprès de la communauté de l'Anneau. Et pourtant, ils avaient combattu un grand nombre de fois, dans des situations tout aussi critiques. 

La gorge serrée, elle tourna son regard vers son père avant d'inspirer et de dire :

— J'ai vu les ruines d'Arda. Des terres fumantes, stériles et désertées de toute vie. Le sol était crevassé, ruiné. Puis j'ai vu les êtres les plus hideux qui m'eut été donné de voir. Des créatures à la peau sombre, comme putréfiée. Des ailes immenses leur donnaient une aura funeste et indéfinissable. Ils avaient des crocs déformés, des cornes et des griffes longues qui ressemblaient à des lames sombres. L'odeur qu'ils dégageaient donnait l'envie de plonger dans le désespoir. Autour d'eux, la vie semblait s'éteindre, se recroqueviller et disparaître complètement, définitivement. Et au milieu d'eux, j'ai vu un homme. Enfin, il ressemblait à un homme. Il avait dû être beau mais jamais, jamais je n'ai vu une telle noirceur dans un regard. L'atmosphère autour de lui et si lourde que l'on ne peut y respirer. Les cheveux roux, le regard noir, je crois, sa peau semblait être craquelée par endroits et les seuls êtres à pouvoir l'approcher étaient ces montres. 

Elenwë releva les yeux vers son père avant de lui dire :

— Ada, je n'ai jamais vu un spectacle aussi horrible que celui-là. J'étais pétrifiée. Et j'ai l'impression que c'est bien plus qu'un simple rêve. 

Elenwë s'arrêta soudain de parler, voyant que son père paraissait soudain blême. 

— Ada ? Quelque chose ne va pas ? 

Le Peredhel se leva, nerveux, avant de dire :

— As-tu une image précise de cet homme. Leur chef ? 

— Oui, je sais à quoi il ressemble, je le reconnaîtrais sans peine. Mais pourquoi me demandes-tu cela ? 

Le demi-elfe se rassit, l'air défait. 

— J'ai un mauvais pressentiment, Elenwë. Entre la potentielle présence d'Earwien en Arda et cette vision, un terrible sentiment m'assaille. Si jamais tu as à nouveau une de ces visions, il faudra que nous allions en informer les Valars. 

 Elenwë fronça les sourcils, nerveuse tout à coup. 

— Que croyiez-vous que cela soit ? 

Elrond passa une main épuisée sur son visage à présent soucieux et soupira :

— Je ne veux rien te dire, j'aurais trop peur de t'inquiéter si cela n'est pas ce que je crois. 

Il releva le visage vers elle et sourit avant de dire :

— En attendant, ménage toi, Elenwë. Le terme de ta grossesse ne va pas tarder et ce n'est pas le moment de te causer des inquiétudes supplémentaires. 

Elenwë voulut protester mais son père souriait. 

— Tu devrais aller te reposer, iel nin. 

Il lui donnait congé et Elenwë soupira. Son père pouvait essayer de faire croire que tout allait bien mais elle voyait bien, sur son visage, cette ride soucieuse presque invisible. 

— Bien. Je te laisse Ada. À plus tard. 

Deux jours passèrent paisiblement, même si Elrond ne semblait plus aussi joyeux et serein que de coutume. Il tentait de faire comme si de rien n'était mais il n'y parvenait pas. 

 Néanmoins, ce n'était pas le seul souci qu'il devait avoir en tête puisque ce soir là, après le dîner, Elenwë sentit soudainement que le terme était arrivé. Une main sur le ventre, elle prévint Legolas qui se précipita dans le couloir pour appeler Elrond. 

Elrond qui lisait, perdu dans ses pensées, entendit soudain des pas pressés dans le couloir. Que se passait-il ? 

Legolas, un peu échevelé, surgit soudain et cria, plus qu'il ne parla :

— Elrond. C'est maintenant. C'est le moment. 

Si le seigneur elfe mit deux secondes à comprendre, il se leva prestement et, en arrivant dans le couloir, cria le nom de Lindir pour lui dire de venir. 

L'elfe brun arrive et le maître des lieux lui dit avec appréhension :

— Va chercher Aulìen et Enviun. Et apportez le matériel puis rejoignez nous dans la chambre d'Elenwë. C'est imminent. 

Elenwë, allongée sur le lit, respirait lentement, la main posée sur le ventre. C'était l'heure. Dans quelques instants, elle pourrait tenir dans ses bras leur enfant. 

Un peu anxieuse, elle entendit la porte s'ouvrir avec fracas et soupira de soulagement en voyant son père arriver dans la chambre. 

Legolas vint s'asseoir sur le bord du lit et attrapa la main de son épouse qui ne retint pas un rire.

— Qu'y a t-il ? Interrogea t-il surpris de l'entendre rire. 

Elenwë sourit en disant :

— Ne sois pas si tendu, on dirait presque que c'est toi qui vas accoucher. 

Legolas eut un sourire et serra tendrement la main d'Elenwë en lui disant :

— Tout va bien se passer. Il n'y aura pas de complications puisque tu n'as pas ton aptitude. 

Elenwë posa une main sur la joue de son époux en souriant. 

— Nous allons accueillir notre enfant. Je suis si heureuse. 

Legolas, les yeux brillants, hocha la tête. 

— Moi aussi.

La porte s'ouvrit à nouveau sur Lindir, Aulìen et Enviun qui portait dans leurs bras le matériel nécessaire : serviettes, bassine d'eau chaude. 

Elrond, s'approchant de sa fille, posa une main sur son ventre, pour sentir les contractions. 

Il sourit. Tout se présentait bien. 

Il installa sa fille correctement, donna ses instructions et le travail commença.

Cela ne fut pas très long. À peine deux heures plus tard, un cri retentit dans la chambre et Elenwë, épuisée, se laissa retomber sur les coussins. 

Legolas se mit presque à pleurer de joie en voyant Lindir revenir après avoir nettoyé le nouveau né. 

— Félicitations, vous avez un très beau fils. Dit-il en tendant l'enfant à Elenwë qui le prit dans ses bras avec émotion. 

Legolas s'assit tout contre elle et il regarda son fils. 

Sa peau blanche tranchait avec ses cheveux bruns. Ses yeux bleus se posaient sur ses parents qui le regardaient avec amour. 

— Bonjour, Elwuïn..

Le petit elfe gazouilla en tendant ses bras vers son père. 

— Tu veux le porter ? Demanda doucement Elenwë avec un sourire. 

Legolas, muet, hocha la tête, le regard plus brillant que jamais. 

 Elenwë posa son fils dans les bras de son père et regarda avec attendrissement cette scène. 

Legolas, ses longs cheveux reposant sur ses épaules, tenait avec délicatesse le petit elfe brun qui souriait. 

— Il a tes cheveux, Melleth. 

Elenwë sourit, en passant une main distraitement dans ses cheveux. Autrefois, ses cheveux étaient bruns. Mais un jour, en soignant Legolas qui était très gravement blessé, elle avait failli mourir et ses cheveux étaient devenus blancs. 

Elle sourit tendrement avant de dire :

— Mais je suis sûre qu'il aura tes yeux. 

Son époux sourit, prenant doucement sa main. 

— Peut importe, c'est le plus beau des elfons. 

Elrond, ému, regardait la famille nouvellement formée et contemplait son petit fils. Son deuxième certes, mais lui, il le connaîtrait longtemps. Tandis que le fils d'Arwen et Aragorn.. Devait déjà être mort depuis quelques années. Quelle tristesse.

Au moment où il songeait cela, Elenwë le regarda et lui dit :

— Ada, est-ce que vous voulez le prendre ?

Elrond hocha doucement la tête, tendant ses bras pour recevoir son petit fils. 

— Bienvenue, Elwuïn. Murmura t-il. 

Et tandis qu'il disait ça, son coeur céda à un flot d'émotions et quelques larmes coulèrent sur ses joues.  

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