Chapitre 8 - Dan

Je ne suis pas du genre à me confier facilement. A vrai dire, je suis même de nature un peu trop réservée. Bien sûr, j'ai appris à faire confiance à mes amis, mais il n'a jamais été dans mes habitudes de me dévoiler.

Seulement entre Camille qui m'évite, Marion qui essaie tant bien que mal de lui redonner le sourire – et à qui je n'ose plus trop parler depuis jeudi –, Vic qui n'a pas l'air de comprendre quoi que ce soit, et Luna qui parait de plus en plus préoccupée sans que je ne sache pourquoi, je me sens débordé.

Notre deuxième journée à bord du bateau a démarré il y a peu. Ça devrait être génial, sauf que Luna, l'air épuisé, reste dans sa cabine la plupart du temps, et que Vic a le mal de mer. Camille et Marion restent ensembles et moi... je ne sais plus quoi penser.

Les rêves se font de plus en plus menaçants. Il n'est pas rare qu'une créature démoniaque s'y ajoute, sous la forme d'une ombre ailée gigantesque.

Le temps nous est compté, oui mais...

Je ne comprends même pas les conséquences que notre « mission » pourrait avoir si nous échouons à ramener le médaillon. Que se passerait-il de si grave pour qu'une déesse archaïque nous envoie tous ces rêves effrayants dans le seul but de nous presser ?

Je me suis retrouvé embarqué dans cette histoire sans rien comprendre et ce n'est que maintenant que j'en saisis l'ampleur. Et je comprends désormais un peu mieux les premières réactions de Marion face à toutes ces révélations délirantes.

Je m'accoude au bastingage et scrute l'horizon. Le vent est frais, ce matin. Il encore tôt ; à peine six heures et demie, mais après la pause pour la nuit, hier soir, le mouvement du bateau qui se remet en route m'a réveillé. J'espérais pouvoir assister à un lever de soleil, mais le ciel est couvert et la mer, agitée. J'espère que ce n'est pas un orage qui se prépare...

Quand les premières gouttes tombent, je rentre à l'intérieur. Peu de gens, exception faite des marins, sont déjà debout. Aucun petit- déjeuner ne semble être prévu avant une bonne heure. Je m'aperçois soudain que je suis encore fatigué. Il faut dire que la journée d'hier a été éreintante. Levés à minuit pour pouvoir prendre le bateau à Nice à quatre heures, puis les premiers temps à bord pendant lesquels l'excitation du voyage nous a empêché de dormir, jusqu'à l'arrivée à huit heures sur l'île d'Elbe.

Nous sommes repartis après avoir mangé sur une plage un petit-déjeuner rendu meilleur par la baignade qui l'a précédé. Nous sommes ensuite remontés à bord, cap sur Rome ! Notre croisière nous a fait remonter le Tibre, le fleuve qui la traverse, jusqu'au centre-ville où nous avons mangé vers midi. Maintenant que j'y pense, c'est aussi à partir de ce moment que Luna m'a semblé plus anxieuse.

Tout en vagabondant dans les couloirs du bateau, je suis justement arrivé devant sa porte. J'hésite, la main sur la poignée. Elle est la meilleure personne à laquelle je pourrais confier tous mes soucis mais... est-elle seulement réveillée ?

Convaincu que non, je tourne le dos quand...

CRAC-BOUM.

Ce bruit fracassant vient de sa cabine. La cabine de Luna. Je réagis au quart de tour :

- LUNA ! m'écrié-je en ouvrant la porte à la volée.

La vision que j'ai alors me laisse pantois. Debout au milieu d'un bazar indescriptible, en pyjama à rayures bleues et blanches, mon amie tourne la tête vers moi.

- Ah salut ! fait-elle avec légèreté. Je ne te pensais pas déjà levé.

Je dois faire une tête étrange parce qu'elle me dévisage avec amusement.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-elle.

- Ce... C'était quoi... C'est quoi ce pyjama ?

Elle éclate de rire.

- Tu te verrais, Dan ! s'esclaffe-t-elle. Il est si moche que ça, mon pyjama ?

- ...Oui.

Visiblement, elle ne m'en veut pas pour cette réponse catégorique car elle jette un œil à ce qu'elle porte et grimace.

- Mouais, laisse tomber.

Elle enjambe une pile de livres et quelques croquis étalés par terre et ferme la porte derrière moi.

- Tu seras gentil d'oublier que cette abomination fait partie de ma garde-robe. Bon, j'imagine que ce n'est pas pour admirer mes pyjamas que tu es venu, si ?

- Non. J'ai entendu le bruit et...

- Oh, ça ! Ce n'était pas grand-chose. J'ai juste fait tomber ces livres, dit-elle en pointant la pile précédemment évitée.

J'expire bruyamment en me pinçant l'arrête du nez.

- Luna, fais-je en mimant la plus profonde exaspération.

Je la reconnais bien là : maladroite et tête en l'air.

- Au fait, daignerais-tu m'expliquer pour quelle obscure raison ta cabine est dans cet état ?

Des gros livres sont éparpillés par tout, il y a une pile de vêtement près de la valise ouverte de Luna, une robe de chambre traîne à terre et des pages et des pages de notes et de dessins recouvrent le sol. A l'écoute de ma question, elle se rembrunit et je remarque soudain ses énormes cernes et son teint maladif. Elle est éreintée.

- Ne me dit pas que tu trimballais tous ces bouquins dans ta valise ?

- Si, Dan, répond-elle simplement et la lassitude perce dans sa voix.

Elle n'est pas dans son état normal, et ce depuis la visite de Rome. Mais pourquoi ? Que s'est-il passé ? Je m'approche doucement et pose une main sur son épaule.

- Qu'est-ce qui t'arrive ?

Elle soupire, s'assoit sur son lit et se prend la tête dans les mains.

- Je ne sais pas, lâche-t-elle.

Puis elle commence à me raconter. Pourquoi elle a pris les livres ? Un pressentiment, qui s'est avéré fort utile. Pourquoi cette mauvaise mine ? Les cauchemars. En effet, s'ils semblent être plus effrayants pour chacun de nous depuis quelques jours, pour Luna, c'est pire. Elle me raconte : chaque fois que le démon ailé apparaît, elle se tord de douleur et ne se réveille qu'au moment où la lune est entièrement voilée par l'ombre de la créature, et où elle ne peut plus supporter la douleur.

- Tu ne peux pas comprendre, gémit-elle, cette chose tend sa main vers moi, comme pour me proposer de m'aider, mais plus elle s'approche, plus ça fait mal et j'ai l'impression de sentir ses griffes qui me déchiquettent de l'intérieur alors qu'elle ne me touche pas encore... je n'en peux plus, je ne veux plus m'endormir, je...

Elle s'effondre sur mon épaule.

- Tu es restée debout toute la nuit, c'est ça ? Et ça fait combien de temps que ça dure ?

- Depuis dimanche soir. Dès que je ferme les yeux.

Elle frissonne.

- Tu es crevée, Luna, tu ne peux pas passer la semaine comme ça.

- Et qu'est-ce que je suis censée faire ? me crie-t-elle avant de laisser sa tête retomber mollement en avant. Désolée. Je ne sais plus ce que je dis, soupire-t-elle.

- Qu'est-ce qui s'est passé à Rome ? je l'interroge après un temps d'hésitation.

- Je l'ai vue...

- Qui ça ? demandé-je vivement.

- La silhouette du cauchemar. Elle était dans la foule, comme une ombre au milieu de tous ces gens et personne ne semblait la remarquer. Elle m'a regardé... Ses yeux sont si noirs, si profonds, si effrayants ; c'est une démone, Dan, avec ses ailes dans le dos et...

Elle tremble. De sommeil ou de peur, je ne sais pas mais il faut qu'elle s'allonge.

- Non, proteste-t-elle faiblement. Je ne dois pas dormir.

- Repose-toi quand même un peu.

- Si je m'endors, réveille-moi.

- ...D'accord.

- Promis ?

- Oui.

Elle reste silencieuse un instant.

- Parle-moi, demande-t-elle finalement. Ou fait-moi parler.

Je comprends qu'elle compte tenir le sommeil à l'écart en m'écoutant, et je m'exécute. A mon tour, je lui raconte comment j'ai vécu ces derniers jours, mes sentiments, ce qui s'est passé jeudi et comment tout a semblé s'enchaîner depuis. Comment je suis à la fois heureux d'être avec eux sur ce bateau mais qu'en même temps j'ai la désagréable sensation d'être dépassé par les évènements.

Quand je la regarde à nouveau, elle dort profondément.

Je lui ai donné ma parole, mais elle a l'air si sereine, enfin tranquille, et elle ne semble pas faire de mauvais rêve. Je prends le parti de la laisser tranquille et pour passer le temps, je jette un œil aux notes éparpillées sur le sol.

J'avoue que je n'y comprends pas grand-chose.

Partout il est question de mythologie grecque. Les dessins représentent des créatures mystiques que je ne connais pas. D'après les titres, je peux observer des chimères, des gorgones, des sirènes – à ma grande surprise, ces dernières, n'ont pas une queue de poisson mais un corps d'oiseau – des sphinges, des harpies et des Érinyes.

Ces derniers croquis m'interpellent particulièrement : les femmes représentées ont des ailes sombres et des pattes griffues à la place des mains...

Autrement dit, elles sont conformes à la description de Luna. En fait, c'est le cas de la plupart des dessins : partout on peut voir une tête de femme, des ailes et des griffes.

Seulement il manque quelque chose pour que je retrouve l'ombre de mes rêves. Je me la remémore et... Des cornes. Les « Érinyes » qu'a dessinées Luna sont très ressemblantes, mais il leur manque les cornes sur le haut de la tête.

Un petit gémissement me tire de mes réflexions. Luna ! Je n'ai pas fait assez attention à la régularité de son souffle, et la voilà repartie dans ses rêves affreux. Je me précipite à son chevet, lui tourne la tête. Elle est livide.

- Luna, j'appelle avec inquiétude, de plus en plus fort. Luna !

Mais elle continue de se débattre dans son sommeil. Je lui empoigne les épaules, tout en continuant de répéter son prénom.

- Luna, Luna ! Allez, réveille-toi, soufflé-je. LUNA !

Peine perdue. Plus le temps passe, plus elle semble enfermée dans le cauchemar. Je la secoue, rien. Je commence à lui tapoter les joues avec insistance, rien. Elle tourne et retourne sa tête, grimaçante de douleur.

J'inspire un grand coup.

- Pardon, Luna.

Et je lui donne une gifle. J'étais convaincu que ça fonctionnerait... mais non. Désespéré, j'entends soudain la voix de Vic dans le couloir, puis un bougonnement de Marion. Soulagé, j'ouvre la porte et les trouve dans le couloir avec Camille. Sans leur laisser le temps de déclarer quoi que ce soir, je leur résume la situation et les fais entrer.

- Il lui faut de l'eau, décrète aussitôt Camille.

Marion se précipite alors dans la petite salle de bain attenante. Au moment même où elle revient, verre d'eau à la main, Luna hurle. Ouvre les yeux.

Et le bateau fait une embardée.

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