Chapitre 7 - Marion

C'est la fin de la journée. Notre dernier cours a lieu en demi-classe, pour les travaux pratiques de SVT et de physique, et je suis avec Luna tandis que Camille, Dan et Vic sont dans l'autre groupe. Nous avons convenu de nous retrouver aux casiers et je prends un peu d'avance sur Luna, espérant avoir une petite discussion avec Dan qui ne s'avère pas aussi discret que je le voudrais.

J'ai mal à la tête. Sûrement la fatigue de la journée. Je concentre mon attention sur le carrelage blanc du sol, mais tout d'un coup, l'image d'un temple aux imposantes colonnades m'apparait, l'espace d'une fraction de seconde. Je cligne des yeux et vois des ruines se superposer à la première image. Encore un battement de paupières et c'est un sinistre temple de pierres noires qui remplace les ruines.

Je réprime un frisson et appuie mes mains sur mes yeux jusqu'à ce que la vision disparaisse, laissant une angoisse sourde monter en moi sans que je ne sache réellement d'où elle vient.

Je presse le pas. Mon mal de tête a diminué. Je tourne et j'arrive enfin devant les casiers. Comme je l'escomptais, Dan est déjà là. Au moment où j'ouvre la bouche, j'entends des pas précipités et vois Camille débouler derrière lui, magnifique, comme toujours.

Elle ne m'a pas vue.

Je fais un pas de côté et me cache derrière une rangée de casiers. Je n'ai aucune raison de faire ça alors pourquoi ?...Aucune idée.

J'entends Camille s'approcher encore un peu, le souffle court parce qu'elle vient de courir.

- ...Dan ?

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Il faut que je te dise quelque chose.

Camille n'est pas dans son état normal. Son ton est pressant et il n'y a pas de sourire dans sa voix, juste du stress et de la nervosité. Mes oreilles se mettent à siffler. Je sais ce qui va suivre. J'ai de nouveau atrocement mal à la tête. Un étau se resserre sur mes côtes et j'ai du mal à respirer. Je concentre mon attention sur mes mains moites et tremblantes, mais ça ne m'empêche pas d'entendre ses trois derniers mots, qui me transpercent de part en part tels trois épées acérées.

- ...je t'aime.

Mon dos se cogne au mur et je me laisse glisser à terre. Je vais mourir. Je veux mourir. Je sens les larmes couler sur mes joues, pitié, faite qu'elle ne m'entende pas... Je le savais, bien sûr, mais je ne me doutais pas que l'entendre me ferait tellement mal... Mon cœur bat trop fort, j'ai envie de crier, de hurler mais je ne peux pas parce qu'à trois mètres de moi, la fille que j'aime vient de se déclarer à l'un de mes amis.

Les images du temple reviennent, ajoutant une peur incompréhensible à ma douleur. Pourquoi ne m'achève-t-on pas ?... Je tremble, je m'étrangle en tentant de dissimuler mes sanglots. A travers le brouillard de mon désespoir, j'entends soudain la voix de Dan s'élever.

- Attends, quoi ? Non mais... non !

Camille ne répond rien, sans doute surprise – autant que je le suis. Etrangement, plus que de l'incompréhension c'est de la colère qui perce dans la voix de notre ami. Je déglutis avec difficulté. L'étau se relâche de quelques nanomètres. Au moins ce n'est pas réciproque...

L'égoïsme de ma pensée me fait pleurer de plus belle.

- Non, non ! répète toujours Dan, avec de plus en plus de conviction. Je... Camille !

Le ton monte. Mais qu'est-ce qu'il nous fait, là ?

- Il y a une fille belle, intelligente, gentille, drôle, merveilleuse qui n'attend qu'un signe de ta part et toi, toi, tu m'annonces... ça ? Non !

Qu'a-t-il dit ? Un sifflement me vrille les tympans. Il ne peut quand même pas avoir dit ça... Je me sens pâlir. J'ai l'impression d'avoir reçu un coup de poing dans le ventre, qui me coupe la respiration. Et Camille qui ne dit rien... Des points noirs valsent devant mes yeux et j'ai brièvement la vision du temple de tout à l'heure, menaçant dans un ciel sans lune.

C'est ce moment que choisissent Luna et Vic pour arriver.

- Qu'est-ce qu'on a loupé ? demande Vic.

- Camille, tu pleures ?

- Non, c'est une poussière.

- Où est Marion ?

Soudain je n'ai plus l'envie ni la force de crier. Mais Vic fait le tour des casiers et me voit.

- Elle est là !

- Tu vas bien ? s'inquiète Camille.

- Tu es là depuis longtemps ? demande Dan.

Il a réussi à prendre un ton détaché mais je sens que lui aussi est inquiet.

- Non, je viens d'arriver, je murmure, et je lis dans ses yeux qu'il ne me croit pas.

- Pourquoi tu es par terre ?

- Je crois que j'ai fait un malaise, dis-je.

Ce n'est qu'un demi-mensonge.

Mon mal de tête est presque partit mais je tremble toujours.

- J'ai vu un temple, je souffle.

Vic se penche au dessus de moi, le front plissé.

- Tu as vu quoi ?

Je reprends ma respiration et me redresse.

- Je... ça va, je vous raconterai plus tard.

*

*        *

- Marion, tu me dois des explications.

Nous sommes vendredi soir et je suis la première chez Dan – parce que je suis la seule à avoir pensé à prendre mes affaires dès le matin pour ne pas être obligée de repasser chez moi après les cours.

- Concernant quoi ? maugréé-je, sur la défensive.

- Concernant ton évanouissement d'hier, me répond-il sur un ton d'évidence. Étrangement juste après que Camille...

Il ne finit pas sa phrase et secoue la tête d'un air dérouté.

- Premièrement, je réponds avec agacement, je ne me suis pas évanouie ; deuxièmement, tu es bien le seul à être surpris de cette déclaration...

Je suis prête à continuer sur ma lancée en lui rappelant qu'il a trahi mon secret mais il ne l'en laisse pas le temps.

- Attends, tu étais au courant ?

- Ecoute, Dan, ça crève les yeux, ce n'était plus qu'une question de jours avant qu'elle ne te le dise !

J'aurai bien aimé donner à cette phrase une nuance moqueuse mais tout ce que j'entends transparaître dans ma voix, c'est de la résignation et un léger tremblement. Il se prend la tête entre les mains et finit par lâcher d'un air pitoyable :

- Je suis tellement désolé...

Je ne réponds rien. Il reprend après un court moment :

- Donc, tu as tout entendu ?

Il évite désormais mon regard. J'opine et m'apprête à dire quelque chose mais il me coupe dans mon élan.

- Ecoute, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n'aurai jamais dû m'énerver comme je l'ai fait et encore moins lui dire ce que j'ai dit. Mais je peux t'assurer que je pensais chacun de mes mots à ton sujet.

C'est mon tour de rougir et de détourner les yeux.

- En tout cas, je marmonne, rappelle-moi de ne plus jamais te confier quoi que ce soit.

Il m'adresse son petit sourire en coin, absolument désarmant.

- Mais elle ne sait pas – encore – que c'est toi ! Oh, et puis, je refuse de croire que c'est uniquement pour cette raison que tu es tombée dans les pommes.

- Pour la énième fois, je ne me suis pas évanouie, j'ai juste fait un mini malaise parce que...

- Attends, ça m'intéresse !

Vic ouvre la porte à la volée, suivi de Luna et de Camille. Quand je la vois, mon cœur manque un battement.

- Tu en as mis, du temps ! le charrie Dan.

A court de répartie, Vic lui tire la langue. Hilares, les filles posent leurs sacs de couchages et me rejoignent.

- Alors ? demande Luna.

- Va-t-on enfin savoir les plus sombres secrets de Marion ? fait Vic d'un ton plein de mystères.

Camille lui donne un coup d'oreiller.

- Tais-toi et laisse-la parler !

- Jeudi, commencé-je, j'avais très mal à la tête et j'ai vu plein d'images bizarres défiler...

Camille étouffe une exclamation et se met à pianoter sur son téléphone pendant que je poursuis, décrivant les images :

- La pleine lune, un arc, la biche... mais surtout un temple.

Luna et Dan échangent un bref regard.

- Alors toi aussi tu l'as vu, souffle Vic.

- D'abord en pierres blanches, ai-je confirmé.

- Puis en ruines, poursuit Dan.

- Et enfin reconstruit en noir, achève Luna en frissonnant.

- Dites, intervient Camille. Vous ne trouvez pas que ce temple qu'on a tous vu ressemble beaucoup à... ça ?

Elle nous tend son téléphone et nous montre l'image d'un magnifique monument. J'écarquille mes yeux.

- Si, c'est exactement ça, dis-je dans un souffle.

Elle laisse planer un court silence puis déclare de but en blanc :

- C'est celui d'Éphèse.

- Fiou, siffle Vic.

- Je m'en doutais un peu, avoue Luna.

- Et comment l'as-tu deviné ? demandé-je à Camille.

Elle plante son regard noisette dans le mien.

- Quand j'ai vu les images, l'autre jour, je n'ai pas compris. Mais quand tu en as parlé... D'y repenser, ça m'a soudain paru évident, donc je suis allée vérifier.

- Bien joué, lâche son frère.

- Et quel est le message céleste qu'on est censé décrypter, ce coup-là ? fais-je avec une pointe de mauvaise humeur.

- Pour moi, avance Luna, la lune qui décroit indique le temps qu'il nous reste – à savoir une semaine puisque la dernière pleine lune était samedi dernier et que la nouvelle lune est le week-end prochain. Le temple noir est sans doute ce qu'il adviendra du temple d'Artémis si nous échouons. Quand à l'arc et à la biche, ce doit être la « signature » de la déesse. Enfin, ce ne sont que des suppositions.

Dan se retourne vers nous, l'air désabusé.

- Quelqu'un peut-il m'expliquer comment elle peut faire autant de déductions à partir d'aussi peu d'éléments ?

- Élémentaire, mon cher Dan, répond Luna avec malice.

- Comment ? Qu'entends-je ? Ne me dit pas que tu n'aurais pas deviné tout seul, s'exclame Vic. C'est pourtant d'une simplicité enfantine ! Seule une personne à l'intelligence sous évoluée ne se serait pas douté une seconde de...

Son sourire s'éteint devant le regard sombre que lui adresse son ami.

- Toi tu as envie de te reprendre un oreiller sur la tête, menace Dan.

- Oh-oh, fait Vic en battant précipitamment en retraite.

Trop tard. Le coussin vole, Vic appelle à l'aide, Luna se précipite à son secours en raflant sur son passage une douzaine de peluches – peut-être le mot « munitions » conviendrait-il mieux –, Camille et moi construisons des barricades de couettes et c'est ainsi que la soirée se transforme en troisième guerre mondiale version bisounours. 

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