Chapitre 6 - Camille

- Ce n'est pas une déesse de la mythologie grecque ? demande mon jumeau. 

Nous sommes mercredi et Luna nous a tous invités pour discuter. Depuis cet étrange lundi, nous n'avons pas vraiment eu l'occasion de parler : aussitôt après que Luna nous aie révélé sa découverte, la cloche a retentit et des dizaines d'élèves ont déferlés dans "notre" couloir tout en riant et parlant de l'éclipse inattendue. Il a fallu aller justifier notre absence à tous les cinq avec une excuse bidon et nous n'avons plus eu une minute, entre les cours, la cantine trop bruyante et... notre père. 

Depuis lundi dernier, il y a des disputes presque tous les soirs : Vic et moi rentrons trop tard à son goût. Heureusement, il est trop occupé par son travail au bureau pour nous empêcher de retrouver le reste de la bande dès que l'occasion se présente - en l'occurrence ce mercredi après-midi.

Pour la première fois, nous allons pouvoir discuter sérieusement de... tout.

- Exactement, Vic, confirme Luna. Artémis est la déesse grecque de la chasse et de la Lune. Elle est la protectrice des jeunes filles et a fait vœu de chasteté. Ses attributs sont l'arc et les flèches et elle est souvent associée à une biche. 

- La Lune, la biche, le grec... me rappelé-je. Et lundi ? Et les sept jours ?

- Lundi, c'est le jour de la lune, explique Dan. Et je suppose que sept est "son" chiffre.

- Dans le mille, sourit notre amie. Elle et son frère jumeau sont nés à sept jours et sept nuits d'écart, pendant lesquels Artémis a aidé sa mère à accoucher, ce qui fait que sept est devenu leur chiffre à tout les deux. Vous voyez, tous les indices étaient là ! J'ai été bête de ne pas avoir compris ça tout de suite...

- Ne dis pas ça, Luna, je la réprimande. L'important, c'est que tu aies trouvé ! Maintenant qu'on sait qu'il y a un rapport avec Artémis...

Je m'interromps, ma phrase en suspens. Maintenant quoi ? Que va-t-on faire ?

- C'est ça, le souci, fait Marion, sarcastique. Oui, on a un nouveau maillon de la chaîne mais c'est toujours aussi bizarre et mystérieux. Enfin quoi, on parle d'une pierre qui brille pendant les éclipses et d'une déesse vieille de deux mille ans qui serait en rapport avec le rêve qu'on fait tous depuis une semaine !

- C'est sûr que vu comme ça...

- Je ne suis pas d'accord, contredis-je. On a fait un énorme bond en avant, même si je dois dire que plus ça va, moins je trouve ça logique. Mais maintenant, on va pouvoir deviner le sens de nos rêves et comprendre ce que cette déesse attend de nous.

- De ce côté-là c'est plutôt simple, remarque Vic. La biche nous dit de lui ramener le pendentif.

- Oui mais où ? Et comment ? soulève Dan.

- En Grèce, déclare Luna. C'est obligé.

- Merveilleux, fait Vic, soudain découragé, on n'a plus qu'à attendre que cinq billets d'avions pour la Grèce nous tombent dessus.

- Oh non, certainement pas, m'écrié-je. On va se bouger. Il faut absolument qu'on trouve un moyen de partir, et vite.

- C'est ça, et tu payes le voyage, raille mon frère.

- Très drôle, Vic.

- Merci, merci !

Et il fait mine de saluer.

- Tu veux que j'applaudisse, aussi ? lancé-je en levant les yeux au ciel.

- Puisque c'est si gentiment proposé !

Il me fatigue.

- A-Attendez ! s'exclame Marion. Ça ne pose problème à personne, qu'on soit tous là à discuter des « ordres » d'une déesse dont l'existence n'est même pas certifiée ?

- Si, lui accorde Luna. C'est vraiment une sensation très bizarre. Tout ce que je prenais pour des mythes... eh bien, ce n'en est peut-être pas.

J'acquiesce avec tout le monde.

- Mais vous ne mettez pas en doute une seconde que c'est Artémis qui essaie de communiquer avec nous ?

C'est alors que mon téléphone vibre. Sans surprise, mon père vient de rentrer et il n'est pas content du tout. Je soupire et prévient Vic qu'il faut rentrer. Il ne dit rien et tente de faire bonne figure pour ne pas que nos amis s'inquiètent mais son masque ne me trompe pas une seconde. Je souris moi aussi ; ça fait longtemps que j'ai décidé de ne pas me laisser abattre. Il a beau s'époumoner, mon père n'a jamais levé la main sur nous. Alors je souris encore, toujours, parce que j'avais le droit d'être chez Luna aujourd'hui et que c'est tout ce qui compte.

Juste avant que l'on parte, Dan nous invite tous les cinq ce week-end, du vendredi soir au dimanche soir. Il ne le précise pas mais je devine que c'est pour nous éviter la présence de notre père et, même si je m'obstine à refuser toute pitié, je lui en suis réellement reconnaissante.

A la maison, c'est à qui crie le plus fort : entre le patriarche qui se plaint de certains jumeaux « absolument insupportables ! », l'Affreuse sorcière qui hurle à sa fille de descendre et cette dernière qui réplique du haut des escaliers qu'elle est occupée. Après avoir échangé un regard, Vic et moi passons sans nous arrêter devant la porte du salon où notre père s'égosille toujours (« si je les attrape, ces deux là ! ») et rentrons dans le placard, celui qui donne directement sur notre chambre.

Vic l'a découvert au cours d'une partie de cache-cache il y a sept ou huit ans et depuis, nous nous en servons tout le temps, préférant éviter le salon et la cuisine où nous devrions passer en temps normal. Pendant deux heures, nous nous préparons mentalement aux reproches qu'il ne manquera pas de nous adresser tout en jouant au UNO et en mangeant les chips et les bonbons qu'on a achetés sur le chemin.

Comme prévu, toute la soirée se passe dans les cris et la bonne humeur et nous mettons plusieurs heures à nous endormir.

Dans mes rêves, je me retrouve de nouveau dans la clairière. Cette fois, la biche argentée est a côté de moi. Elle fixe la Lune d'un air tendu. Dans le ciel, son éclat a un peu faibli depuis la dernière fois, et elle commence à décroître. Avec un dernier regard angoissé dans ma direction, elle commence à s'évaporer et se paroles résonnent dans le silence de la nuit : « Le temps presse. ».

Un « Bip ! Bip ! Bip ! » strident me tire de mon sommeil. Jeudi. Je me lève immédiatement et me faufile jusque dans la cuisine. J'attrape une boite de gâteaux et retourne dans notre chambre où Vic s'est rendormi. Je le secoue, nous mangeons et nous préparons, puis c'est l'habituel trajet jusqu'au collège.

Sans surprise, tout le monde a fait le même rêve que moi.

- Apparemment, on devrait se grouiller de le rapporter, ce médaillon.

Il a raison, la biche a été très claire là-dessus.

- Une seconde ! proteste Marion. Comment ça, on devrait ? Il s'agit simplement de rêves ! Un jour, j'ai rêvé que je tombais du haut d'une falaise, ce n'est pas pour autant que je me suis précipitée dans le vide ! Ça n'a aucun sens.

- Marion, ce n'est pas – ça ne peut pas être – une coïncidence ! réplique Vic. Ça fait une semaine qu'on fait les mêmes rêves, juste après une étrange éclipse !

- Mais vous, vous y croyez ?

Elle a mis le doigt sur le point sensible, qu'elle avait déjà soulevé hier. On échange des regards gênés. Ce qui nous arrive est complètement fou, et je n'ai jamais vraiment cru au paranormal. Mais l'implication de forces magique n'est-elle pas l'explication la plus logique à tout ce que nous vivons ?

- Avant de se précipiter en Grèce ou je-ne-sais-où, il me semble qu'on devrait déjà réfléchir, conclue-t-elle.

- A ce sujet, intervient timidement Luna, vous savez que c'était mon anniversaire, le 7 juillet. J'étais en colo, à ce moment-là, et Maddie et Paul m'ont gardé une surprise... Ils me l'ont annoncé hier soir. Tout est arrangé, on part la semaine prochaine.

- Où ça ? demande Dan.

- Quand même pas en Grèce ?! s'exclame Vic, les yeux exorbités.

Le sourire de notre amie nous le confirme.

- Mais c'est génial ! m'exclamé-je.

- La semaine prochaine ? réagit mon frère, beaucoup plus pragmatique. Et les parents ?

- Tout a été arrangé, je viens de te le dire. Ne t'inquiète pas.

- Maddie et Paul partent aussi ? demande Marion.

- Oui. On prend le train vers le sud de la France, puis on prend le bateau avec plusieurs escales le long de la côte méditerranéenne ; on passe un jour à Athènes puis on traverse la mer jusqu'à Ephèse, en Turquie, où se trouve...

- Le plus beau temple d'Artémis au monde, complète Marion, ce qui lui vaut des regards étonnés. Ce n'est pas parce que je ne suis pas une dingue de culture grecque que je suis une inculte ! On a appris les sept merveilles du monde en CE2 et ce temple en fait partie.

- Exact. Dingue, comme hasard, non ?

C'est peu dire.

- Pincez-moi je rêve ! s'exclame Dan.

- Si tu insistes, rétorque Vic en s'avançant.

Aussitôt, Dan fait un bond en arrière.

- Hé ! Le concept d'ironie, ça te dit quelque chose ?

- En général je la contre par du premier degré.

- Bon, c'est pas bientôt fini ? s'impatiente Marion.

Tels deux gamins pris en faute, ils s'écartent immédiatement. Comment fait elle pour s'imposer au point que même mon frère recule ? C'est un mystère.

Arrivés au collège, Luna et Vic filent à leur cours de latin et Dan, Marion et moi allons en AP Français.

Pendant le cours, alors que je fixe la nuque de Dan (il est assis devant moi), je laisse mon esprit divaguer et partir loin, de plus en plus loin... Des images me frappent de plein fouet. Un temple, la pleine lune, la biche, le temple qui s'effondre, la clairière, un arc, un temple noir reconstruit sur les débris du précédent...

« C'est une métaphore du temps qui passe. »

J'entends des bribes de cours, comme si quelqu'un s'amusait à monter à monter et baisser le son. Les images s'enchaînent de plus belle : Le temple détruit, la biche, le temple noir, la demi-lune. Le temple, la nuit, le noir, l'arc, le temple, la lune, une flèche.

Brisée.

Cassée en deux, cinq, sept morceaux.

Et puis Marion me donne un coup de coude et je reviens brusquement à la réalité. Mais le temple de pierres noires est gravé dans ma rétine, et je n'arrive pas à me débarrasser de l'impression que c'est un mauvais présage. Un très mauvais présage.

Mes yeux glissent à nouveau vers la nuque de Dan et mon cœur manque un battement. Je prends alors une décision que je sais déjà que je regretterai.

Il doit savoir.

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