Chapitre 5 - Vic

Ça fait maintenant une semaine que nous essayons de déchiffrer les notes de Richard, le père de Luna et nous ne sommes pas plus avancés.

Aujourd'hui, nous sommes lundi et, comme tous les jours depuis le lendemain de la rentrée, nous allons nous retrouver au CDI pour pour nous échiner sur cet alphabet grec illisible - sans succès, j'en ai peur. Mais moins il semble y avoir d'espoir, plus les filles s'accrochent. Aucune des trois n'est résolue à abandonner. Quant à Dan et moi, je crois qu'on aurait laisser tomber depuis longtemps sans Marion pour nous invectiver à tout bout de champ et Camille pour nous exhorter à la patience.

Ce qui est assez ironique puisque ma sœur n'est pas vraiment du genre patiente mais plutôt... survoltée, rieuse - moqueuse -, excitée, inattentive, pétillante, bref tout le contraire de sage et disciplinée.

Quand on entend le crissement des roues de deux vélos suivis d'un concerto pour sonnettes désaccordées, elle se précipite vers la porte pendant que j'enfourne à la va-vite une demi-dizaine de cahiers dans mon sac. Ils sont arrivés en avance, aujourd'hui, mais Camille est toujours prête dix minutes avant, à guetter leur arrivée à la fenêtre, et ce serait à cause de mon meilleur ami que ça ne m'étonnerai pas...

Ils me crient de me dépêcher, mettant un terme à mes réflexions. J'enfile mes baskets et enfourche mon vélo. Au moment où je m'apprête à rejoindre Dan à l'avant, Camille me dépasse. C'est peut-être égoïste de ma part, mais j'espère vraiment qu'il n'est pas amoureux d'elle, parce que je n'ai franchement pas envie que mon meilleur ami passe tout son temps avec ma jumelle.

On freine devant chez Marion. Aussitôt, Camille et Luna se précipitent vers notre amie à tresses multicolores pour leur petit rituel à toute les trois : elles se font la bise, puis un câlin interminable, avant de se poser les questions tout aussi habituelles :

- Ça va ?

- Ça va, et toi ?

- Très bien ! Et toi Camille ? 

- Super ! Vous avez bien dormi ?

- C'est drôle que tu demande ça... disent en même temps Marion et Luna.

Tiens ! Cette réponse ne fait pas partie de la "cérémonie"...

- Toi d'abord, lance Marion à Luna.

- Ok. En fait, depuis plusieurs nuits, je fais tout le temps le même rêve...

- Et c'est quoi ? je demande fiévreusement. 

D'ordinaire je ne me mêle pas de leurs discussions matinales mais je suis saisi d'un pressentiment.

- Il y a... une biche. Argentée. Elle est dans une clairière - c'est la nuit - et elle me dit quelque chose que je ne comprends pas. Elle le répète encore et encore, et en même temps elle commence à disparaître... Au moment où elle va définitivement s'évanouir dans l'air, je la comprends et elle me dit...

- « Ramène-moi mon pendentif », je souffle, avant de m'apercevoir que je ne suis pas le seul à l'avoir murmuré.

- Vous aussi ?

Encore une fois, on a parlé tous ensemble.

- Alors là...

- C'est dingue. Complètement dingue.

- Mais...

- C'est trop bizarre.

- Attendez, alors...

- Incroyable.

- Vous pensez que ça a un rapport avec "le mystère du pendentif de bronze qui brillait dans le noir" ? je demande en mimant les crochets avec mes doigts.

- Vic, soupire Camille.

Lasse de m'avoir sur le dos à longueur de journée ? Non, à peine !

- Cette formule est ridiculement longue, me reproche-t-elle.

- Eh bien maintenant on dira le mystère du PdBqBdlN !

- C'est encore pire, observe Marion alors que Camille lève au ciel des yeux exaspérés.

Luna, elle, esquisse un sourire tendu. J'ai l'impression qu'elle est encore plus touchée que nous par ces rêves.

- Pour répondre à ta question, Vic, j'ai du mal à envisager que les deux ne soient pas liés, dit-elle. 

- Et je fais ce rêve depuis que tu nous as montré ce pendentif, ajoute Dan.

- A ce stade, ce n'est certainement plus une coïncidence...

- Mais alors qui est le cerf à qui on doit rendre le pendentif ? je demande.

- La biche, Vic, la biche, me corrige Luna pensivement.

Elle a le front plissé (signe d'intense réflexion).

- Je sens qu'il y a un rapport évident mais...

- Tu vois un rapport évident ? la coupe Marion, incrédule.

C'est alors que je jette un coup d'œil presque machinal à ma montre, oubliée jusque là. 8h12.

- Oh-oh... On commençait bien à huit heures ?

On échange des regards tendus.

- Mais qu'est-ce qu'on attend ? lance soudain Marion, brisant notre torpeur. Vite !

On repart à toute allure, prenant toutes sortes de raccourcis plus ou moins inutiles. Presque un quart d'heure de retard... Ça va chauffer !

- Quelle excuse on va bien pouvoir inventer ? nous crie Luna dans le vent.

- Tais toi et pédale ! lui réplique Marion.

Arrivés devant le collège, on pile net dans un horrible crissement de freins que j'entends bien trop souvent à mon goût.

Alors que nous courons comme des dératés vers notre salle de mathématiques, toutes les lumières du couloir s'allument d'un coup et nous ralentissons, surpris par ce changement soudain. Un coup d'œil à la fenêtre du couloir nous apprends que dehors, le ciel est devenu d'un noir d'encre.

- A votre avis, c'est normal, ça ? demande ma sœur.

On s'approche tous les cinq de la vitre, oubliant l'horloge pour la deuxième fois. A l'extérieur, des rafales de vent secouent les platanes de la cour et tous les lampadaires sont allumés.

- On dirait que la nuit est tombée, souffle Dan, impressionné.

- A huit heure du matin ? relève Marion, sceptique.

A ma gauche, Camille frissonne. Je n'en mène pas large non plus mais je ne peux résister à mon impulsion de jumeau extrêmement agaçant et je la taquine. Elle me foudroie du regard, et son regard noisette m'apparaît soudain plus sombre.

Là, je suis allé trop loin, alors je me tais.

- Il n'y a pas un nuage, observe Luna.

Elle se penche jusqu'à coller son front à la paroi de verre qui nous sépare de l'extérieur. En m'écartant pour la laisser regarder, je remarque une lueur qui traverse le tissu de la poche arrière de son sac.

- Tu as une luciole dans ton cartable ? je plaisante.

- Quoi ? 

- Regarde !

Surprise, elle tire la fermeture éclair de son sac à dos et en sort le pendentif, plus brillant que jamais.

- Alors ça ! s'exclame-t-elle, médusée.

Camille éclate d'un rire incrédule.

- Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? lui demandé-je.

- Je ne sais pas, la situation ! On vient de découvrir qu'on fait tous le même rêve depuis sept nuits, là le soleil s'est éteint et on découvre que ce - cet objet, qui est la cause de tout, brille de plus en plus... Ça n'a aucun sens !

Le soleil s'est éteint. Les mots de ma sœur me percutent de plein fouet et je saisis vivement mon téléphone. Je fais défiler les pages à toute allure et tombe enfin sur les informations.

- Une éclipse solaire, murmure Dan qui a lu par-dessus mon épaule. Voilà qui explique bien des choses...

- Non ! contredit Luna qui réfléchit intensément. C'est super rare ! Tu ne crois pas que les astrologues l'auraient prévu  depuis longtemps si il devait y avoir un tel événement aujourd'hui ? Crois-moi, on  en aurait entendu parler !

Je la crois entièrement. Luna, férue d'astronomie, n'aurait jamais laissé passer une info pareille.

- Les spécialistes sont pris au dépourvu... continue de lire mon meilleur ami. Un événement inattendu... 

- C'est dingue, conclut Camille. Et cette pierre qui continue de rayonner !

- Au fait, c'est quoi la différence entre éclipse solaire et lunaire ? s'enquiers Marion.

Je me tourne vers notre spécialiste mais elle est plongée dans ses pensées et personne n'a le cœur d'interrompre ses réflexions alors je me replonge dans l'article.

- Solaire c'est quand le soleil est caché par la lune et...

Je ne peux pas finir ma phrase que Luna bondit comme si elle avait été électrocutée.

- Qu'est-ce que tu as dit ?

- Le soleil est caché par la lune, je répète.

- C'est ça ! s'exclame-t-elle. C'est ça !

- Ça quoi ?

- La Lune. Les sept nuits. La biche. Lundi. Le grec.

- Si quelqu'un comprends quelque chose, grimace Marion.

- Attends, laisse-la finir, fait Dan, intrigué.

Intrigué nous le sommes tous, pendus aux lèvre de notre amie qui semble enfin avoir résolu le mystère, ou du moins une partie.

- Allez Luna, l'encourage Camille.

- Artémis, lâche cette dernière dans un souffle.

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