Chapitre 24 - Camille
Marion a l'air détruite.
L'une de mes meilleures amies est détruite.
L'une de mes meilleures amies a failli mourir aujourd'hui.
L'une de mes meilleures amies a failli se fracasser sur des rochers aujourd'hui.
Et maintenant elle a l'air détruite.
Elle a l'air détruite et qu'est-ce que je peux faire, moi ?
Je suis incapable de porter ce poids avec elle, de la consoler, de la protéger, de la réparer. Incapable de porter ce poids avec elle.
Elle n'a rien dit à Maddie et Paul. Elle pensait qu'il serait mieux d'en discuter avant, et ça a l'avantage de nous laisser le choix, de laisser le choix à Luna. Mais lui forcer la main lui aurait probablement simplifié la tâche.
Je ne sais pas trop si il vaudrait mieux qu'ils sachent ou pas. D'un côté cela simplifierait beaucoup les choses, mais de l'autre que se passera-t-il si ils ne nous croient pas ? Mais bon, ce sont Maddie et Paul, pas mes parents à moi. Il y a plus de chance qu'ils prêtent attention à ce que Luna leur dit.
En tout cas, comme Marion n'a rien expliqué ils sont convaincus que Marion a tenté de mettre fin à ses jours. Ils risquent de nous surveiller deux fois plus si l'on ne fait rien. Elle a réussi à les persuader que tout allait bien, mais il ne laisseront pas quelque chose comme ça arriver à nouveau.
Nous débarquons près de Delphes en fin d'après-midi. D'ici une à deux heures, le soleil sera couché, mais évidemment comme le voyage est extrêmement bien prévu, les organisateurs ont réservé la dernière visite de la journée. Actuellement, la visite d'un site antique en fin de journée et jusqu'à la tombée de la nuit est vraiment la dernière chose dont j'ai envie. Même si par miracle rien ne s'y produit, je suis sûre d'y avoir la pire frousse de ma vie. J'imagine déjà les ombres de colonnes en ruine s'étirer pour nous recouvrir...
Stop. On respire... voilà. Ce voyage est tellement angoissant, moins j'y pense, mieux je me porte.
Face à ses parents adoptifs, Luna tente de faire preuve de son enthousiasme habituel. Après tout, c'est la première fois que nous posons les pieds sur la Grèce continentale. Et puis, il s'agit quand même de visiter le temple d'Apollon !
Le jumeau d'Artémis, me souffle mon cerveau dans un écho des paroles de Luna. Fantastique, voilà qui est extrêmement rassurant, c'est chouette de s'apercevoir que toutes les étapes de notre voyage en Méditerranée ne sont pas du tout reliées entre elles. Je hais ces « coïncidences ». Plus il y en a, moins c'est bon pour nous de toute façon.
Histoire d'être prêts - au moins un peu - mentalement, Luna nous a fait un point sur ce qu'elle savait du lieu. En gros, il y vivait un serpent géant monstrueux appelé Python, qu'Apollon parvint à vaincre pour faire de cet endroit le temple où sa prêtresse en chef recevrait ses prophéties. Apollon, au passage le dieu du soleil, de la médecine, de la musique, des prophéties, et de tous pleins d'autres trucs. Sa grande prêtresse est appelée « Pythie » en référence au serpent. C'est aussi l'endroit où une pierre marque selon les croyances le centre du monde. La petite histoire est que pour déterminer le centre de la Terre, Zeus aurait lâché deux aigles des extrémités du monde, qui en volant droit, se seraient croisés à Delphes. Il faudra songer à prévenir les platistes, ça leur fera un argument en béton de plus.
Bref, tout ça pour se rappeler que dans ce charmant endroit nous risquons de faire la rencontre au choix : de deux deux aigles (dangereux si il sont affamés ou si Zeus nous déteste), d'une vieille droguée, ou d'un monstre serpent, et là on est vraiment mal.
Le positif ? Python est censé être mort - tout comme Nausicaa haha... ha... - et Apollon est censé être du côté de sa sœur quoi qu'il arrive donc logiquement ne pas nous attaquer sinon elle n'aura jamais son pendentif.
A moins que lui aussi ne soit empêché par une autre divinité comme c'est apparemment le cas pour Artémis puisqu'elle ne peut pas récupérer elle-même son propre pendentif. Dans ce cas, Python en a peut-être profité pour ressusciter sous forme de mythe ou je ne sais pas trop quoi et on en revient au fait qu'on est vraiment dans le pétrin. Si on se retrouve face à une créature pareille, c'est la mort assurée.
Marion prend ma main le long du chemin qui mène au sanctuaire et je souris un peu. Même si nous marchons peut-être vers la fin, nous restons plus unis que jamais, ensemble pour affronter ce qui nous tombera dessus. Combien de fois ai-je cru la perdre ? Bien trop. Au moins à cet instant nous sommes tous là. Si je pouvais les protéger tous, je le ferais, mais j'en suis incapable et il faut dire que leur présence me donne du courage.
Je serre très fort la main de Marion.
- Je veux vivre, je lui souffle.
- Moi aussi.
Et ça sonne comme une promesse.
Durant toute la visite, je ne peux m'empêcher de sursauter au moindre bruit. J'ai constamment l'impression d'entendre quelque chose glisser dans les feuilles, ou un battement d'aile dans le ciel. La luminosité décroissante n'aide pas. Autour de moi, Vic et Marion ne sont pas mieux, et Luna donne juste l'impression d'être une boule de stress ambulante. Dan, plus réservé comme toujours, essuie ses mains moites sur son pantalon toutes les deux minutes.
Malgré notre panique commune, personne ne dit rien. Tels des condamnés prêts à passer à l'échafaud à tout moment, notre solidarité se mesure à notre silence. Avec des mines de déterrés, nous faisons semblant d'écouter le guide.
C'est là que je réalise que nous aurions très bien pu ne pas descendre du bateau. Conscients des risques de cet endroit, nous pouvions facilement prétendre que Marion ne se sentait pas la force de visiter le site, ou n'importe quelle autre excuse à vrai dire. Mais non. Nous avons pris la décision de venir. Comme si c'était évident. Ou bien alors... peut-on commencer à croire sérieusement au destin ?
Un sifflement perce le ciel.
Je sens la main de Marion se crisper dans la mienne.
C'était infime. Je ne connais pas très bien le cri d'un aigle mais de ce que j'en sais ça pourrait très bien en être un. Ou juste le vent. Je deviens folle. Le jour baisse, on voit déjà les étoiles.
Soudain, Vic se redresse. Il a entendu quelque chose, c'est sûr, mais qu-
Je perçois un bruit sourd. Puis quelques graviers qui dégringolent, comme si quelque chose traînait, comme si quelque chose... rampait ? Dans ma tête, un seul nom : Python.
Brusquement Luna se tourne vers nous.
- Il faut qu'on s'éloigne.
- C'est inutile, Luna, commence Dan. On n'aura jamais le...
- C'est nous qu'il cherche. Il faut s'éloigner des adultes.
Il déglutit.
- Ok.
Alors on s'écarte, d'abord doucement, discrètement, puis dès qu'ils ne nous remarquent plus nous nous mettons à courir le plus vite possible en sautant par dessus les pierres de Delphes. Le terrain est en pente, l'obscurité n'aide pas, je fais de mon possible pour ne pas ralentir. Si je tombe, c'est fini.
- Stop, ordonne soudain Marion. On est tous d'accord sur le fait qu'il nous rattrapera quoi qu'on fasse, alors hors de question de me déchirer les poumons en plus.
- Vic qu'est-ce que tu fabriques ? demandé-je brusquement à mon frère qui brandit un bâton.
- Je vais me battre. Je ne sais pas vous, mais je ne compte pas me laisser bouffer sans rien faire.
La détermination dans son regard m'effraie et coupe net le sourire ironique que je sentais apparaître sur mon visage.
Très pâle, Luna pince les lèvres puis acquiesce et se munit à son tour d'une branche. Nous l'imitons en silence. Comme prévu le bruit se rapproche. Instinctivement, nous nous regroupons pour faire face au danger.
Je frissonne.
Ce sont donc mes derniers instants ?
Je suis paralysée. Mes yeux sondent la semi-obscurité sans apercevoir d'autre mouvement que les branches de pin qui se balancent dans le vent.
- Le soleil s'est couché, souffle Luna. Quoi qu'il arrive, Apollon ne le verra pas.
- C'est une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Grimacé-je.
- Plutôt mauvaise, mais je ne peux pas en être sûre.
Lentement les bruits se font de plus en plus présents mais je ne vois toujours rien. Quelle taille est censé faire Python déjà ? Il me semble qu'on devrait le voir, maintenant. Il peut se rendre invisible ?
Et puis soudain un éclair doré illumine les alentours.
- Enfin je vous trouve, lance une voix rauque.
Une femme semble soudain se matérialiser dans la source de lumière, parée d'or et de bijoux resplendissants. Son visage est magnif- un clignement d'œil et la femme m'apparaît soudain en squelette ambulant, mais toujours vêtu de son chiton chatoyant. Un autre et son regard saisissant me transperce à nouveau.
Mes mains se resserrent sur ma branche.
Quand elle avance en claudiquant vers nous, tantôt momifiée, tantôt sublime, le son de sa jambe qui traîne sur le sol est comme un glissement sur les cailloux.
Telle une illusion, elle change, il est impossible de fixer un détail de son apparence car nos yeux n'ont pas le temps de s'habituer à ce qu'ils voient que déjà ses yeux dorés se transforment en orbites vides, que ses mains blanches deviennent de fins os articulés.
Des fumées à l'odeur étrange la suivent à chacun de ses pas.
- Le dieu a un message pour vous, énonce-t-elle de sa voix gutturale.
Ce n'est pas le serpent géant.
Ce n'est pas un aigle, ni deux.
C'est l'oracle de Delphes.
Elle ouvre grand les bras vers le ciel et des plis de sa tunique sortent des rubans de fumée qui l'enveloppent en tourbillonnant. Elle inspire avec une mine extatique, se laisse recouvrir par les fumées qui la dissimulent bientôt presque entièrement.
Mes yeux me piquent, à côté de moi Vic s'étrangle dans une quinte de toux.
Deux points lumineux à l'endroit de ses yeux traversent les nimbes de brume qui l'entourent et soudain sa voix rententit.
- La Lune est couverte par l'éclipse, vous seuls pouvez la faire briller à nouveau. Par les liens du sang l'un est enchaîné, nul autre ne peut les briser. Il faut vous dépêcher avant que la nuit ne tombe sur le monde.
Sa phrase se finit en une toux grasse qui m'écorche les oreilles et me donne envie de me racler la gorge. La fumée se dissipe et la prophétesse semble s'évaporer avec elle.
- Attendez ! crie Luna en se couvrant la bouche pour ne pas respirer de trop près les vapeurs odorantes. Qui en veut à Artémis ?
Dans un rire strident, la Pythie lance :
- Vous ne cherchez pas au bon endroit !
Puis elle renverse la tête en arrière, ses yeux se révulsent et elle disparaît. Nous nous retrouvons dans le noir.
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