Il est bientôt 16h lorsque les voix commencent. J'étais en train de regarder un tuto de guitare, posé sur un des transats, au soleil, quand je les aies entendues. Nombreuses, trop pour qu'on puisse dire combien, les voix éthérées paraissent sortir de nulle part et m'envelopper doucement pour me bercer. Elles résonnent de partout, amplifiées par des harmonies, puis l'une d'entre elles semble prendre le lead et s'élever dans une mélodie claire et pure.
Soudain très fatigué, j'ai vaguement conscience que ma vision
s'obscurcit
et
puis
- Eh petite, qu'est-ce que tu fabriques ? Descends de là ! Les gars vite, venez !
Je sursaute lorsque j'entends ces phrases, comme si l'on venait de me tirer du sommeil. J'ouvre les yeux, et la première chose que je vois, c'est Marion, montée sur la rambarde de sécurité, les yeux fixés droit sur l'eau sous elle. Ma bouche s'ouvre de stupeur, mon cœur se met à battre violemment dans ma cage thoracique, mais qu'est-ce qu'elle fabrique ? Et... qu'est-ce que je fais debout, mains tendues devant moi ? Les harmonies reviennent soudain à l'attaque mais avant que la voix ne reprenne sa mélodie envoûtante, je hurle à m'en déchirer la gorge et je tombe à terre, mains sur les oreilles.
Marion tressaute et tourne légèrement la tête dans ma direction, ce qui manque de la déséquilibrer mais la penche aussitôt à nouveau vers le vide, vers sa chute, jusqu'au moment où trois matelots accourent et la portent précautionneusement vers le pont. L'un d'eux s'approche de moi. Les voix se sont éteintes.
- Gamin ? C'est ta pote, non ? Ecoute, je sais que t'as eu peur pour elle mais relève toi, c'est bon elle est hors de danger t'sais. Tu ferais bien d'aller la voir un ami c'est toujours mieux que trois inconnus dans ce genre de situation.
Je voudrais bien mais je suis tétanisé, incapable de me lever.
Je regarde le skipper, perdu. Il doit sûrement penser que je suis un idiot qui ne comprends pas ce qu'il raconte.
- E-Elle...
- Ta copine va bien maintenant. Elle est en sécurité.
Il me tend une main pour me relever, que j'accepte aussitôt. Un peu titubant, je vais vers Marion qui tremble comme pas possible. Les larmes coulent sur son visage, elle claque des dents, elle est clairement en pleine crise de panique. Quelqu'un lui a mis une couverture sur les épaules et elle s'est enroulée dedans, recroquevillée et ses poings serrent convulsivement le tissu.
- E-e-elles... j'ent-t-tends...
Et les larmes lui nouent la gorge à nouveau.
Je ne dis rien – parce que je suis dans l'incapacité de de prononcer la moindre parole – et m'assoies tout près d'elle, les genoux ramenés contre moi. C'est à ce moment, je crois, que je prends conscience que je ne l'ai jamais vue si faible, si vulnérable.
Je ne l'ai jamais vu pleurer autant, pleurer de peur ou de tristesse. A peine ai-je surpris son regard humide après que Camille m'ait fait la déclaration la plus étrange de ma vie. Bien sûr que je savais qu'elle n'était pas insensible, mais elle n'avais jamais exposé ainsi ce qu'elle ressentait. Ça me fait bizarre, comme si le spectacle de toute cette eau sur ses joues était impudique. Comme si c'était quelque chose que je n'aurais pas dû voir. Jamais.
- C'est fini, dis-je maladroitement d'une voix cassée à cause de mon cri pour essayer de lui faire reprendre contact avec la réalité.
Les trois marins ont prévenus Maddie, qui débarque, Luna, Camille et Vic sur les talons.
- Dan, Marion ! s'écrie Camille lorsqu'elle nous voit ainsi recroquevillés l'un près de l'autre, et elle s'élance vers nous.
Aussitôt Marion sursaute et m'agrippe le bras.
- C'est la voix, murmure-t-elle, les yeux écarquillés de terreur.
- Non, non, calme-toi, c'est juste Camille, elle s'inquiète pour toi, elle arrive, ne t'inquiète pas c'est fini.
J'ai répondu machinalement mais je reste bloqué sur ses paroles. Camille ? Elle a entendu la voix de Camille ? Je l'aurai pourtant reconnue si j'avais entendu la même chose... Elle a entendu Camille. Ça veut dire que mes voix étaient différentes ?
Je perçois au loin l'un des matelots qui explique à Maddie :
- La zone est particulièrement rocheuse, si elle était tombée, compte tenu du sillon de notre bateau elle n'aurait eu presque aucune chance de survie.
Je me sens nauséeux. Alors c'est ça, les voix nous poussaient à nous jeter à l'eau, à mourir. Et nous étions prêts à leur obéir ? Obéir à des voix qui ont pris le contrôle de nous ? Ou bien étions-nous déjà « propres à être manipulés » ? Peut-être qu'elles ont profité d'une faiblesse... Après tout, Marion a entendu Camille. Seulement ça ne peut pas être la seule chose, elle ne se jetterait pas à l'eau juste parce que la voix de Camille l'appelle, c'est absurde. Et moi, je ne veux pas mourir.
J'en suis sûr, ma vie est belle, j'ai des amis, je m'entends bien avec mes parents, alors oui j'ai parfois l'impression de me traîner une espèce de vague mélancolie mais il n'y a pas de raison, je veux dire, je suis heureux merde ! Alors pourquoi j'ai l'impression que c'est de ma faute de ne pas pu résisté au premier truc surnaturel qui me demandait de me noyer ? C'est normal de me sentir honteux ? Comme si je n'avais pas fait tout ce qui était en mon pouvoir pour rester en vie ? Ça ne fait aucun sens.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Camille se penche vers Marion, qui tremble encore un peu. Maddie, Luna et Vic arrivent aussitôt à sa suite.
- Les enfants, dit la mère de Luna, je sais que vous vous inquiétez énormément mais je pense que Marion est encore sous le choc. Laissez moi lui parler un peu, d'autant qu'il va falloir prévenir ses parents.
Je n'aime pas l'idée de la laisser seule après ça, elle sera avec Maddie mais elle ne peut pas vraiment lui dire ce qui s'est passé. Ou bien au contraire elle compte tout lui raconter ? Dans tous les cas, il vaudrait mieux que nous restions...
Mais je regarde Marion et elle me fait signe de partir alors je me relève lentement et prend l'épaule de Luna qui ne peut détacher ses yeux de Marion roulée en boule dans sa couverture. Vic et moi échangeons un bref regard, l'inquiétude brille dans ses yeux mais il serre fort la main de Camille et tous deux se détournent lentement.
Quand j'explique tout aux trois autres, quelques minutes plus tard, Luna bondit.
- Les sirènes !
- Quoi, tu penses vraiment que les voix de demis-poissons auraient poussé Marion à se jeter par-dessus bord ? s'étonne Vic.
Bien évidemment j'ai omis de mentionner que Marion m'avait confié avoir reconnu la voix de Camille.
- Pas des demis-poissons. Dans la mythologie grecque, les sirènes sont des sortes de harpies : tête et buste de femme mais corps et ailes d'oiseaux.
- Sans vouloir te vexer, Luna, ça ne change rien au fait que j'imagine difficilement Marion plonger avec joie dans les écueils après les avoir entendues.
- Tu ne peux pas comprendre, j'interviens. C'était quelque chose d'irrésistible.
- Et justement, renchérit Luna, le danger des sirènes, c'est que leur chant est si beau qu'il attire quiconque l'entend à dévier sa route jusqu'à leurs rochers, où elles peuvent alors le dévorer. Encore une fois, l'un de vous a failli mourir... je ne sais plus quoi faire.
- Eh, Lu'. On ne peut rien faire. Ce n'est pas de ta faute, ce qui nous arrive.
- La vraie question, c'est qu'est-ce qui va se passer maintenant, énonce lentement Camille. Au sujet des adultes, je veux dire.
- Tout dépend de ce que Marion va leur dire.
Luna pousse un lourd soupir.
- Tu ne penses pas qu'il faudrait les mettre au courant ? suggéré-je. Au moins Maddie et Paul. C'est quand même eux qui nous ont invités, et on est constamment en danger depuis qu'on est sur ce bateau.
- Si, probablement, admet Luna. Simplement... je me sens déjà tellement responsable, d'après ce que nous a expliqué Télémaque c'est parce qu'on s'était confronté à la mythologie que nous ça nous arrive, si je n'avais pas trouvé le pendentif on n'en serait pas là. Il appartenait à mes parents, et je me sens mal de mêler Maddie et Paul à tout ça. Si on leur en parle, soit ils ne nous croiront pas, soit ils se retrouveront eux aussi en danger... Et ils ne sauront pas forcément mieux que nous quoi faire.
- Je comprends, murmure Camille.
- Alors on attend que Marion nous rejoigne, et on avise ?
- Je suis là.
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