Chapitre 13 : Vic

Luna a donc fini de nous bombarder d'informations. Elle semble reprendre du poil de la bête, même si ses cernes sont toujours là. Parler de Mythologie parvient à lui faire oublier les cauchemars, alors tout le monde a fait l'effort de l'écouter sans râler (même Marion, ô miracle !)

Nous restons sur le pont du bateau pour respirer l'air marin. J'ai une soudaine impression de tranquillité et je me rends compte que, avec le tourbillon de la mort, l'haleine quelque peu chargée des six gueules grandes ouvertes d'un monstre puis la visite guidée par Luna... C'est la première fois de la journée que je peux réellement me poser.

Mes amis ont l'air aussi éprouvés que moi : Marion râle encore plus que d'habitude, Dan grimace à chaque pas, une main crispée sur sa blessure et ma sœur... Ma sœur a toujours du sel dans les cheveux, de quand elle a failli passer par-dessus bord.

Je plaisante avec ça, mais j'ai réellement eu peur. Alors qu'elle était à un cheveu de lâcher prise et de se noyer, Luna-Artémis pétait les plombs, Dan s'évanouissait dans l'une des gueules de Scylla et Marion était tétanisée. Heureusement que je ne la quitte jamais longtemps du regard...

La vérité c'est que je ne supporterais pas de la perdre, cette jumelle si agaçante.

J'ai peur. Et c'est un euphémisme. Je suis terrorisé. On a été confronté à Charybde et Scylla, ce qui signifie que maintenant tout est possible. A présent, impossible de continuer notre vie tranquillement avec la conscience que les dieux grecs existent. Non, depuis ce matin et jusqu'à la fin de nos jours, il nous faudra vivre dans la crainte du prochain monstre qui croisera notre route. Drakon, chimère, qui sera le suivant ?

Brusquement ma vision s'obscurcit. Pour la cinquantième fois au moins, j'ai une vision du temple d'Éphèse. Je cligne fort des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaissent.

- Eh ! m'interpelle Dan à mon côté. Ça va ?

- Oh, la routine, réponds-je, affable. Après avoir affronté un monstre dans la matinée, j'ai une petite vision, ça m'arrive couramment ne t'inquiète pas.

Il a l'air rassuré par mon ironie. Je reprends :

- Et toi ? Tes côtes ?

- Engourdies mais la magie de la déesse fonctionne plutôt bien, ma foi.

- En voilà une bonne nouvelle ! Cela est encourageant, tu en conviendras !

- J'en conviens, j'en conviens, opine Dan.

Ces échanges, c'est notre routine à nous. Une connivence entre nous. Une façon de se montrer que tout va bien.

- Excusez-moi d'interrompre cette conversation passionnante, intervient Marion qui ne donne pas du tout l'impression de s'excuser, mais il n'y aurait pas un - hum - léger - hum hum - assombrissement du ciel ? Ou alors c'est encore une de ces visions de malheur ?

- Si c'est le cas c'est une vision commune, murmure Camille.

Elle a a peine parlé depuis le combat contre l'hydre. Le choc, sans doute, doublé de la vision du corps ensanglanté de Dan, recouvert de salive empoisonnée qui, avouons le, n'était pas joli à voir.

Instinctivement, je me rapproche d'elle.

- Encore une éclipse, déclare Luna. D'après mon site d'astronomie, la dernière - imprévue et causée par un phénomène encore indéterminé, probablement l'apparition d'un nouveau corps céleste dans le système solaire - a déréglé tous les calculs, et installé un nouveau « cycle » d'éclipses. Il y en aura maintenant beaucoup plus fréquemment, jusqu'à une ou deux fois par semaine !

- Eh ben... sifflé-je. On n'est pas sorti de l'auberge, hein.

- Je ne te le fais pas dire, renchérit Dan avec un sourire en coin.

- C'est drôle j'ai l'impression que plus les jours passent, moins ça va, pas vous ? grimace Marion.

- T'as raison, soupire Camille.

Ça ne lui ressemble définitivement pas d'être si défaitiste. Je crains que ce voyage n'affecte sérieusement sa bonne humeur quotidienne. Je ne le lui avouerai pour rien au monde, mais ça me manquerait de ne plus voir ses sourires aussi souvent.

Je prends le parti de changer de sujet.

- Notre prochaine destination, c'est Naxos, c'est ça ?

- Exactement ! On ne devrait pas tarder à arriver d'ailleurs, Naxos n'est pas très loin de Messine.

- Parfait. Et il y a quoi exactement, là-bas ?

- Je crois qu'il est prévu qu'on visite les ruines du site antique, la ville en elle-même n'a rien de particulier.

Et en effet nous arrivons peu après. Le soleil est finalement réapparu, et le temps est rayonnant. Le ciel, dépourvu du moindre nuage, est d'un bleu qui tire vers le blanc. On peut voir au loin l'Etna, qui semble plutôt calme aujourd'hui. Cela dit, j'imagine qu'avec cette distance, nous mettions du temps à apercevoir les fumées.

Je ne sais pas si vous avez déjà connu le bonheur de manger un sandwich poulet-mayo, assis sur des pierres de plusieurs milliers d'années à l'ombre des pins, mais je peux vous dire que c'est particulièrement agréable. La température pourrait être suffocante, et elle le serait sans doute, si l'éclipse de ce matin n'avait pas rafraîchi l'atmosphère juste comme il faut.

Bref, si ces fichues cigales pouvaient la boucler deux minutes, l'instant serait parfait.

Mais bien évidemment, ces insectes de malheur crissent dans nos oreilles à n'en plus finir. Si certains aiment ce chant qui « rappelle l'été », personnellement il me tape sur le système.

- C'est bon, Vic, t'as fini de ruminer sur les cigales ?

- Quand je régnerai sur cette planète, je ferai exterminer ces insupportables bestioles.

- Quand tu régneras sur cette planète, le monde courra à sa perte, rétorque Camille qui retrouve peu à peu sa bonne humeur.

Ça y est, elle semble parvenir à écarter les évènements de la matinée de sa mémoire.

- C'est clair, s'esclaffe Marion.

- Je ne te permets pas, répliqué-je d'un ton hautain. Et d'abord, appelle moi « Seigneur Suprême » quand tu t'adresses à moi.

- Heureusement, je ne t'avais pas demandé la permission, me nargue-t-elle.

Je poursuivrai bien cette discussion mais Maddie nous appelle pour nous tirer de l'ombre agréable des conifères : la visite va reprendre.

Alors que nous traversons de part et d'autre le site, les paroles de la guide résonnent en moi. A l'en croire, cet endroit est considéré comme la colonie grecque la plus ancienne en Sicile. Repenser aux siècles que ces bâtiments ont traversés, ça me donne le vertige. J'ai toujours adoré l'histoire. Le Moyen-Âge, surtout, me passionne depuis tout petit, avec sa féodalité et ses codes qui semblaient immuables. Mais l'Antiquité remonte à bien plus loin encore, tellement plus loin que c'en devient vertigineux.

Je me sens partir dans mes réflexions malsaines, à savoir combien de personnes ses sont tenues exactement là ou je me tiens ou combien de corps sont enterrés sous mes pieds, alors je prends une grande inspiration et me force à penser à autre chose en admirant le paysage.

Du temple d'Apollon, il ne reste que les fondations. Comme pour la plupart des autres ruines d'ailleurs. Alors, il faut imaginer. Comment étaient les colonnes ? De quelle taille ? Qu'y avait-il de sculpté sur le fronton ?

Tandis que je fixe les vestiges au sol, une image se construit peu à peu dans mon esprit. Si le temple était comme je me le figure, il devait être réellement splendide.

A ma droite, Marion vacille. J'ai à peine le temps d'esquisser un mouvement que déjà Camille la retient.

- Eh ! Qu'est-ce qui se passe ?

Marion reste interdite un instant avant de répondre :

- J'ai encore vu le temple. Celui d'Éphèse, à moitié effondré, là, à la place des ruines, grimace-t-elle en se tenant la tête et en désignant les pierres du temple d'Apollon.

- Artémis et Apollon sont jumeaux, il y a peut-être un message, suggère Luna.

- Si vous me dites qu'un autre dieu grec nous inflige une autre mission divine ou je ne sais quelle histoire abracadabrante, il peut aller au diable, menace Marion avec un air mauvais.

- Voyons, Marion, il n'y a pas de diable chez les grecs ! plaisanté-je.

- Vic c'est pas le moment ! rugit-elle au bord des larmes.

- T'inquiète pas Marion, ça va vite se terminer tout ça, la réconforte ma sœur.

- J'espère bien, répond-elle en tentant de masquer ses tremblements. Parce que je ne vais pas le supporter longtemps.

Elle marque une pause puis reprend :

- Franchement je ne sais pas comment vous faites pour prendre ça avec autant de détachement ! Dan a... - elle jette un œil prudent aux adultes avant de poursuivre moins fort - Dan a failli mourir ce matin à cause d'un truc horrible qui n'est pas censé exister et dont nous n'aurions d'ailleurs jamais admis l'existence avant la semaine dernière. Comment vous faites ?!? C'est grave ce qui s'est passé, et pourtant j'ai l'impression que vous évitez le sujet le plus possible comme pour dire que c'est normal, Vic tu plaisantes tout le temps mais... Il a failli crever sous nos yeux, merde !

- On sait, dit gravement Luna.

Je n'ose rien dire. Elle a raison.

- Honnêtement si je peux te donner un seul conseil, c'est d'éviter d'y penser, déclare Dan. Je suis le principal touché quand même, mais plus tu y réfléchis plus tu te perds dans l'absurdité de la situation.

- Facile à dire, rétorque Marion. Donc ton conseil c'est « prend les choses comme elles viennent, ne te casse pas la tête même si nos vies sont continuellement en jeu » ?

- J'ai pas dit ça !

- Dan n'a pas tord, tu sais, intervient ma sœur en posant une main sur son épaule. Oui c'est horrible et j'ai aussi failli y passer mais je ne pourrais pas tenir si j'y pensais tout le temps. Plus tu te repasses les images dans ta tête, pire c'est, et...

- Oh toi ça va ! crache Marion en la repoussant brutalement. Bien sûr que Dan a raison, et je suis stupide d'essayer de réfléchir à quelque chose qui nous dépasse complètement ! Mieux vaut se persuader que le danger n'existe pas !

Camille se décompose.

- Oh, pitié, ne fait pas cette tête ! C'est vrai non ? « Tout est au mieux dans le meilleur des mondes », n'est-ce pas ?

J'assiste à la scène, médusé. Ma sœur recule de deux pas puis fait volte face et s'éloigne brusquement. Je bondis aussitôt mais mon meilleur ami me retient fermement.

- C'est pas à toi d'y aller, Vic.

Il ponctue sa phrase d'un regard lourd vers Marion, qui a soudain l'air mortifiée.

- J'y vais, marmonne-t-elle.

- T'as intérêt à t'excuser, lancé-je.

Elle a blessé Camille et je n'aime pas ça du tout.

- Ouais, ouais, ça va !

- Ben alors ? nous interrompt Paul. Elles vont où les deux ?

- Discuter, répond simplement Luna. Ne t'inquiète pas papa, elles reviendront avant la fin de la visite.

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