Chapitre 7

Un mal de tête poignant m'empêcha de me lever tout à fait alors que des voix retentissaient autour de moi. Des images floues ne cessaient de tourner dans mon esprit, formant un tourbillon infernal qui n'aidait pas ma nausée grandissante.

Je me redressai tant bien que mal sur mes coudes, me demandant où je pouvais bien être cette fois. Deux visages familiers me firent alors prendre conscience que malheureusement, j'étais bien rentré chez moi.

-Nassim...

Je me frottai les yeux avant de reposer ma tête contre l'oreiller, fatigué. Je ne voulais pas subir un sermon. Pas encore.

-Écoutez, je suis vraiment désolé d'accord ? Je vous promets que ça ne se reproduira plus, croyez-moi, marmonnai-je d'une voix pas encore très réveillée. J'ai compris...

Mes deux sœurs se jetèrent un regard significatif avant de se lancer.

-Est-ce que tu sais comment tu es rentré ?

Je secouai la tête. Évidemment que non. Mais il était également évident que je n'étais pas rentré sur la pointe des pieds, en tout discrétion, fraîchement sorti du bus que je venais de prendre sagement.

-Tu es rentrée dans ma chambre vers 3h du matin. Tu es venu dans mon lit, pardon tombé sur mon lit, et tu m'as demandé pourquoi est-ce que les gens allaient dans des foyers, commença Alya.

J'avais fait ça ?

-Je voulais juste savoir, essayai-je de m'excuser.

-J'ai d'ailleurs eu la gentillesse de t'enlever la chose infâme, remplissant certainement la fonction de t-shirt en début de soirée, que tu portais, m'expliquait Farah en me désignant une boule au sol.

-Ce n'était pas par gentillesse que je t'ai laissé ma chambre, crois-moi, se crut obligée de rajouter Alya d'un air agacé.

Je grommelai dans mes mains. Pourquoi étais-je allé les réveiller ? Avais-je eu d'autres bonnes idées de ce type ?

-Tu as ensuite tenté de m'expliquer que tu devais y aller. Qu'on avait besoin de toi là-bas, continua-t-elle.

-Où ça ?

-Et bien, au foyer.

Il ne manquait plus que ça.

-Je vous le redis, je suis désolé pour tous les ennuis et les soucis que je vous ai causés. Désolé de t'avoir réveillé, squatté ta chambre et ennuyé avec mes bêtises Alya. Désolée pour ma non propreté Farah. Maintenant, est-ce que vous pourriez me laisser dormir encore un peu s'il vous plaît ? Je serai un gentil garçon, je resterai dans mon lit sans déranger personne s'il vous plaît, les implorai-je presque.

Les deux filles soupirèrent mais sortirent tout de même de la pièce, me laissant seul.

A mon tour de souffler. J'espérais que je n'étais en aucun cas allé au dit foyer.

Nous allions rapidement le savoir de toute façon.

-Nassim, tu es réveillé ?

-Oui oui Sali viens-là, m'exclamai-je de ma voix éraillée en ouvrant les bras, sans pour autant avoir le courage d'ouvrir les yeux.

Une petite plume m'enjamba avant de venir se coucher à moitié sur moi. Je me mis à caresser ses épais cheveux d'une main distraite tout en essayant de replonger dans un sommeil réparateur. Mais ma petite sœur ne l'entendait pas de cette oreille.

-Pourquoi tu n'étais pas là hier ?

Génial.

-J'étais avec Luke. Mais je suis là maintenant, c'est ce qui compte.

Je la sentis se relever en position assise.

-N'empêche que Alya et Farah elles sont fâchées contre toi.

-Je sais, on s'est déjà expliqué à ce sujet ne t'en fais pas, maugréai-je.

Elle se tut un instant, ce qui me décida finalement à ouvrir les yeux. Je ne peux alors retenir une exclamation de surprise. Je me redressai aussitôt, la renversant quelque peu au passage.

-Qu'est-ce que c'est que ça ?

Je voulus approcher ma main du large bleu qui ornait son épaule gauche, tournant au violet, mais elle se recula immédiatement.

-Touche pas !

-Salima je ne peux rien faire si tu ne me montres pas !

-Non !

Et elle sortit en courant de la chambre, cette chambre qui n'était même pas la mienne mais dans laquelle j'avais déjà causé plus de peine que je n'en aurais dû.

Je me levai donc avec difficulté et partis me chercher quelque chose à la cuisine. La journée promettait d'être longue. Je ne savais pas encore à quel point.

-Nass.

Je me retournais pour trouver Alya qui avait quitté l'air accusateur qu'elle arborait auparavant. Néanmoins, ses yeux tristes ne me permirent pas de m'en réjouir pour autant.

-Tu as vu ?

Je hochais la tête.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Alya se mordit la lèvre,

-Surtout n'en faisons pas toute une histoire. C'est fait maintenant.

-Alya ? La pressai-je.

Ma patience est extrêmement limitée ; je ne suis pas connu pour être la personne la plus calme et posée de ce monde. Je sentais bien que quelque chose n'allait pas ; je ne pouvais supporter plus longtemps le poids pesant qui venait de s'ajouter à l'atmosphère déjà peu conviviale qui régnait dans la pièce.

Elle commença par baisser la tête.

Puis la releva, me regarda et finit par lâcher.

-Cette nuit, lorsque tu es rentré dans notre chambre, tu es d'abord allé vers le lit de Salima.

Non.

-Tu as certainement voulu aller t'allonger à côté d'elle sans mal. Mais pour cela tu devais la déplacer légèrement. Tu lui as attrapé l'épaule et je pense que tu as dû serrer un peu trop fort...

Non.

-Mais Nass rappelle-toi de ce que je t'ai dit, elle ne t'en veut pas. Elle comprend que tu ne voulais pas la blesser.

- « la blesser », répétai-je.

Elle ne savait que dire.

Le monde semblait s'être stoppé net autour de moi, comme un arrêt sur image pour que le spectateur en mesure bien l'ampleur. Sauf que ma vie n'était pas un putain de film et malheureusement il m'était impossible de me dire simplement qu'on pouvait supprimer cette prise et la recommencer.

- Même toi tu le dis. Je l'ai « blessée ».

Une honte indescriptible s'était emparée de moi. Combien de fois m'étais-je disputé petit avec Alya et l'un de nous, voire les deux, avait fini avec des blessures de guerre ? Mais la situation était totalement différente ici. Je n'avais aucune excuse.

-Ce n'est rien de grave, tenta Alya d'une voix timide.

-Au contraire, ça l'est, la coupai-je sèchement.

Je pris une courte inspiration.

-Ok, je vais bien, tout va bien. Désolé, je te promets que cela n'arrivera plus, avançai-je en détachant bien chaque mot, comme un enfant en thérapie répétant les phrases que lui dicte le psychologue en espérant qu'il finisse par s'en convaincre. Laisse-moi la voir s'il te plaît.

-Ne t'accroche pas ainsi. Tu vas te faire du mal ; plus que ce que tu t'es déjà fait.

Je n'objectai point. J'étais celui en tort.

Connaissez vous cette conviction, que nous avons pour beaucoup d'entre nous, de ne jamais, au grand jamais, reproduire ce que nos parents font ou ont fait ?


*


Une heure plus tard, je me trouvais sur la glace, ma crosse de hockey à la main, essayant tant bien que mal de m'échauffer sans me faire vomir. Les entraînements du samedi sont souvent redoutables mais comment dire qu'après une longue soirée, ils ressemblent carrément à du suicide.

Je vis tout de suite à la tête de mon meilleur ami qu'il ne se trouvait pas dans un meilleur état que moi.

« -Alors ?

Luke ne répondit pas tout de suite.

-Et toi alors ? »

Je me contentai de lui sourire d'un air moqueur ; compris, les questions plus tard.

L'entraînement terminé, je retentais ma chance auprès de Luke dans les vestiaires : il savait sûrement mieux que moi ce que j'avais bien pu finir par faire la nuit dernière :

« -Bon, maintenant crache le morceau ; je sais que tu en meurs d'envie donc balance., lui lançai-je, essayant de prendre un air indifférent.

Le jeune homme soupira.

-Bah écoute, je ne suis pas restée longtemps après ton départ : Mélissa était crevée alors en parfait gentleman je l'ai amenée chez moi, expliqua-t-il d'une voix supérieure. Elle était sympa mais bon je ne sais pas si je vais...

Mais je ne l'écoutai déjà plus : j'étais parti avant Luke ?

-Attends, je suis parti avant toi ?

Luke éclata de rire.

-Wow tu devais en tenir une bonne pour ne pas te souvenir de ça.

-Arrête de te marrer et explique-moi, le rabrouai-je en le poussant.

-Tu n'arrêtais pas de demander à tout le monde où se trouvait le foyer et finalement tu as prétendu que tu te débrouillerais tout seul et tu es parti.

Et merde.

-Super, merci d'avoir essayé de m'arrêter en tout cas, raillai-je. Elle est belle l'amitié. »

Je pris mes affaires et sortis du vestiaire.

Je ne savais même pas pourquoi je m'énervais sur Luke ; le pauvre n'y était pour rien dans tout ça. Il aurait certes pu porter un œil un petit plus attentif à son pote partant seul, bourré, dans un endroit rempli de routes et de voitures, mais il n'est pas ma mère non plus. Je suis supposée pouvoir prendre soin de moi tout seul bon dieu.

Encore dans mes ruminations, je percutai de plein fouet une petite silhouette tenant des patins à glace blancs à la main, qui se dirigeait vers les vestiaires. Ces gamines du cours pour enfants ne peuvent-elles pas regarder devant elles ?

« -Je vois que tu n'es toujours pas prêt à t'excuser.

Je me figeai aussitôt. Cette voix fine comme un souffle de vent, cette ironie... Ce n'était pas un enfant.

Je ne pouvais lui faire face. Pas avant que je ne sache exactement ce que le génie que je suis avait pu faire hier soir. Néanmoins, j'étais trop poli pour ne rien dire. Mes bonnes manières finiront par me perdre.

Je me retournai à moitié :

-Je te prie de m'excuser pour cette bousculade on ne peut plus impolie, sortis-je avec toute la minauderie que je pouvais y glisser.

Je sentais les yeux glacés d'Angeline Glass fixés sur moi, pénétrant en mon for intérieur dans des endroits que je ne voulais surtout pas qu'elle visite.

-C'était déjà moins impoli que ton petit spectacle d'hier soir.

Au secours.

Je ne l'avais quand même pas réellement fait...

-Comment ça ? Demandai-je, la regardant dans les yeux à présent en essayant de prendre un air innocent.

Elle portait un pull bleu ciel bien trop large pour sa fine silhouette, ainsi qu'un leggings de sport noir. Ses longs cheveux pâles étaient ramenés en une tresse lâche qui lui tombait jusqu'à mi-hauteur du dos. Elle devait sûrement se rendre à l'entraînement.

Elle laissa échapper un petit rire :

-Ne t'en fais pas, la surveillante a particulièrement apprécié le moment où tu as essayé de rentrer en tapant à sa fenêtre et en l'appelant Angeline.

Je l'avais fait.

-Mais elle a encore plus adoré la façon dont tu lui as ensuite expliqué qu'elle avait raison dans ce qu'elle t'avait dit, mais que tu la détestais et donc qu'elle n'avait pas à avoir raison ; toute cette tirade accompagnée par une douce mélodie que tu essayais de faire avec ta bouteille de bière sur le mur du foyer.

Rectification : j'avais fait pire.

Que pouvais-je répondre à ça ? Je passai ma main dans mes cheveux bouclés en regardant autour de moi, espérant trouver une excuse, ou plus simplement une baguette magique qui me permettrait de disparaître à jamais de la surface de la Terre.

-Que dire : j'aime me faire remarquer, marmonnai-je d'un ton peu convaincant, même pour moi.

Nass, reprends-toi !

-Je ne pense pas que ce soit vrai, répondit-elle d'un ton calme.

-D'accord, bonne journée à toi, finis-je par marmonner, lassé de parler en énigme avec une énigme vivante.

Alors que je me tournai pour repartir, je sentis à nouveau le contact de cette petite main glacée et blanche, ressortant sur mon bras bronzé. J'eus soudainement l'impression que mon bras avait été plongé dans de l'eau glacial, me rendant incapable d'esquisser le moindre mouvement.

-Qu'est-ce que tu veux ?

La jeune fille semblait plus pâle et immatérielle que jamais. Elle sourit faiblement avant de sortir d'une petite voix.

-Je sais que tu as des démons Nassim. Je vois leur colère brûler dans tes yeux, leur amertume ressortir à travers ta peau. Je sens les tourments et les épreuves qu'ils te font endurer.

Au fur et à mesure de ses paroles, je sentais la Fille de l'hiver déplacer doucement sa main le long de mon bras, remontant lentement sur ma nuque jusqu'à atteindre ma joue où elle la posa délicatement. Je ne pus m'empêcher de réprimer un frisson.

-Je sais à quel point c'est dur de les voir te consumer petit à petit, semblant lentement prendre le dessus sur toi.

Son regard de glace était impénétrable.

-Te sens-tu prêt à reprendre le dessus ?

Je reculai légèrement, me dégageant de son contact et lui répondis dans un souffle :

- 20h. Nous verrons si je le suis.

Avant de m'éloigner d'un pas ferme vers la grande entrée de la patinoire, sans jeter le moindre regard en arrière.

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