Chapitre 6
Je ne voulais plus la voir.
Je n'osais plus la regarder en face.
Je l'avais jusqu'à alors évitée dans les couloirs, au lycée. Sans compter que je n'avais pas encore eu cours à ses côtés.
-Qu'est-ce que t'as ?
Je mis à un moment à comprendre que c'était à moi que l'on parlait. Je relevai la tête vers mon meilleur ami, perdu dans mes pensées. Nous étions appuyé contre le muret à côté du portail du lycée, attendant avec une nonchalance plus qu'ostensible que la cloche vienne annoncer la fin de notre tranquillité.
-Rien, t'inquiète, je répondis en lui assenant un petit coup sur l'épaule, comme pour lui prouver que tout allait bien.
-Je pense savoir ce que Nass essaie de nous dire, se mêla alors Nathan. Et je tiens à vous dire que je suis totalement d'accord avec lui !
Pardon ?
-C'est vrai quoi, on s'ennuie à mourir. Vendredi, on sort, continua-t-il ce qui provoqua l'enthousiasme général dans le groupe.
Je me disais bien.
-Non, ce sera sans moi les gars sérieux.
Des grognements de protestations s'élevèrent autour de moi, des tapes de tous les côtés m'incitant à me joindre à eux.
-Je verrai si je peux passer, finis-je par marmonner.
D'ici là, ils auront oublier. Je ne pouvais pas recommencer à sortir maintenant.
-Il parait que tu as vu la fille l'autre jour ? Réessaya Luke alors que les conversations reprenaient autour de nous.
J'hochai la tête. Je vois que les nouvelles vont vite.
-J'ai gaffé mec. Je l'ai engueulé comme pas possible, j'ai passé ma colère sur elle. Il faut dire qu'elle ne faisait rien pour aider aussi.
-Laisse tomber, j'ai toujours dit qu'elle était bizarre, lâcha-t-il sans grande conviction en jetant un coup d'œil à son téléphone. Cette fille là, c'est le genre de fille qui ne fait qu'attirer les problèmes.
-Vous parlez du fantôme ? Demanda Jacob avant de lâcher un court rire. Perso, je ne lui ferais pas trop confiance non plus. Oublie la mec.
Cependant, je savais que j'allais devoir lui faire face un jour.
Et ce jour là se trouva être vendredi.
***
-Tiens, un revenant.
Tels furent les premiers mots auxquels j'eu droit en rentrant en cours de maths ce jour là. Bonjour à toi aussi.
-Pardon. J'avais oublié que je parlais avec le fantôme du lycée.
Je regrettai mes mots aussi vite qu'ils étaient sortis. Mais à ma plus grande surprise, cela ne fit qu'agrandir son sourire. Angeline esquissa un mouvement de tête, comme un geste moqueur qu'elle souhaitait cacher.
-Ce n'est pas vrai...Lâcha-t-elle finalement après une bonne minute de petits sourires insolents on ne peut plus frustrant. Tu ne comprends donc vraiment rien hein ?
Je la fixai, incrédule.
-Là, j'avoue que je ne te suis plus du tout.
-Laisse tomber.
Elle allait définitivement me rendre dingue. Cette fille souffrait de bipolarité, ce n'était pas possible autrement.
Quelques minutes plus tard, alors que je pensais que j'étais définitivement débarrasser de la lourde tache de supporter ses sautes d'humeur, elle recommença à me rappeler sa présence.
-As-tu une gomme s'il te plaît ?
Je la lui balançai sans même regarder où je visais, non sans avoir soufflé de toutes mes forces pour exprimer à quel point elle me dérangeait. Angeline me la reposa délicatement, essayant de croiser mon regard que je gardais pourtant figé sur le tableau. Elle le faisait clairement exprès.
-C'est écrit quoi en bas à gauche ? me demanda-t-elle un peu plus tard d'un air innocent.
-Tu n'as qu'à regarder, je marmonnai en continuant à recopier le cours.
Elle parut enfin comprendre le message car elle finit par se taire.
Lorsque la cloche retentit enfin et que je m'apprêtai à sortir le plus vite possible de là, je sentis une minuscule force sur mon bras. Si petite que je ne l'aurais même pas remarquée si je n'avais pas senti la froideur glaçante qui émanait de sa main. Angeline me regardait d'un air impénétrable, une expression de tristesse, ou même de peine sur le visage.
La seule chose que je trouvais à dire, en retirant doucement mon bras de son étreinte, fut :
-Wow, tu as les mains froides.
C'était sans nul doute la phrase la plus stupide que j'aurais pu sortir.
Pas de sourire insolent cette fois. Elle se contenta de pencher légèrement la tête, comme elle le faisait souvent. Angeline finit cependant par arrêter son inspection et me répondit d'une voix douce.
-On a tous des problèmes. Des problèmes que l'on pense impossible à résoudre. On les garde alors pour nous. Jusqu'au jour où l'amoncellement devient tel que tout explose. On perd notre conscience, on devient fou. Ce jour-là est le pire.
Je ne dis rien, ne voyant pas vraiment où elle voulait en venir.
-Car peut importe ce que les gens disent, les Hommes n'apprennent pas de leurs erreurs. Ils refont les mêmes, encore et encore, dans l'espoir qu'ils cesseront d'avoir mal un jour. Que leurs problèmes se règlent seuls.
-Attends un peu. Angeline, pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ? Finis-je par la couper.
Elle ne répondit pas tout de suite.
-Crois moi Nassim, tu n'as vraiment rien compris.
Et la Fille de l'hiver partit rapidement de l'établissement, me laissant comme à son habitude indécis et plus curieux que jamais.
***
Je savais que c'était une mauvaise idée avant même que je ne monte dans la voiture avec eux.
Je me le disais encore alors que j'apercevais la maison quelques mètres plus loin.
Je le savais avant même d'y rentrer.
Je me le répétais alors que je suivais les autres en évitant les gens déjà bourrés autour de moi.
Je continuai de me le dire alors qu'on me mettait un verre dans la main.
Ce n'est que quand je le finis d'une traite et que je sentis la douce et familière brûlure dans ma gorge que j'arrêtai d'y penser.
Après le troisième, j'arrêtai de penser. Tout simplement.
Je ne comptai pas les autres. Je ne les comptais plus.
« On a tous des problèmes »
Une brune s'approcha de moi, lentement. Je ne la reconnaissais pas, ou du moins pas dans mon état. Plutôt pas mal, il fallait l'avouer.
« Des problèmes que l'on pense impossible à résoudre. »
Elle se rapprocha, commençant à danser avec moi. Je me laissais faire, complètement ailleurs. J'étais arrivé à un point où même ma propre personne me paraissait irréelle.
« On perd notre conscience, on devient fou. »
Qu'est-ce que j'en avais à faire de cette fille ? Qu'est-ce qui importait vraiment après tout ?
« Car peut importe ce que les gens disent. »
Je voyais Luke enlacer une blonde à quelques pas de moi. Ils avaient l'air bien. Il avait l'air heureux.
« les Hommes n'apprennent pas de leurs erreurs »
Les gens bougeaient autour de moi. Ou peut-être était-ce dans ma tête. Difficile à dire.
« Ils refont les mêmes. »
La brune posa sa main sur ma nuque, m'attirant un peu plus contre elle.
« Encore. »
Puis, elle posa son autre main contre mon torse.
« Encore. »
Je finis par la repousser. Je n'étais pas d'humeur. Pas aujourd'hui. Pas ce soir. A la place, je repartis prendre un verre.
« Dans l'espoir qu'ils cesseront d'avoir mal un jour. »
Le verre vide finit éclaté par terre. Elle m'avait énervé. Elle finissait toujours pas m'énerver.
Je pris une grande inspiration et traversait la foule du mieux que je le pouvais avant de me retrouver à l'extérieur, au calme. Je fus rejoins quelques minutes plus tard par Luke, pas beaucoup mieux que moi.
-Ça va Nass ? Marmonna-t-il dans ma direction en se posant contre le muret à mes côtés.
Comme il n'attendait pas vraiment de réponse, je ne pris pas la peine de répondre.
-Luke, qu'est-ce que je vais lui faire ?
Il me lança un regard interrogateur .
-A qui ? La brune super sexy que tu viens de jeter ?
-Mais non, le rembarrai-je en accentuant exagérément le « o ». La Fille de l'hiver.
-De quoi est-ce que tu parles ? Me questionna-t-il en prenant sa tête dans ses mains. Il n'y a pas de Fille de l'hiver. Pas d'hiver du tout. Plus jamais.
Je ne savais pas exactement ce qu'il avait pris, mais quelque chose me disait qu'il ne s'était pas arrêté à l'alcool.
Je continuai sans faire allusion à ses propos.
-Moi, je l'aime bien, tu sais Luke. Même si elle me tape sur les nerfs plus que n'importe qui, je l'aime bien.
-Elle n'est pas humaine, laisse tomber, s'exclama-t-il en faisant mine de chasser quelque chose de sa main.
-Non. Elle ne l'est définitivement pas.
Je me tournai alors vers lui.
-C'est pour cela que je l'aime bien.
Luke me fixa pendant ce qui parut être une éternité avant d'éclater de rire. Mon meilleur ami me poussa gentiment l'épaule, souriant au fait que j'allais prendre cher le lendemain et retourna à l'intérieur de sa démarche un peu incertaine.
Je ne savais même pas si je me rappellerais de cette soirée le lendemain. Certainement.
On se souvient toujours. De tout. Dans les moindres détails. Je l'avais appris mieux que quiconque ces dernières années.
-Tu vois Ange, j'ai compris finalement, me mis-je à m'écrier à haute voix tout en me levant, comme si elle allait pouvoir m'entendre. Tu ne me croyais pas, je te prouve le contraire.
Je m'arrêtai une seconde pour regarder autour de moi. J'étais seul. Ou plutôt, je me trouvais dans cette situation que nous expérimentons tous un jour où l'autre dans cette société malsaine où nous vivons : entouré par une foule de gens qui ne me prêtaient aucune attention. A la fin, nous passons notre vie seule avec nous-même. L'Homme est un être muable et changeant, certes, mais nous sommes la seule constance de notre vie. Les autres ne sont que des figurants qui entrent et sortent, à une durée plus ou moins rapprochée, de la scène de notre existence. On ne peut s'y accrocher.
-Tu es contente hein ? Repris-je. J'ai recommencé. J'ai rechuté, comme les médecins diraient. J'ai refait les mêmes erreurs, n'est-ce pas ?
A présent, je m'étais mis à crier, haussant la voix à chaque mot.
-Je devais changer. Mais tu avais raison, finalement. Comme d'habitude.
Je me stoppai un instant pour reprendre ma respiration saccadée. Ma voix s'était quelque peu posée lorsque je me remis à parler.
-On n'apprend pas de ses erreurs. Et je continue à faire les mêmes après trois ans.
Alors que je m'agenouillai au pied du muret, la tête dans mes mains, exténué, je pus presque entendre une petite voix aussi troublante que sa propriétaire me murmurer doucement à l'oreille :
-Je t'avais prévenu Nassim. Au moins, maintenant, tu as compris.
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