Chapitre 5



Les jours suivants, ce fut avec un extrême ennui que je me rendis en cours. J'étais épuisé.

A la maison, ma mère était rentrée. Cependant, le médecin lui avait bien précisé de rester couchée, ce qu'elle ne supportait bien évidemment pas. Il fallait donc que nous nous relayions avec Farah et Alya pour faire la cuisine, le ménage, s'occuper de Salima en plus de nos cours et le travail de ma grande sœur qui était désormais chez nous tous les jours. Sans parler du fait qu'il fallait quelqu'un pour rester auprès de ma mère tout le temps afin d'éviter qu'elle ne se blesse ou ne fasse de mouvements brusques. Si bien que j'en avais assez de me sentir aussi inutile.

-Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas rester ici avec elle hein ? ça arrangerait tout le monde !

-Tu sais très bien pourquoi ! Répliquait ma sœur, en colère. Le bac blanc est dans deux semaines alors il n'est pas question que tu manques le moindre de tes cours.

Je venais de passer une très mauvaise journée et la détermination de Farah fut la meilleure excuse que je trouvai pour m'énerver définitivement.

-Et alors ? C'est tout ce que t'as trouvé ? Tu sais très bien que je vais l'avoir ce putain de bac ! Me mis-je à hurler. De toute façon qu'est-ce que ça peut te faire que je l'ai ? A quoi ça servira quand toi tu te seras fait virer parce que tu ne vas plus à ton boulot et que Alya aura louper son diplôme ? A rien. On sera juste tous les trois dans la merde.

-Arrête de faire l'enfant Nassim. J'en ai marre que tu prennes toujours tout pour toi ! Tu ne te rends pas compte à quel point c'est dur pour nous de te voir toujours vouloir tout faire. Pas par volonté, mais par culpabilité. Et ça depuis des années !

Alya assistait à notre échanger, sans oser prononcer un mot. Il était tard et seuls nos cris résonnaient dans le petit appartement tandis que ma mère et ma petite soeur dormaient.

-Je fais ce que j'ai à faire. C'est tout.

-Non, ce n'est pas vrai, renchérit-elle. Tout le monde le voit ! Tu ne peux pas toujours tout laisser tomber pour les autres. Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de penser un peu à toi ? Qu'est-ce que tu vas faire si tu arrêtes le lycée, sans même un diplôme et aucune formation ?

Un bruit se fit alors entendre dans l'immeuble. Nous nous tûmes aussitôt. Cependant, il s'estompa rapidement. Heureusement que les somnifères que prend désormais ma mère sont puissants.

-Je suis d'accord avec elle, rajouta soudain Alya, prenant pour la première fois la parole depuis le début du débat. Tu ne peux pas tout faire. Est-ce que tu fais attention à toi parfois ? Je veux dire, autrement qu'en te bourrant la gueule pour ensuite revenir à je ne sais quelle heure le lendemain, complètement mort ? Tu sais pertinemment que ce n'est pas comme cela que tu vas oublier !

C'en était trop. Je pris le premier objet que j'avais sous la main, qui se trouva être le plat en alu posé sur la table à manger et le balança violemment au sol, ce qui eut pour seul effet de produire un bruit énorme, bientôt suivi par des pleurs provenant du bout du couloir. Alya me lança un regard exaspéré avant de se diriger vers la chambre de Salima. Farah, quand à elle, resta là à me fixer d'un regard noir. 

Sur le point de sérieusement m'énerver, je pris ma veste, rabattit ma capuche sur ma tête et sortit précipitamment de l'appartement, attrapant les clés de la voiture au passage.


Une fois au volant de celle-ci, une rage sans nom me remplit tout entier. J'en avais marre que l'on me dise toujours quoi faire. J'étais majeur, merde ! Elle n'avait pas le droit de me décrire comme cette personne que je ne suis pas. Du moins, que je ne suis plus.

Je roulais prudemment dans les rues, vides à cette heure-ci. J'avais mon permis, même si je ne roulais pas souvent, étant donné le fait que nous ne possédions qu'une seule voiture pour toute la famille.

Je finis pas m'arrêter au bord de la route, un peu calmé. J'appuyai ma tête contre le volant. Qu'est-ce que je venais de faire...

Je m'apprêtai à repartir quand je vis une silhouette noire sortir précipitamment du foyer devant lequel je m'étais garé, traversant la route en courant, juste devant moi. Elle continua sa course jusqu'à l'entrée du parc un peu plus bas où je la vis s'asseoir sur le muret, la tête dans les mains. Je redémarrai. Quitte à ce que cette soirée soit définitivement pourrie, autant jouer au connard jusqu'au bout.

Je m'arrêtai près de la silhouette dont je ne pouvais à peine distinguer les traits dans le noir.

-Et ! Fais attention quand tu traverses la route. Un peu plus et je t'écrasais.

Je n'obtins pas de réponse. Seulement deux yeux gris sans expression qui me regardèrent par dessous la capuche noir qu'elle portait, avant qu'elle ne s'enfuit en courant dans le parc, là où je ne pouvais de toute évidence pas la suivre. Pas avec ma voiture du moins.


Je me garai sur le bord du trottoir. Tant pis si je me prenais une amende. De toute façon, à cette heure-ci, personne n'était debout. Mis à part nous.

Je courus à sa suite dans l'immense parc qui bordait notre quartier. La journée, il était toujours plein de parents avec leurs enfants, de sportifs, de maîtres de chien. Mais ici, sous la seul lumière des vieux réverbères jaunes, il paraissait plus sinistre que jamais.

Je finis par la trouver, quelques mètres plus loin. Assise sur un banc, elle semblait m'attendre.

Je m'assis à ses côtés, sans rien dire. Elle se résolut enfin à se tourner vers moi.

-Qu'est-ce que tu fais ici ?

Je soupirai.

-Pour être honnête, je n'en sais rien.

Elle ne cessa pas de me fixer. J'avais l'étrange impression qu'elle me sondait, essayant de deviner ma pensée.

-Je suppose que j'avais besoin d'espace.

Angeline ne cilla pas. Troublante.

-C'est compliqué chez moi.

Elle ne répondit toujours pas.

-Maintenant que je t'ai dit la raison de ma présence ici, daigneras-tu m'expliquer pourquoi tu es sortie comme une furie du foyer pour enfants en plein milieu de la nuit, manquant de te faire renverser sur la route par la même occasion ? Lui demandai-je, un peu frustré d'être le seul à parler.

-Je ne t'ai jamais demandé de me raconter ta vie.

C'était tout ? Je n'allais en fin de compte obtenir comme seule réponse qu'une pique phénoménale que je n'avais de toute évidence pas sentie venir ?

-Tu m'as posé une question. Etant donné que je suis poli, je t'ai répondu, lui balançai-je en insistant bien sur la dernière phrase.

-Pourquoi est-ce que tu fais tout ça ? Pourquoi essaies-tu d'être gentil avec moi Nassim ? Tu vois très bien que je veux être seule, s'exclama alors Angeline, certainement plus fortement que voulu.

Ce n'était pas encore de la colère, loin de là, mais je pouvais enfin sentir une once de caractère dans sa voix.

-Mais parce que tu ne vois pas que tu te mets à l'écart toute seule comme ça ? Me mis-je à hausser le ton. Tout ce que je voulais, c'était t'aider ! Etre gentil avec toi ! Mais apparemment ça, ce n'est pas dans tes cordes !

-C'est bizarre car de nous deux, je me demande qui a eu la gentillesse il y a quelques minutes d'écouter les lamentations de l'autre sur sa petite vie de famille alors qu'elle avait clairement mieux à faire ! Rétorqua-t-elle sarcastiquement.

Ils s'étaient tous donnés le mot ou quoi ?

-Ah oui ? Mieux à faire comme rester toute seule de nuit dans un parc réputé pour être rempli de dealer ? Mais tu es bouchée ou quoi ? J'essaie d'être gentil avec toi, et la seule chose que tu trouves à faire c'est de me rejeter comme un chien. Mais tu n'as toujours pas compris que je voulais t'aider ? Répondis-je, faisant de mon mieux pour contrôler mes nerfs.

-Je n'ai pas besoin d'aide ! Et ça tu l'as compris ? S'énerva-t-elle de plus belle. Et surtout, je n'ai aucune envie d'entendre tes petites histoires sur tes problèmes familiaux.

J'allais définitivement péter un câble.

-Alors écoute-moi bien, miss Je-suis-trop-bien-pour-ce-monde : chez moi, c'est la galère depuis bientôt cinq ans ! Cinq putain d'années durant lesquels on n'a eu que des emmerdes ! Et pourtant, je ne m'en suis jamais plaint. Jamais, tu m'entends bien ? Parce qu'au moins, on était ensemble. Alors s'il y a bien une chose sur laquelle je t'interdis de parler, c'est sur ma famille ! Hurlai-je, en proie à une violente colère. D'abord, qui es-tu pour me juger comme ça ? Tu es arrivée et d'un coup, tu t'es rajoutée dans ma vie sans prévenir, sans me demander mon avis. Je te vois partout où je vais, tu es toujours là, c'en devient peu croyable ! J'ai vraiment eu une soirée de merde alors venir à ta rencontre était sûrement la chose la plus débile que je pouvais faire pour l'aggraver. Mais c'est quoi ton but ? Qu'est-ce que tu veux à la fin ?

Sans avoir eu le temps de prendre conscience des mots que j'avais laissé échapper, je vis le visage d'Angeline perdre soudainement le peu de couleur qu'elle avait. Je commençai vraiment à me sentir mal lorsque des larmes commencèrent à se former au coin de ses yeux. Des larmes qui disparurent rapidement, remplacées par un sentiment tout autre. C'est ainsi qu'elle me cracha avec toute la méchanceté donc elle était capable :

-Toi au moins tu en as une, de famille.

Et elle s'éloigna rapidement, ne prenant même pas la peine de vérifier si j'allais la suivre.

Elle comme moi savions que je ne le ferais pas. Je me sentais bien trop bête pour ça.



***


Lorsque je poussai la porte de l'entrée, seul le silence m'accueillit dans l'appartement. Je posai mes affaires et me dirigeai vers le salon où mes deux sœurs m'attendaient, les bras croisés sur leur poitrine, un air indéchiffrable sur le visage.

Farah fut la plus courageuse.

-Ecoute Nass, ne t'énerve pas s'il te plaît.

Alya n'osait même pas me regarder, gardant les yeux baissés sur le tapis. 

C'est alors que j'eus un flash. Même scène, même acteurs. La pièce était toujours la même en fin de compte. Seul le méchant avait changé.

-On sait que tu ne veux que bien faire.

Je ne répondis pas. Je ne le pouvais pas. 

-Mais... mais j'ai peur moi aussi, commença-t-elle à balbutier, les larmes aux yeux. Je n'arrête pas de me demander si on va s'en sortir. Si tout va recommencer encore une fois... Je ne veux plus vivre ça. 

Je m'avançai aussitôt vers elle et la pris dans mes bras, la serrant aussi fort que je le pouvais. 

-On va s'en sortir. On va y arriver. Je suis désolée.

Elle acquiesça doucement, séchant discrètement ses larmes sur mon pull. Je donnai une petite tape sur le bras de mon autre sœur, la faisant enfin lever la tête. Elle aussi avait pleuré. Je lui fis signe de venir également et les pris toutes les deux dans mes bras.

Finalement, je pensais vraiment ce que j'avais dit à Angeline un peu plus tôt. Au moins, on était ensemble.

Elles avaient besoin de moi.  

Je n'avais malheureusement aucun pouvoir sur l'acte déjà joué. Nonobstant, je pouvais encore faire en sorte de changer le dénouement.


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