Chapitre 4
-Nassim Sheba, j'en ai marre de toujours vous entendre ! Ce que je raconte ne vous intéresse donc pas ?
Je soupirai discrètement, peu désireux de me faire disputer encore plus. Tel se déroulait chacun de mes cours de mathématiques, une matière que j'affectionne pourtant particulièrement. Malheureusement, ce n'est pas le cas du professeur.
-Bien sûr que si madame. Ne vous en faites pas, je suis toute ouïe, répondis-je en prenant un air concentré.
-J'espère bien. Car ce n'est pas comme cela que vous aurez votre bac.
Elle leva les yeux au ciel et se tourna vers le tableau afin de continuer son cours. Franchement, j'ai du mal à comprendre pourquoi certaines personnes deviennent profs alors qu'elles ne supportent pas les jeunes.
Cela faisait maintenant deux jours que la Fille de l'hiver était arrivée dans notre classe. Muette et discrète, tel aurait pu être sa devise. Elle ne parlait pas, ne se mélangeait toujours pas aux autres. Plusieurs rumeurs circulaient déjà sur elle. Elle serait tout juste sortie d'une peine de prison. Elle aurait été internée dans un hôpital psychiatrique ou encore aurait été renvoyée de son dernier lycée. Personnellement, je n'y croyais nullement. Comme un être aussi fragile aurait-il pu commettre tout cela ? Mais c'est un des passe-temps favoris des jeunes que de cracher sur la vie des autres dans l'espoir de détourner l'attention de leurs propres actions. Ils lui inventent une vie afin de se dire que la leur n'est pas si dramatique que ça. Si bien que tout le monde la regardait par derrière, en s'interrogeant. Ou alors n'était-ce que moi.
Je me tournai vers Luke :
-Je t'avais dit que ma mère était rentrée ? Farah l'a ramenée hier à la maison. Je sens que ça va encore être la guerre pendant quelques semaines, vu qu'elle est incapable de rester tranquille. Donc ne t'étonne pas si tu me trouves à la patinoire un peu plus souvent que d'habitude.
-J'ai croisé Alya l'autre jour. Alors oui, je le savais, me dit-il avec un sourire.
Je lui assenai un coup sur l'épaule, ce qui le fit protester. Je détestais quand il faisait ça, et il le savait très bien. Comme s'il avait le droit ne serait-ce que de parler à ma sœur. Je sais très bien comment ça va finir si je le laisse faire.
-Nassim, je n'en peux plus de vous. Levez-vous. Venez ici.
Je soupirai pour de bon cette fois. Je jetai un dernier coup d'oeil exaspéré vers Luke qui me le rendit, pris mes affaires et me levai péniblement.
-Asseyez-vous là, m'ordonna-t-elle en me désignant une place située au fond à gauche de la salle, à l'opposé de mon meilleur ami.
-Et je veux que vous y restiez. J'en ai marre de vos bavardages. Nous ne sommes plus au collège bon sang. Maintenant, taisez-vous.
J'étais loin d'être insolent. Cependant, il y avait des limites.
-Quand on est aimable, on dit s'il vous plaît, marmonnai-je en partant m'installer à l'endroit désigné, assez fort cependant pour que tout le monde l'entende.
Des chuchotements commencèrent à se former dans la classe, sans pourtant qu'elle ne daigne répondre.
Je m'assis donc à côté de ma nouvelle voisine de classe. Evidemment. Elle. Toujours elle.
Elle ne dit rien à propos de mon changement de place, ni de mon intrusion dans son espace personnel. Elle ne disait rien, tout simplement.
Jusqu'à la fin de l'heure, je n'osai tourner la tête, ni même la regarder. Si bien, que lorsque la sonnerie retentit un peu plus tard, annonçant finalement la fin du cours, je ne ressentis rien d'autre qu'un énorme soulagement.
***
Je marchais au bord de la route en rentrant chez moi, laissant mes pensées vagabonder. Je me mis alors à penser à ma mère. J'aurais tellement voulu que tout cela se passe autrement. La seule chose que j'espérais pour elle était qu'elle soit heureuse. Mais tout ne se passait jamais comme prévu et cela commençait à me fatiguer. Pourquoi ne serait-ce pas notre tour de relâcher un peu prise ? Pour une fois.
Au détour d'un immeuble, mon regard fut alors attiré par des cheveux noirs dans lesquels un homme passait sa main, souriant. Même de dos je pouvais reconnaître Alya. L'homme m'était inconnu. Non mais c'était qui celui-là ?
N'étant pas pressé, j'attendis patiemment qu'il parte, restant là où j'étais en essayant de ne pas penser au mauvais quart d'heure que ma sœur allait passer quand elle me verrait.
A peine avait-elle franchi le coin de la rue qu'elle me heurta violemment, laissant échapper un petit cri de surprise.
-Nass ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
-Je pourrais te retourner la même question.
Elle ne répondit pas.
-Ce ne sont pas tes affaires.
-Pardon ? C'est qui ce mec déjà ? Ou plutôt devrais-je dire cette momie, tu connais son âge ?
Elle émit un rire jaune.
-Et alors ? Je suis assez grande pour savoir ce que je fais non ? Sois gentil : ne t'occupe pas de moi.
Qu'est-ce qu'elle pouvait être exaspérante ! Elle ne voyait pas que je faisais ça pour elle ?
-Mais qui va le faire alors ? Tu n'arrives pas à t'occuper de toi-même. Il faut donc bien que quelqu'un le fasse à ta place, non ?
Elle leva les yeux au ciel, ce qui eut le don de m'exaspérer.
-Nass, arrête de t'inquiéter pour moi. Je vais bien.
Et elle partit en direction de l'appartement sans se presser, me laissant seul avec ma culpabilité.
***
Dès le lendemain, je me mis en tête de lui parler. Elle ne devait pas être si bizarre qu'on le prétendait. Je devais me changer les idées. Lâcher un peu prise comme le dit ma soeur. Malheureusement, ce n'était pas une notion des plus naturelles chez moi.
-Tu en veux ?
Je regardais avec envie ce que me tend Jacob. Cela faisait un moment que je n'avais plus touché à une cigarette. J'en aurais tellement besoin là, maintenant. Juste une.
Je vis Luke secouer la tête dans ma direction, me poussant à refuser. Il avait raison.
-Non t'inquiète.
Jacob haussa les épaules et tira une nouvelle bouffée. Je remerciais mon meilleur pote du regard.
J'avais promis que je changerais.
Une fois n'est pas coutume, j'arrivai dans les premiers dans ma salle de maths afin de pouvoir la devancer.
Dès le moment où elle vint s'asseoir près de moi, tous mes sens se mirent en éveil. Elle posa son sac, en sortit sa trousse ainsi qu'une feuille et se tourna face au tableau, dans la position typique de l'élève modèle ; tout cela dans le silence le plus complet. Comment cette créature faisait-elle pour paraître si irréelle ?
Je passais l'heure de cours à guetter le moindre mouvement à ma gauche, tout en m'interdisant formellement de ne jeter ne serait-ce qu'un regard dans cette direction. Il fallut pourtant que je revienne sur cette décision afin d'atteindre mon objectif : la faire parler.
Je commençai par lui demander gentiment si elle n'avait pas un stylo à me prêter. Elle en poussa un dans ma direction, sans tourner la tête. Je la remerciai. Un peu plus tard, je continuai en lui demandant une feuille cette fois-ci. Même réaction. Ensuite, ce fut au tour de son cahier, puis de sa règle. Elle continua ainsi son petit manège pendant toute l'heure, ce qui eut le don de m'énerver au plus haut point.
Se pensait-elle trop supérieure pour daigner m'adresser la parole ou ne serait-ce que de me regarder ?
Et bien très bien. Qu'elle ne s'étonne pas si elle reste seule. Faire des efforts à sens unique n'est agréable pour personne.
***
Le jour suivant, on était enfin vendredi. J'étais fatiguée et j'avais hâte de finir la semaine. J'avais continué à questionner Alya à propos de son copain mais je n'avais même pas réussi à obtenir ne serait-ce que son nom alors que je suis sûr qu'elle l'a dit à Farah. Elles sont toujours de mèches ensemble. Je pourrais même parier qu'elles ne me le diront jamais. Elles veulent que je lâche prise.
Je rentrai donc dans la salle de maths avec difficulté, sachant que j'allais devoir essayer d'être attentif durant deux heures. Je n'étais vraiment pas d'humeur.
Elle était déjà là, silencieuse et discrète comme à son habitude.
Comme ce n'est pas mon cas, je balançai mon sac sur la table tout en parlant avec Nathan, ce qui eut pour seul résultat de le projeter au sol, produisant un bruit énorme. Toutes mes affaires s'étalèrent sous le bureau alors que mes potes me dépassaient en me tapant dans le dos. J'entrepris alors de les ramasser en pestant sous son regard impénétrable. Je n'avais qu'une envie : passer ma mauvaise humeur sur elle, lui crier dessus afin qu'elle s'énerve une bonne fois pour toute.
-Ça va ? Tu ne te déranges pas trop ? M'aider, c'était trop compliqué pour toi ? Ou tu préférais simplement me regarder faire d'un air hautain ?
Elle cessa aussitôt de me regarder. Je la vis hausser les sourcils, surprise par cette agression soudaine, avant de se mettre à m'ignorer du mieux qu'elle le pouvait. Evidemment, elle était très forte à ce jeu là.
Je passais donc le reste de l'heure à regretter mon geste. Déjà qu'elle refusait de me parler, je venais sûrement d'anéantir à jamais toutes mes chances qu'elle le fasse.
C'est donc pour cela qu'à l'heure suivante, je pris sur moi et allai m'excuser :
-Ecoute, je suis vraiment désolée pour la façon dont je t'ai parlé toute à l'heure. C'était méchant et injustifié, rajoutai-je.
J'avais l'étrange impression de m'adresser à un petit enfant, tant par mes mots que par ma prudence dans ma façon d'agir.
Même si je n'avais pas vraiment espoir qu'elle me réponde, je continuai :
-Excuse-moi, nous n'avons même pas été présentés. Je m'appelle Nassim.
Tout d'abord, rien ne se passa. Puis, à mon plus grand étonnement, je la vis se tourner alors vers moi, me fixer de ses étranges yeux bleus gris et ouvrir la bouche pour la première fois, découvrant ainsi des dents aussi blanches que l'était sa peau.
-Angeline.
Et elle sourit. Un sourire que je n'avais encore jamais vu auparavant. Un sourire reflétant tant de tristesse que c'en était troublant.
Je n'osais continuer. J'avais obtenu ce que je voulais. Elle m'avait parlé.
Cependant, s'il y a bien une chose que l'on ne cesse de nous répéter à nous, les hommes, c'est que nous ne sommes jamais satisfaits de ce que nous avons. Et je ne faisais exception à la règle.
Je voulais plus.
Comment ne pas vouloir en savoir plus lorsqu'une personne aussi fascinante qu'Angeline Glass débarque ainsi dans votre vie ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top