Chapitre 3
« Bip, bip, bip »
Comment arrêter ce truc ?
Je tapai dans le vide autour de moi, les yeux encore fermés, à la recherche de mon réveil dans l'espoir de stopper ce supplice auditif.
BAM
Bon, et bien c'était ça ; il était par terre à présent. C'était bien fait ; il l'avait cherché.
-Nassim, lève-toi. Tu vas encore être en retard au lycée ! Et n'oublie pas que c'est toi qui dois emmener Sali à l'école aujourd'hui. Et si elle est en retard par ta faute, je te préviens que ça va mal aller.
C'était définitif : je détestais les lundis matins.
Un peu plus tard, je sortais de l'immeuble avec mon sac sur l'épaule et ma petite sœur à mes côtés qui jacassait sur quelque chose que je n'écoutais pas. Elle me parlait de ses amies, ou peut-être de l'une d'entre elles en particulier, mais en tout cas pas de notre mère, et c'était le plus important. S'il y avait bien une chose que je ne souhaitais pas, c'était qu'elle s'inquiète.
Salima était naturellement énergique et bavarde, peu importe que je l'écoute ou pas, ce qui fit qu'elle enchaîna rapidement sur son maître d'école et sa journée à venir. Comment pouvait-elle être aussi enthousiaste à l'idée d'aller passer la journée dans un établissement fermé où l'on fait semblant de s'intéresser à des choses que nous ne comprenons même pas ? Il y avait vraiment des fois où je me demandais si l'on avait bien les mêmes gênes.
Je n'aimais pas les cours. Je n'aimais pas les professeurs qui vous font des sourires mielleux en vous promettant que vous allez y arriver avant de vous poignarder dans le dos au conseil de classe. La plupart d'entre eux se sentent supérieurs à nous, les élèves, sous prétexte que nous ne sommes pas des adultes. Mais ils ne savent rien. S'il y a bien une chose que j'ai apprise sur les adultes c'est que ce ne sont que des grands enfants que l'on a catégorisé comme tels. De grands enfants qui ont perdu leur insouciance en prenant comme prétexte qu'ils étaient trop vieux. Mais être vieux, c'est dans la tête, pas avec des chiffres. Même un adulte est capable de la pire erreur possible.
Comme tous les matins, je passais devant le foyer situé près de chez moi. C'était un grand bâtiment blanc, dont on ne pouvait deviner la fonction aux premiers abords. Je voyais souvent des enfants en sortir pour rejoindre l'école primaire de Salima. Les pauvres. Au moins, ils ont la chance de pouvoir aller dans des endroits comme celui-ci.
Je marchais sans me presser, évitant les tas de glace présents sur le sol depuis ce fameux jour où la neige était tombée pour la première fois de l'hiver. Ce n'était pas une saison que j'appréciais particulièrement : le froid, la neige, tout cela ce n'est pas trop pour moi. En Algérie, ils ne connaissent pas l'hiver. Le seul réconfort que je peux y trouver est l'ouverture de la saison du hockey sur glace.
Salima me salua de la main en agitant ses cheveux tout bouclés, comme des ressorts, avant de rentrer dans le bâtiment de l'école primaire pour rejoindre ses copines. Dire qu'elle va avoir cinq ans. Elle grandit super vite ma petite sœur, même un peu trop à mon goût... Oh non. Il faudrait que j'arrête de parler comme un père. Ça en devient bizarre.
En même temps, ce n'est pas le mien, cet enfoiré, qui va se soucier de Salima. S'il se souciait ne serait-ce qu'un tant soit peu de nous, il ne nous aurait jamais abandonnés.
Je passai à mon tour le portail du lycée et m'apprêtai à me diriger vers mes potes quand je m'arrêtai net.
Connaissez-vous cette sensation de déjà vu ? Ce pressentiment que l'on a avant que quelque chose n'arrive ? Quelque chose dont on savait et peut-être même attendait, tout au fond de nous, la venue ?
Et bien c'est exactement ce que je ressentis ce matin en la voyant au milieu de la cour de mon lycée. La Fille de l'hiver.
Elle était plantée là, debout, l'air hagard et complètement perdue. Au milieu de tous ces élèves qui riaient et parlaient forts, elle restait seule. Elle semblait mal à l'aise, ses mains se tortillaient entre elles, sans qu'elle ait pourtant l'air effrayée. J'ignorais comment elle faisait. Au milieu de toutes ces couleurs et de tout ce bruit, elle paraissait encore plus blanche et irréelle, comme une erreur détonant dans le tableau.
Mais que faisait-elle là ?
Je partis vers mes amis près du terrain de foot, non sans pouvoir détacher mon regard de sa silhouette. La cloche retentit presque aussitôt, provoquant le mouvement de tous les adolescents présents dans la cour vers l'intérieur des bâtiments.
Je ne sais pas ce qui fut le plus étonnant. Sa présence ici ou le fait que la neige s'était remise à tomber.
***
Arrivé dans ma classe, je me mis à ma place habituelle, appuyé contre le radiateur. Je ne comprendrai jamais pourquoi ils ne chauffent pas ces salles.
-Asseyez-vous en silence s'il vous plaît, afin que l'on ne perde pas trop de temps.
La phrase préférée des enseignants et en même temps leur pire phobie. Le temps qui passe est comme une menace au-dessus de leur tête. Si j'étais professeur, je pourrais vous assurer qu'il y aurait de l'action dans ma classe. Pas trop bien sûr, il faut garder de l'autorité, mais quand même assez pour réveiller les élèves et les instruire sans leur en donner l'impression. Je pense que c'est ce que l'on peut attendre d'un bon professeur.
Ce fut donc avec une joie toute particulière que je regardai la porte s'ouvrir, interrompant ainsi le cours de physique que je devais subir de nombreuses heures par semaine, étant en scientifique. Elle fut cependant de courte durée quand je vis qui se trouvait derrière.
Ce n'était pas possible. Elle me poursuivait.
-Ecoutez-moi, je voudrais vous présenter une nouvelle élève qui intégrera votre classe à partir d'aujourd'hui. Mlle Glass, je vous laisse aller vous asseoir.
Tous les regards se braquèrent aussitôt sur elle. Cependant, elle fit comme si elle ne les voyait pas et partit s'installer au fond, dans la rangée opposée à la mienne.
-Qui a laissé entrer un fantôme ? Me chuchota Luke avant de partir en fou rire avec Nathan.
Je les repoussai en la fixant avec de grands yeux. La pauvre.
Je ne savais même pas pourquoi je la prenais en pitié. Peut-être parce qu'à la cantine ce jour-là, elle ne se montra pas. Peut-être parce que tout le monde la regardait avec jugement, sans chercher à aller vers elle. Ou encore parce que mes potes ont fait des commentaires sur elle toute la journée, sans pour autant que j'y participe ou même y réponde. Qu'est-ce que je m'en suis voulu.
Mais je ne pouvais rien pour elle. Je ne la connaissais pas après tout.
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