2- La fin n'est qu'un debut...
Gyeongju, cinq ans auparavant :
Assis sur les galets qui jonchaient le sol de la plage, Kim Jung Su contemplait d'un air rêveur l'immensité bleue qui se présentait à lui. Il prit une grande inspiration. L'air humide et salé, si caractéristique à la mer de l'Est*, s'engouffra dans ses poumons avant d'y ressortir en un profond soupir. Au contact de l'eau gelée qui roulait à ses pieds, un frisson le parcourut. La marée remontait.
Se redressant sur ses genoux, il souffla de nouveau. Que le temps passait vite ! Même si cela faisait déjà une bonne heure qu'il restait là, à ne rien faire, le jeune homme ne voulait pas partir. Être près de la mer lui faisait du bien. Que cela soit la mélodie répétitive des vaguelettes s'échouant sur la rive, la brise légère fouettant son visage pâle ou encore les doux rayons de soleil qui lui caressaient la peau, tout était agréable. Ce coin de la plage était son petit paradis. Et même si celui-ci ne payait pas de mine, il en restait quand même son refuge, son jardin secret, l'endroit où il pouvait rêvasser, loin de toutes responsabilités.
Regroupant ses crayons et ses feuilles éparpillées un peu partout autour de lui, le garçon s'apprêtait à se lever quand une voix lointaine l'interrompit :
« Encore en train de dessiner, Jung Su ? »
Un sourire en coin apparut sur ses lèvres. D'un mouvement lent de la tête, il se retourna vers l'inconnue. Cette dernière le fixait comme à son habitude de ses yeux malicieux.
« Tu comptes me les montrer cette fois-ci, j'espère ! »
Les bras croisés sur sa poitrine, elle attendait une quelconque réaction du jeune homme. Cependant, le silence de l'endroit désert fut la seule réponse qu'elle reçut. Finissant de ranger calmement ses affaires dispersées sur le sable, ce dernier ne cherchait pas à répondre. À quoi bon ? La petite blonde connaissait déjà son avis sur la question.
Blessée dans son ego pour avoir été royalement ignorée, Ye Ri grommela dans sa barbe avant de rejoindre son ami au loin. D'abord hésitante, elle n'osa s'approcher du bord. Pourtant, après quelques secondes de réflexion, elle se ravisa et retira soigneusement ses ballerines. D'un pas plein d'appréhensions, elle s'avança alors doucement vers la mer, le regard rivé vers l'horizon bleuté. Lorsque ses orteils frôlèrent l'eau froide, la jeune fille sursauta. C'était glacé !
Face à cette scène bien trop familière, Jung Su laissa échapper un rire discret. Qu'est-ce qu'elle n'était pas douée ! Pensa-t-il dans son for intérieur. Il était évident que l'eau ne serait pas très chaude en ce début de mars encore nuageux.
De retour sur la berge, la lycéenne le dévisagea de ses prunelles noires. Venait-il tout juste de se moquer d'elle ? Le regard rieur que lui lançait son ami confirmait ses soupçons. Bae Ye Ri se mura alors dans un silence significatif. Une idée maléfique venait de lui traverser l'esprit.
S'approchant dangereusement du jeune homme, elle attrapa le col de son t-shirt avant de le tirer brusquement vers elle, lui faisant ainsi perdre l'équilibre. S'écroulant par terre, il atterrit lourdement dans l'eau fraîche. Trempé et dérouté par ce geste, le grand brun se figea un instant. Il devait se ressaisir ! D'un geste vif, il se redressa de toute sa hauteur, lui saisit le poignet, et la retourna d'un seul coup. Jung Su venait de finalement trouver une utilité à ses cours obligatoires de taekwondo.
La blondinette, au début surprise par ce revirement de situation, affichait un petit sourire coupable. Il ne s'agissait pas de la première fois que ce genre de chamailleries avait lieu. Au fur et à mesure des années, ce refrain persistant était devenu habituel pour eux. Il l'embêtait, elle se vengeait puis subissait ses représailles. Cela était ainsi depuis toujours. Puis le fait que les deux adolescents aient grandi ensemble avait permis de créer cette étrange complicité, que d'autres qualifiaient souvent d'atypique.
À son tour dans l'eau, Ye Ri ne voulait abandonner. Après s'être relevée rapidement, elle courut en direction de leur emplacement d'origine, là où étaient restées négligemment leurs affaires. Comprenant la suite des événements, Jung Su s'était mis à crier derrière elle :
« Fais attention... Non, pas les dessins ! Ye Ri, pose-les ! Je rigole pas !»
La Coréenne s'était emparée de l'épais carnet foncé. Observant les croquis avec attention, elle agitait la liasse de feuilles sous le nez du garçon. Cette dernière était coriace. Elle ne voulait décidément pas lâcher l'affaire ! Tentant de récupérer son précieux bien, tout en évitant de l'abîmer, il finit par attraper fermement la taille de l'adolescente avant de la soulever. Dans les airs, bloquée sur les épaules du grand brun, cette dernière jurait et frappait son dos.
« Repose-moi, Jung Su ! Je ne me répéterai pas, repose-moi ! »
Elle se tut soudainement. Elle n'y croyait pas. Il s'était mis à tournailler !
« Jebal*... Je pense que je vais vomir. Repose-moi ! Je t'en supplie, je me sens vraiment pas bien ! »
À ces mots, le jeune homme se stoppa net et la lâcha brutalement. Sur le sol dur, son amie se plaignait.
« Aish*, sérieusement ! Tu aurais pu y mettre un peu plus de douceur ! »
Les mains plaquées sur son pauvre dos tout endolori, elle foudroya du regard le lycéen de ses iris sombres. Cela faisait mal, bon sang !
« Tu m'as dit de te lâcher. C'est tout simplement ce que j'ai fait. Je ne vois pas pourquoi tu râles ! » répondit-il, mimant l'indifférence.
Bouche bée, elle le fixait de ses yeux ronds, incrédule. C'était une blague ? Il ne s'agissait pas là des excuses qu'elle s'attendait à recevoir. Faible sur ses jambes, elle maudit intérieurement l'idiot qui lui servait de meilleur ami, puis ramassa ses chaussures avant de se diriger d'un pas décidé vers la route. Sur le bitume grisâtre, ses pieds laissaient de petites empreintes noires, tandis que sa chevelure décolorée, encore dégoulinante d'eau, traçait de petites lignes discontinues.
« Ya* ! Ye Ri, attends-moi !
- Même pas en rêve, imbécile ! » répliqua-t-elle, tout en lui tirant la langue.
Les poings serrés, elle accéléra la cadence. Jetant de furtifs coups d'œil derrière elle, de temps à autre, la jeune femme ne put s'empêcher de rigoler face à la situation. Cela l'amusait. En dix ans, ils n'avaient guère changés. Il y avait toujours ce même air insouciant dans leurs paroles, toujours ce même air enfantin dans leurs comportements. Malgré toutes ces années passées à étudier et à traîner ensemble, ils n'avaient point grandi !
« T'es pas possible ! » grogna-t-il, plutôt exaspéré.
De nouveau à ses côtés, il posa sa main sur le crâne de la blondinette. D'un geste affectueux, il ébouriffa légèrement sa chevelure d'or, avant de passer devant elle. Marchant tous les deux d'un pas lent, ils profitaient ainsi des derniers instants de leur journée. Au loin, l'horizon se paraît d'un chaleureux voile pourpre, plongeant la petite ville dans une douce atmosphère. Peu à peu, le soleil achevait sa course dans le ciel, disparaissant derrière les profondeurs de la mer, immense. Hélas, comme cet astre lumineux, leurs courtes vacances se terminaient également. Ils s'agissaient là, peut-être, de leurs derniers moments de tranquillité, avant que la pression scolaire ne reprenne le dessus et ne les enfonce dans les abysses des révisions du Suneung*.
Leurs destins semblaient alors déjà avoir été scellé. Comme tout adolescent normal, Jung Su aurait eut une existence ordinaire, une vie simple, sans grande prétention. La rentrée aurait lieu, ils reverraient leurs amis, puis découvriraient leurs tout nouveaux professeurs. De cette manière, leur dernière année au lycée commencerait enfin, leur apportant à la fois réjouissance, inquiétude et nostalgie, à l'idée de rentrer dans le monde des grands. Ce monde anxieux où vivaient les adultes, parfois loin de leurs rêves et espoirs d'enfants. Du moins, c'était ce dont il était persuadé...
Si les choses avaient été plus facile, aurait-il fait ses choix là ? Si les événements survenus pendant sa scolarité n'auraient été qu'anodin, serait-il resté le même ? Parfois, il arrivait que ces questions resurgissent tels des parasites et troublent son sommeil pourtant redevenu paisible. Ces questions l'accaparaient, l'étouffaient de manière oppressante. Avec des « si », Jung Su refaisait le monde. Il s'enfermait inconsciemment dans une autre réalité, bien plus cruelle que l'originale. Une réalité qui continuait, elle, de le faire souffrir, malgré tout.
En effet, que se serait-il passé si, ce jour là, il ne l'avait pas rencontrée ?
Lexiques :
*Mer de l'Est : Plus connu sous le nom de « Mer du Japon », il s'agit d'une zone maritime situé sur la partie nord-est du continent asiatique (pour faire plus simple entre la Corée et le Japon).
*Jebal : L'une des façons de dire « s'il te plaît » en coréen. Il est utilisé généralement lors de situation un peu désespérée ou d'une demande forte. Il ne s'agit donc pas ici du s'il te plaît basique comme par exemple : « Passe-moi de l'eau, s'il te plaît. » Mais plutôt : « S'il te plaît, ne pars pas ! »
*Aish : Interjection coréenne utilisée pour exprimer la colère ou la frustration. Elle est considérée également comme une injure pour certain.
*Ya : Équivalent un peu rude de « Hey ! » en français, exprimant la colère, la confusion ou bien encore l'ennuie.
*Suneung : Baccalauréat coréen.
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