10- Rêve immersif
Dans la commune de Yangnam, la nuit venait tomber. Attablés autour de la table du petit salon, Yoon Min, l'oncle Baek et leur invité partageaient un repas digne d'un étudiant amateur en cuisine. Jung Su fixait son bol de riz un peu trop cuit d'un drôle d'air. Jusqu'à aujourd'hui, il ne savait pas qu'il était possible de rater un plat si simple.
« Reprenez donc un peu de kimchi, mon grand. » invita le propriétaire de la quincaillerie d'une voix affable.
L'adolescent le remercia poliment et lui tendit son bol à contrecœur.
« C'est la femme de Monsieur Ma qui l'a préparée. C'est une petite merveille et je pèse mes mots ! »
Le vieillard s'esclaffa. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas reçu de monde à la maison ! Lui qui avait l'habitude de vivre seul trouvait cela des plus rafraîchissants. Cette nouvelle compagnie n'était pas pour lui déplaire, à vrai dire. Malgré le fait qu'au début il ne voyait pas l'arrivée du jeune homme d'un bon œil, il avait su faire preuve de bonne volonté et accepter de le loger l'inconnu chez lui. Mais qu'aurait-il pu faire d'autre ? Yoon Min était dans une situation des plus délicates. Si le fait qu'elle logeait ici venait à s'ébruiter, la jeune fille serait obligée de plier bagage et de changer de nouveau d'endroit.
Quand le repas fut terminé et que la vaisselle fut lavée, Kim décida de leur annoncer enfin sa décision de partir. Au début surpris, ses logeurs comprirent néanmoins sa situation. Jung Su avait des proches qui s'inquiétaient pour lui. Il était alors normal de le laisser les rejoindre et de lui permettre de se rétablir dans un foyer familier.
L'oncle Baek se gratta le menton. D'une voix rauque, il ajouta alors :
« Cela ne me dérange pas que tu partes, petiot. Tu es grand et responsable. Toutefois, ce n'est pas très sérieux vu ton état de le faire seul. Yoon Min t'y accompagnera, elle s'assura ainsi qu'il ne t'arriva aucun incident. J'aimerais te rendre entier à tes parents ! »
Le garçon baissa les yeux vers le sol. Un sourire bienveillant s'était dessiné sur son visage anguleux.
« J'ai été élevé par mes grands-parents. Ma mère est partie quand j'étais jeune... »
Un silence gêné s'était emparé de la table. L'oncle et la nièce se lancèrent un regard compatissant.
« Je suis désolée. » intervint le vieillard.
Yoon Min ne sût que rajouter d'autre. Pourtant, n'était-elle pas la mieux placée pour comprendre la peine qu'avait pu ressentir ce garçon ? Elle aussi était familière avec ce sentiment.
Remarquant l'heure tardive sur la pendule du salon, l'oncle Baek décida de détendre l'atmosphère en envoyant les enfants aux lits. Un long voyage les attendait demain et le blessé avait besoin de repos. Le propriétaire assigna alors une chambre au jeune homme. Pas très grande, la pièce était meublée du strict nécessaire. Une drôle d'odeur embaumait l'air. Celle du vieux bois rugueux qui travaillait. Lorsque Jung Su s'assit sur le matelas ramolli par le temps et l'humidité de la côte, son corps s'y enfonça aussitôt et son visage se tordit de douleur. Au moindre mouvement brusque, ses côtes étaient là pour le rappeler à l'ordre. Le lycéen en était alors conscient. Contre une fracture, la seule chose qu'il pouvait faire était s'armer de patience.
Après de périlleux efforts, le jeune homme réussit finalement à s'allonger de tout son corps. Il se mit à fixer le plafond immaculé puis ferma les yeux de fatigue. Au loin, on pouvait entendre le ronronnement serein de la mer. Il pouvait aisément l'imaginer, docile et ronde, chatoyante de splendeurs sous la nuit étoilée. Cette image le fit sourire. Que c'était réconfortant de retrouver une présence à laquelle il était habitué. Ainsi, dans la berceuse des ressacs du littoral, Kim Jung Su trouva le sommeil. Ses paupières lourdes se fermèrent d'elles-même et sa respiration s'apaisa. Les événements de veille lui revinrent alors en mémoire, comme si les souvenirs enfouis de sa noyade refaisaient surface un à un. Il se voyait en haut de la falaise. Une jeune fille était face à lui.
« Excusez-moi, mais vous ne devriez pas rester au bord. Le terrain est instable ici. »
Sa voix était douce. Plutôt en adéquation avec l'image fragile qu'elle renvoyait. Malgré tout, le lycéen recula. D'un pas puis de deux. La brunette à la peau laiteuse et à la silhouette frêle continuait de parler. Elle approchait. Il recula encore. Son troisième pas fut toutefois le dernier.
Il tombait.
Tout s'emballa alors dans son esprit. Peur, angoisse, fatigue, peine... Les sentiments qu'il avait accumulés depuis des jours semblaient vouloirs enfin sortir au grand air. Les larmes lui montèrent aux yeux. Quand il frappa finalement l'eau glacée de plein fouet, se fut pour lui comme une délivrance. C'était la fin. En l'espace de quelques secondes seulement, ses membres s'étaient engourdis et sa vue troublée. Il ne pouvait plus respirer. Il suffoquait.
Et tandis qu'il sombrait telle une masse inerte dans l'océan, une lueur d'espoir apparue. Dans l'obscurité des profondeurs marines, une personne lui avait tendu la main. Une personne ou plutôt une créature. Ses yeux s'écarquillèrent de stupeur. Jung Su n'arrivait pas à y croire. L'inconnu qui l'avait sauvé revêtait ici les attributs d'un être humain mais le corps d'un poisson.
Était-ce le manque d'oxygène qui lui jouait des tours ?
Il ne saurait le dire. Cela avait pourtant l'air si réel. Exténué et encore sous le choc de sa vision d'horreur, le garçon s'abandonna à l'étrange torpeur qui s'emparait de lui. Le tremblement de ses mains s'essouffla, son regard sombra dans le néant et il perdit ainsi connaissance.
***
« Fouillez moi le moindre recoin de cette piaule ! Je veux qu'on la retrouve coûte que coûte ! »
Il Wong Pil s'avança dans la pièce mal éclairée. Son sourire courtois avait disparu pour laisser place à une expression sévère. D'un geste méthodique, il passa un doigts sur la commode poussiéreuse. Il le savait, c'était déjà trop tard ! Sa proie avait déguerpie des lieux.
L'homme d'affaire, qui ressemblait plus à un usurier qu'a un trader, s'approcha de l'unique tableau suspendu dans la chambre. A ses côtés, le propriétaire du taudis, un vieillard à la calvitie naissante, se trouvait à genoux et implorait sa clémence.
« Je vous en supplie... Je vous jure que je ne sais pas où elle est ! »
M. Pil ne daigna détourner son regard de l'acrylique. La voix rauque du fumeur habitué à ses deux paquets par jour semblait se briser un peu plus à chaque mot prononcé.
« Puisque je vous dis qu'elle est partie sans me prévenir du jour au lendemain ! Épargnez-moi, s'il vous plaît »
Toujours absorbé par la contemplation de la peinture, une mer houleuse semblant sombrer dans le néant avec son navire, Wong Pil fit un signe à l'un de ses hommes de mains. Le colosse en costard qui était resté à l'entrée s'avs'approcha et saisit le bras du propriétaire apeuré. Alors que le vieille homme commençait à s'agiter, le patron se retourna et le transperça d'un regard glaciale. Cela eut l'effet escompté. Le pauvre homme s'était tu comme si la mort se trouvait face à lui.
« Tu ne nous es plus d'aucune utilité maintenant, articula apathiquement Il Wong Pil. Je pourrais te laisser filer comme promis mais tu restes un témoin gênant. Et tu sais très bien que je n'aime pas les témoins gênants. »
À ses mots, le propriétaire lâcha un cri strident. Aussitôt, l'un des gardes lui couvrit la bouche d'un mouchoir à l'odeur forte de chloroforme. Il tenta de se défaire de cette emprise mais il restait impuissant. Peu à peu, ses forces l'abandonnèrent. Il ne fallut que quelques secondes pour que ce dernier tombe dans un sommeil profond.
« Débarrassez-vous en. »
L'ordre de Wong Pil était claire. Sans dire un mot de plus, il se leva, saisit le tableau et se dirigea vers la sortie de l'appartement abandonné. Alors comme cela elle voulait jouer au jeu du chat et de la souris ? Même si elle avait réussi à lui échapper cette fois-ci, ce n'était que partie remise.
Qui tiendra le plus longtemps ?
Un sourire amusé étira les commissures de ses lèvres. L'homme d'affaire s'y connaissait dans ce domaine. Il ne s'agissait pour lui que de l'échauffement.
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