1 - Triste réalité
Posté devant le portillon rouillé de son ancienne maison, Kim Jung Su restait silencieux. Une main hésitante posée sur la poignée en fer, l'autre agrippant fermement la hanse de son sac de voyage, il prit une grande inspiration : le temps était venu pour lui de rentrer.
Poussant dans un bruit désagréable le petit portail rouge, un sentiment étrange l'envahit peu à peu. Appréhension. Nostalgie. Culpabilité, peut-être ? Tout se mélangeait pour ne former plus qu'un.
Pourquoi ressentait-il donc cela ? Était-ce le fait de revenir en ces lieux qui le rendait ainsi ?
Le garçon n'en avait hélas pas la moindre idée. Plongé dans l'incompréhension la plus totale, il préférait ignorer ce poids supplémentaire et poursuivre son chemin au travers des dalles de pierre, camouflées par les hautes herbes. Dans le paisible jardin régnait alors une atmosphère sereine. Il s'agissait d'un lieu assez simple à vrai dire. Un endroit clos, une bulle hermétique, où aucun élément extérieur ne paraissait déranger. Le regard ainsi perdu dans la contemplation du paysage fleuri qu'il ne connaissait que trop bien, un sourire éphémère illumina son visage. Rien n'avait décidément changé. Que ce soit le petit muret à l'ombre de la glycine de son défunt grand-père ou bien encore son vieil atelier de peinture, dont la façade était maintenant recouverte totalement de lierre, tout était resté comme dans ses souvenirs. Ces artefacts précieux, témoins des moments qu'il avait vécus ici, aussi bien heureux que malheureux. Ces bribes du passé qu'il avait pourtant tenté maintes et maintes fois d'oublier.
Au loin, dans la petite cour pavée, une dame d'un certain âge s'agitait dans tous les sens. Un grand panier d'osier dans les bras, elle étendait soigneusement sa nouvelle lessive, fredonnant une mélodie entêtante et secouant son chignon poivre et sel à tous nouveaux mouvements de tête effectués. Ne semblant pas avoir remarqué la présence de son petit-fils, Yi Jae Hwa continuait de défroisser le grand drap blanc suspendu à la corde. L'odeur du linge, si familière à Jung Su, emplissait l'allée principale de senteurs douces et musquées. Toujours sans un bruit, le jeune homme s'approcha du dos de sa grand-mère discrètement avant de la serrer tendrement dans ses bras. Surprise par cette soudaine étreinte, la vieille femme lâcha un petit cri aigu, manquant d'en faire tomber sa corbeille.
« Omo* ! Tu m'as fait peur imbécile ! » s'exclama-t-elle tout en se retournant.
Face au grand brun qui la surplombait de trois têtes, la sexagénaire souffla déconcertée.
« Aigoo* ! Comment se fait-il que mon petit-fils soit aussi grand, mais qu'il se comporte encore comme un gamin ? Ne t'ai-je jamais rien appris durant toutes ces années ?
- Voyons halmoeni (~grand-mère) c'est parce que tu m'as manqué, répondit-il tout en rigolant.
- C'est ça... Ne te joue pas de moi, Jung Su. Cinq ans. Te rends-tu compte ! Cinq ans depuis que tu es parti, sans même me rendre une petite visite ! J'aurais pu tomber malade et mourir que tu ne l'aurais même pas remarqué ! Enfant ingrat, moi qui t'ai élevé en plus ! »
Le garçon baissa les yeux, coupable. Fixant les briques grises du sol de ses pupilles sombres, il déglutit difficilement. Son comportement honteux était injustifiable. Même si la raison de son départ de Gyeongju vers la capitale était compréhensible, Kim avait dépassé la limite du raisonnable. La vérité était que, derrière cette absence prolongée, se trouvait un mal-être qu'il avait souhaité dissimuler à sa famille. Être ici, dans cette maison, ne le faisait que trop souffrir à l'époque. Il fallait alors le comprendre un minimum. Malgré le fait que cette demeure restait le berceau de son enfance, où il avait été aimé et avait aimé en retour, certains évènements faisaient qu'il était devenu compliqué pour lui d'y rester.
Remarquant l'air attristé du garçon, Jae Hwa se radoucit peu à peu. Elle ne voulait pas le blesser, au contraire. Elle tenait bien trop à lui pour lui faire subir cela. Se redressant de toute sa hauteur et étirant son pauvre dos qui la maltraitait de plus en plus souvent ces temps-ci, elle reprit d'une voix plus calme :
« Bon... Ce n'est pas si grave. Je suis peut-être allée un peu loin... Puis l'important est que tu sois là maintenant. Non ? »
La vieille femme le couvait d'un doux regard, digne de sa propre mère.
« Prends des draps propres dans l'armoire de ma chambre au rez-de-chaussée, puis va ranger tes affaires au grenier. J'ai tout laissé en place après ton départ. »
Le jeune homme la remercia alors avant de récupérer son linge et de monter directement en direction de son ancienne chambre.
Sur le palier de la porte, Jung Su s'immobilisa. Muet, il observait de ses yeux sombres le grenier plongé dans le noir. Cinq ans, déjà, pensa-t-il tristement.
Après de longues minutes d'attente, il se décida finalement à franchir le seuil et à pénétrer dans la pièce mal éclairée. Sous ses pas, le vieux parquet craquait légèrement. Une main collée contre le mur, il tâtonna ce dernier à la recherche de l'interrupteur. Quand celui-ci fut trouvé, les stores des fenêtres se levèrent peu à peu et laissèrent entrer les rayons ambrés du soleil afin qu'ils envahissent l'espace et baignent les lieux d'une chaleureuse lumière en un rien de temps.
La clarté de nouveau présente dans sa chambre, Jung Su se rapprocha de son bureau. Face à la fenêtre, ses prunelles se posèrent tour à tour sur le paysage marin qui s'offrait à lui puis sur les multiples dessins amoncelés sur le grand mur blanc. Un soupir franchit alors la barrière formée par ses lèvres. Pourquoi était-il comme cela ? C'était pourtant lui qui avait décidé de retourner dans cette maison. C'était pourtant lui qui avait poussé la porte du grenier. Ses idées vagues s'entrechoquaient dans son esprit. Étaient-ce les regrets du passé qui remontaient à la surface le submergeant de nouveau ? Il s'agissait là de l'hypothèse la plus probable.
Perdu dans ses pensées, le garçon saisit un carnet noir dans l'un des tiroirs du meuble. D'un geste habile, il dépoussiéra la couverture, laissant apparaître pour seul titre : « Croquis, années 2012-2013 ».
Étonné d'avoir retrouvé l'un de ses anciens recueils, il s'installa sur l'une des vieilles chaises abandonnées dans un coin de la pièce. Dès lors, il commença à le feuilleter. Plus les pages jaunies par le temps défilaient sous ses yeux, plus ces derniers commencèrent à se troubler. Au bout de quelques secondes seulement, une goutte d'eau tomba sur l'une des pages griffonnées.
Mais que se passait-il ?
Comme pris de stupeur, Jung Su mit un certain temps avant de comprendre.
Était-ce bien lui qui pleurait ?
La main tremblante, il vint s'essuyer les yeux de sa manche, essayant de retenir avec difficulté la douleur que lui rappelaient ces images immortalisées au fusain. Mais, cela était vain. Les larmes coulaient d'elles-mêmes. Contre son gré, elles ruisselaient sur ses joues et s'échouaient sur le petit carnet, tachant celui-ci d'auréoles grisâtres et déformant ses beaux dessins. Plus abondants que jamais, il finit par s'abandonner peu à peu à ses sanglots, vaincu, recroquevillé sur lui-même. Le garçon s'en voulait. Agir comme cela après tout ce temps passé était irraisonnable. Pourquoi faisait-il preuve de tant de faiblesse ?
Le visage caché dans ses bras, il n'en pouvait plus. Sa respiration se faisait de plus en plus saccadée. Il aurait dû les brûler. Se débarrasser de ces croquis qui le rattachaient constamment au passé, l'enchaînant aux souvenirs douloureux qu'il avait toujours d'elle. Au temps où elle souriait et riait encore avec lui, ce temps volatilisé depuis cinq ans déjà. Celui qu'il avait tant essayé d'effacer de sa mémoire, comme il l'aurait fait pour un mauvais coup de crayon qui se serait simplement dissipé sous l'effet de sa gomme. Toutefois, une telle gomme n'existait pas. À cette pensée, ses doigts plongés dans sa chevelure ébène se crispèrent. Mais quelles foutaises racontait-il ! Ses paroles n'avaient plus aucun sens. Elles en devenaient vraiment absurdes, aberrantes, lamentables...
Il était vrai qu'on lui avait dit que le temps apaisait les blessures. Il était vrai qu'on lui avait répété de nombreuses fois que seules l'amitié et l'amour de ses proches étaient le « remède » face à ces sentiments qui le rongeaient... Cependant, la cicatrice gravée au fond de son cœur persistait toujours. Il souffrait. Il en venait à croire que rien ne pourrait l'aider. Qu'il serait obligé de vivre avec cette sensation désagréable à jamais. Celle qui le hantait, et celle dont il rêvait jour et nuit. Car au fond, il aurait tout donné. Jung Su aurait tout donné pour l'avoir encore à ses côtés.
Mais cela était impossible. Son amie avait disparu et il ne pouvait rien y faire.
Plus rien.
Elle était partie à son tour, l'abandonnant dans la détestable monotonie de son quotidien d'adulte. Un quotidien hanté par sa présence et le mystère resté tout entier autour de son nom.
Lexiques :
*Omo : interjection très souvent utilisée à l'oral. Son équivalent en français serait « Oh mon dieu ! »
*Aigoo : interjection fréquemment utilisée pour exprimer une fatigue ou encore une frustration. Son équivalent serait « oh la la ! » ou encore « oh mon dieu ! » en français.
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