Chapitre 54 (partie 2) : ne pas parler n'est pas mentir

Ils quittèrent la fête foraine main dans la main, Amonn ayant refusé de la lâcher. Ils s'arrêtèrent sur le parvis d'une église qui finissait de sonner 18 heures. Läya n'avait pas vu l'après-midi passer. Elle s'assit sur les marches menant à l'édifice, imitée par le jeune homme.

"Comment as-tu su qu'ils n'étaient pas humains ? demanda le démon.

- En plus d'avoir eu la tête qui tourne juste après les avoir percutés ? J'ai eu froid et leurs yeux... c'était ... c'était des puits sans fond, ils dégageaient de la violence et de la cruauté.

- Qu'est-ce qui t'arrive depuis que je suis revenu ?"

Läya déglutit, le moment des questions arrivait. Et elle était venue pour des réponses, elle ne pouvait donc pas mentir. Elle choisit l'omission.

"Depuis ton retour, j'ai des visions. Enfin, j'avais. J'ai vu une fille, sortie de nulle part, se réveiller en plein désert, arriver chez des mineurs et ... mourir.

- Tu es morte en même temps qu'elle, comprit Amonn.

- Oui.

- Que s'est-il passé ?

- Un des mineurs a voulu jouer avec elle, elle a dit non, il l'a étranglé."

Läya réalisa la chance qu'elle avait que sa peau ne marque pas, autrement le Prince aurait vu les marques de strangulation sur son cou. Et elle n'aurait pas eu de réponses à ces questions là.

- Donc tu n'as plus de visions, maintenant ?

- Non, plus aucune, dit-elle,passant sous silence son cauchemar.

- Tu ne risques plus de mourir ?

- Pas avant ma vieillesse, tout du moins.

- Tant mieux. Je n'ai vraiment pas aimé te voir mourir.

- Tu as eu peur ? demanda la jeune fille, avec un sourire.

- Question suivante, dit-il en ignorant totalement sa propre question. Comment peux tu te souvenir de moi ?

- Absolument aucune idée.

- Comment s'est-on rencontré ?

- Tu avais perdu ton chien.

- Ta première fracture ?

- Le poignet. J'avais six ans.

- Qu'as-tu mangé à midi, lundi dernier ?

- Quel rapport ...

- Répond juste.

- De la pizza avec de la salade et un flan au dessert ? Pourquoi ?"

Amonn ne répondit rien et réfléchit.

Plusieurs minutes passèrent et la jeune fille n'avait que le silence pour compagnie.

"Tu m'as bien dis que tu retenais tout ? demanda le Prince, finalement sorti de son mutisme.

- Oui. Pourquoi ?

- Félicitation. Tu fais partie des rares personnes sur qui les sorts d'oubli ne fonctionnent pas.

- Ah. Chouette. C'est une bonne chose ?

- Pour moi, non. Pour toi ... je n'ai pas d'avis.

- Ah." répéta Läya, ne trouvant rien d'autre à dire.

Voyant qu'il n'ajoutait rien, elle se leva.

"Bien, puisqu'on s'est tout dit, je vais y aller. Elle se rendit compte que ces mots lui coûtaient mais pour rien au monde, elle ne l'aurait avoué. J'ai passé une bonne journée, sourit-elle.

- Moi aussi, dit Amonn, en se levant à son tour.

- Bonnes vacances.

-Merci. Toi aussi.

- Merci. Bonne soirée." acheva la jeune fille. Elle n'avait pas envie de partir mais puisque rien ne la retenait ...

"Läya ?"

Peut-être pas rien, finalement.

"Oui ? dit-elle en se retournant brusquement. Elle se mit une claque mentale. Pour quelqu'un qui refusait d'avouer, elle venait de le crier bien fort. Elle allait devenir un cliché ambulant, si elle n'y prenait pas garde. Mais qui sait ? Peut-être que lui non plus ne voulait pas voir s'achever la journée.

- Euh ... bonne soirée.

- Oh, fit-elle, déçue. Merci."

Elle reprit sa route. Par les cinq, quel idiot ! Amonn se serait mis des coups. Il voulait la retenir et tout ce qu'il trouvait à dire achevait la journée. Il soupira quand son salut vint de Läya.

"Amonn ?

- Oui ? demanda-il en relevant la tête.

- J'ai toujours droit à une dernière une question ?

- Bien-sûr.

- Pourquoi es-tu là ? Pourquoi être revenu ? précisa-t-elle.

- Je ne peux pas répondre à cette question. Pose m'en une autre."

Ils s'étaient petit à petit rapprocher l'un de l'autre, n'étant plus séparés que par quelques centimètres.

"Comment sont les Enfers ?"

Le Prince allait répondre quand son téléphone sonna. Il s'excusa, s'éloigna de quelques pas et répondit.

Läya ne prêtait pas attention à la conversation jusqu'à ce que le démon crie un « Quoi ? » furieux.

Apparemment, il parlait de travail. Elle cessa d'écouter dès qu'elle le comprit.

Amonn revint vers elle. Ses yeux gris avaient viré de perle à métallique avec des nuances de orange.

"Je dois partir, j'ai un problème urgent à régler.

- Un problème princier ?

- J'aurais préféré, sourit le démon. Mais non, un problème parfaitement humain.

- Comment ça ?

- On en discutera une prochaine fois, si tu veux bien ? Je dois y aller.

- Je te le rappellerai, souviens toi que je n'oublie rien, sourit Läya, avec un clin d'œil.

- J'ai passé une très bonne après-midi. Merci."

Il l'embrassa sur la joue et partit.

Arrivé chez lui, Amonn appela son second, pendant qu'il se dirigeait vers son bureau.

"Que ce passe-t-il ?

- Les négociations ont repris, annonça Rash. J'ai bien essayer de régler le problème mais le directeur Kauffmann ne veut parler qu'à toi.

- Peste soit ces humains, ragea le Prince. Qu'est-ce qu'il veut, cette fois ?

- Je ne sais pas. J'ai rarement vu un humain aussi obtus.

- Il ne doit pas l'être totalement. Il doit avoir des ascendances démoniaques, supposa Amonn, en jetant un regard à Rash, qui lui rendit.

- Non, dirent-ils en même temps.

- Je vais m'occuper de cet allemand. J'ai une mission pour toi, mon ami.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda le démon lézard.

- Je veux que tu surveilles quelqu'un. Une fille.

- Entendu. Qu'a-t-elle de particulier ?

- Elle a résisté au sort d'oubli.

- Intéressant. Où puis-je la trouver ?

- C'est là tout le problème, je n'en sais rien. (Amonn s'arrêta devant la porte de son bureau.) Quelque part en ville, je ne peux être plus précis. Voilà sa photo.

- Je la connais, elle, dit Rash après avoir regardé l'image.

- Ah bon ? Comment ?

- Un soir où je suis sorti prendre un verre, j'ai vu cette fille et des amis à elle, qui chantaient au karaoké. Elle est partie avec une de ses amies et je n'y aurais pas fait attention, si elles n'avaient pas été suivies par trois hommes à l'air aussi louche qu'ils étaient ivres. Ça n'a pas manqué, ils les ont abordées deux ou trois rues plus loin. Si sa copine était terrorisée, ce n'était pas son cas. Je suis intervenu et ils ont abandonné. Elles allaient bien, je lui ai suivie pour qu'il ne leur arrive rien mais j'ai perdu cette fille de vue après qu'elle ait ramené son amie chez elle." dit-il en montrant la photo.

Amonn réfléchit aux nouvelles informations qu'il avait.

"Raison de plus, décida-t-il. Trouve la, suis la, protège la si besoin est mais surtout ne la perd pas. Elle me cache des choses ... et je veux savoir ce que c'est.

- Compte sur moi." assura l'aide de camp.

Amonn entra dans son bureau, prêt à dévorer l'allemand qui revenait sur les termes de leur accord. Il s'assit derrière sa table de travail, l'air sinistre et lança la visioconférence. Il allait lui faire regretter d'avoir interrompu son après-midi. 

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