Chapitre 16

Aujourd'hui, c'est le dernier jour de cours. Le dernier jour de lycée. Celui dont toute la promo se souviendra. Notre but aujourd'hui, nous éclater. Profiter de notre dernière journée en tant que lycéen. Faire la fête et foutre la merde.

Hier, on s'est réunis, nous les terminales et les dernières années de BTS. Nous nous sommes mis d'accord. Nous allons faire plusieurs blagues dans tout le lycée. Même à nos professeurs. C'est une sorte de rituel dans notre lycée. Chaque année, les dernières années se voient attitrées d'une journée rien qu'à eux où ils pourront faire ce qu'ils veulent. Dans la mesure du raisonnable, bien sûr. On a tous une tâche attitré. La mienne, placer des enceintes dans les différentes salles et couloirs du bâtiment E.

Malheureusement pour nous, les professeurs et l'équipe pédagogique de notre établissement nous ont préparé une réunion obligatoire avec notre classe. Je ne sais pas en quoi elle va consister, mais j'ai un pressentiment. Un mauvais pressentiment.


Quoi qu'il en soit, je m'envole demain pour mes petites vacances avec moi-même. Un retour aux sources qui me feront un bien fou, j'en suis certaine.

La première heure de cours se déroule normalement. Au moment de la sonnerie, au lieu de notre bonne veille mélodie, c'est le générique de Totally Spies qui retentit. Un fou rire général prit de court la salle. Même notre professeur de philosophie était amusé. Une première, surtout pour lui. Il est toujours très sérieux. Nous constatons pendant les autres cours de la matinée que ce n'est pas que lui qui est de bonne humeur aujourd'hui. Tous les professeurs du lycée le sont. Certains nous ont faits des longs discours pour nous féliciter. Tandis que d'autre nous ont fait des blagues, eux aussi. Au final, notre mâtinée de cours est un concours de blagues géant. Le sérieux s'est envolé chez tous nos professeurs.

Au temps du déjeuner, une bataille d'eau géante débute. Tous les étudiants participent. Les surveillants viennent même se mêler à la partie. Mon équipe et moi remportons la bataille. Nous finissons par rentrer trempé dans la salle de classe. Cette après-midi est donc consacrée à la réunion obligatoire. Personne ne sait en quoi elle consiste. Ceux qui l'ont déjà eu n'ont pas voulu nous dire en quoi elle consiste.

Chacun s'assoit sur une chaise qui compose l'arc de cercle qui a été formé. Notre professeure principale ainsi que la psychologue et notre CPE sont présentes. Une fois que tout le monde est bien installé, notre professeure prend la parole.

̶ Bonjour à tous ! Si nous vous avons réunis ici aujourd'hui, c'est pour vous donner la parole. Je vais vous demander que tout ce qui est dit dans cette salle, ne sorte pas de cette salle. Respectez-vous les uns des autres et écoutez-vous. Commence-t-elle. Aujourd'hui vous allez nous partager votre meilleur et votre pire souvenir. Annonce-t-elle en nous regardant un à un.

L'évocation du pire souvenir est terrible. Nous ne voulons pas forcement tout partagé notre pire souvenir avec nos camarades. Pourquoi est-ce qu'ils sont aussi cruels ? A voir le visage décomposé de certaines personnes, je ne suis pas la seule à le penser. Je n'ai pas envie de partager la mort d'Yvann avec eux. C'est privé. Ça ne regarde que moi. Je ne veux pas partager mon ressenti face à des personnes dont je ne suis même pas sûr de revoir dans quelques années. Mes propres amis ne connaissent pas les détails. J'ai appris la nouvelle d'une façon dont je n'aurais jamais voulu. Je n'ai pas envie de la partager. Un point c'est tout. J'avais raison d'avoir un mauvais pressentiment, on dirait.

Petit à petit, mes camarades s'ouvrent. Certains rient en racontant leur beau souvenir. D'autres pleurent en racontant le pire. C'est fou ce que les gens peuvent cacher comme passé derrière leurs beaux visages. On n'aurait pas pu imaginer un tel parcours en voyant leurs évolutions.

̶ A toi Julia. Quels sont ton pire et ton meilleur souvenir. Me sort de mes pensées ma professeure.

̶ On est obligé de passer. Dis-je la gorge nouée.

̶ Oui. Allez vas-y. Ouvre-toi, ça ne t'apportera que du bien.

̶ Si vous le dîtes. Mon pire souvenir, c'est la mort d'Yvann. Mon meilleur, c'est notre mariage. Voilà, j'ai fini. Dis-je ne voulant pas donner plus de détails.

̶ Tu peux nous donner plus de détails. Quelles étaient des émotions ? Comment ça s'est déroulé ?

̶ J'ai pas envie. Dis-je d'un ton plus sec que je ne l'aurais voulu.

̶ Écoute Julia, chacun participe à l'activité et je pense que certains n'avaient pas envie d'en parler. Pourtant, ils l'ont fait. Mais y du tien, un peu. Dit ma professeur en s'agaçant.

̶ Oh, mais putain ! C'est bon ! Je vais parler vu que vous insistez ! Je commence énervée en me levant. Mon pire souvenir, c'est la nuit où je me suis fait réveiller par des alarmes d'hôpital. J'étais juste en train de dormir à côté de lui et il est mort. Je dormais et c'est tout. Il est mort sans prévenir. Comme ça. D'un seul coup. Je ne voulais pas que ça arrive. J'étais pas prête. Je ne l'aurai jamais été. Qui a envie de voir l'amour de sa vie mourir devant ses yeux, hein ? Personne ! Pourtant, ça m'est arrivée. La voici la pire expérience de ma vie. Je continue en larme. Mon plus beau souvenir, c'est le jour où je lui ai dit oui. Oui pour finir mes jours avec lui, et même après. Dis-je plus calme. C'est bon, vous êtes contente ? Dis-je avec sarcasme.

̶ Merci de t'être confiée Julia. Ce devait être un beau mariage. Me répond la femme qui m'a forcé à parler d'un ton posé.

̶ C'était un réel plaisir. Je dis avec ironie. Bonne continuation. Je finis avant de récupérer mes affaires et de partir.

Je sors du lycée. Je ne dis rien à personne. Je ne dis pas au revoir aux personnes que je ne reverrais pas de si tôt. Je ne dis pas au revoir à mes amis. Je ne dis au revoir à personne. Je pars. Je quitte cet endroit de malheur sans me retourner. Sans un regret. Demain, je pars. Je prends le large. Ça aussi personne n'est au courant. Mais ce n'est pas grave. J'ai besoin de m'évader, et seule. Alors je pars. Loin d'ici et de ces souvenirs qui me font mal. Loin des personnes que j'aime. Loin de tout.

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